Scènes: la voie du dehors

© photos gaétan bergez
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

A partir du 8 mai, le secteur culturel est autorisé à organiser des événements en extérieur pour maximum 50 personnes. Un assouplissement très inférieur à ce qui était espéré, mais qui permet à certains de rebondir. En attendant mieux…

« Franchement, on a pris ça comme un bras d’honneur, affirmait, au lendemain du Codeco du 14 avril, Denis Laujol, comédien, auteur et metteur en scène faisant partie des initiateurs de l’occupation du Théâtre national. On a tous été surpris de la violence, du mépris qu’on avait en face de nous. Parce des propositions extrêmement précises avaient été faites juste avant par les fédérations. »

Le plan de déconfinement présenté au ministre de la Santé Franck Vandenbroucke réclamait, à partir du 1er mai, la possibilité d’accueillir, dans une sorte de service minimum garanti, 100 spectateurs en extérieur et 50 en intérieur (avec possibilités de dérogations), « selon des protocoles déjà validés lors du premier déconfinement« . En réponse, le Codeco du 14 avril, confirmé par celui du 23 avril, autorisait dans son « plan plein air » un maximum de 50 spectateurs en extérieur et… aucun en intérieur. Ce qui explique la colère du secteur et ses réactions « désobéissantes ». Alors que le KVS (le Théâtre royal flamand, à Bruxelles) a annoncé présenter un spectacle en intérieur à partir du 26 avril, l’opération de Still Standing For Culture réunit 90 lieux ouverts depuis le 30 avril.

Il faut faire confiance aux artistes pour faire les choses bien.

Dans ce climat tendu, certains voient quand même là la possibilité de recommencer à accueillir du public en toute légalité. Le Théâtre Le Public, installé à Saint-Josse, annonçait ainsi lors d’une conférence de presse, le 16 avril, ses Retrouvailles avec les spectateurs, grâce à une scène extérieure installée dans l’espace qui lui servait jusqu’alors de parking. Un dispositif accompagné d’un système audio où chacun est connecté au son du spectacle par un casque, pour ne pas trop déranger le voisinage. Le projet a été lancé il y a plusieurs mois déjà. « En janvier, à peu près au moment où on a commencé à parler de variants, on s’est dit qu’on n’allait pas s’en sortir, que ça n’allait pas être possible, retrace Patricia Ide, codirectrice du Public avec son époux Michel Kacenelenbogen. Comme nous avons la chance d’avoir un lieu extérieur, très vite on a pensé à cette possibilité. On s’est dit qu’on allait rester dans les clous, légalistes, mais qu’on allait y arriver, on allait trouver par où passer et on n’a pas lâché. »

Une béquille

« Il y a plus d’une cinquantaine d’artistes qui arrivent en mai-juin, lance Jeanne Kacenelenbogen, en charge de la programmation de ces Retrouvailles. Dans le décor de cette scène extérieure qui est en fait la scénographie de Jacques, un spectacle sur Jacques Prévert avec Nicolas Buysse et Greg Houben, c’est une espèce de minifestival qui aura lieu, avec entre deux et quatre représentations par jour, avec aussi du théâtre jeune public et des concerts. » Dans cette programmation foisonnante de petites formes (1), on trouve des reprises, comme la « version pandémie » de l’irrésistible Francis sauve le monde, théâtre d’objet adapté de la BD animalière du même nom, ou le seul-en-scène de Janine Godinas, Un grand amour. Mais plusieurs créations seront aussi dévoilées, comme Du paddle à Biarritz, avec Itsik Elbaz, d’après le roman Broadway de Fabrice Caro, Trois fois rien, de et avec Soufian, Morgiane et Marwane El Boubsi, ou encore Frou-frou, adapté d’une nouvelle du recueil « goncourisé » de Caroline Lamarche A la lisière.

Le Public fait ses Retrouvailles avec ses spectateurs grâce à une scène extérieure et des casques audio.
Le Public fait ses Retrouvailles avec ses spectateurs grâce à une scène extérieure et des casques audio.

« Mais l’extérieur, c’est seulement une béquille, pour donner une bouffée d’air, précise Jeanne Kacenelenbogen. Ce n’est pas « la » solution, il faut pouvoir refaire du théâtre à l’intérieur. Parce que dehors, on ne pourra pas monter de plus grosses productions, mais aussi parce qu’à l’extérieur on dépend toujours de la météo. De notre côté, tout est prêt: le streaming, la scène extérieure, les salles… Notre système d’aération est en place. Michel a l’habitude de dire que « quand on sort du théâtre on est plus propres que quand on est entré ». On ouvrira ce qu’on peut. Mais si les gens peuvent prendre l’avion, le métro et s’entasser dans des supermarchés… c’est bon! Il faut faire confiance aux artistes pour faire les choses bien. »

« Le secteur fait vraiment tous les efforts possibles pour entrer dans les cases« , affirme de son côté Denis Laujol. Si la reprise de son spectacle Fritland, du 11 mai au 5 juin, pourra avoir lieu, dans une version adaptée, en extérieur aux abords du Poche dans le bois de la Cambre, les conditions actuelles ne lui permettraient pas de présenter Je ne haïrai pas, dont la création, prévue en février, a été reportée fin juin. « Avec 50 personnes en extérieur, c’est juste infaisable, dit-il. Si c’est 50 personnes en intérieur, on va réfléchir. Ce n’est pas génial mais ce sera peut-être une première étape. » Pour l’instant, les yeux restent donc rivés sur la réouverture autodéterminée du KVS depuis le 26 avril et l’opération Still Standing. Parce que la voie intérieure est indispensable.

(1) Le programme complet de Retrouvailles est disponible sur theatrelepublic.be

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