(R)évolutions du street art: de la frasque à la fresque

Vincent Glowinski © ISELP
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Ouvrage nécessaire, (R)évolutions du street art se penche sur l’art urbain qui en 50 ans a conquis la culture populaire. Rencontre avec Éric Van Essche, directeur de la publication et auteur.

En 2018, à l’initiative d’Éric Van Essche (56 ans) -professeur à l’ULB, La Cambre et expert mobilisé dans plusieurs commissions ayant pour objet l’intégration de l’art dans l’espace urbain-, une série d’acteurs du street art se réunissent à la faveur d’un colloque. Le but? Jeter le regard le plus transversal possible sur un ensemble de pratiques passées de la clandestinité à la culture populaire. Trois ans plus tard, un livre en forme d’état des lieux vient de voir le jour qui, bien plus qu’un simple compte rendu, se découvre comme une incontournable monographie sur le sujet.

Pourquoi un colloque sur l’art urbain?

Le colloque avait pour titre De la subversion à la subvention. L’idée était d’examiner la transformation de l’art urbain sur plusieurs décennies sans recourir à des jugements de valeur, moraux ou esthétiques. Nous avons réuni des gens qui ne se parlaient pas: artistes, politiciens, professionnels du tourisme… Il s’agissait de décloisonner les paroles pour chercher à comprendre l’incroyable évolution qui s’est produite. Longtemps, les expressions libres dans l’espace public ont ressorti à la chronique judiciaire. Puis, il y a eu ce que l’on appelle en sociologie un « retournement du stigmate ». Auparavant, la présence de graffitis indiquait un quartier potentiellement dangereux, désormais c’est devenu un facteur d’attractivité pour les villes.

Éric Van Essche
Éric Van Essche© ISELP

Et cette évolution de la perception a engendré une révolution…

Avant, l’art urbain se présentait comme une contestation du système. Même s’il existe encore des résistances, ce paradigme a changé. Les artistes se professionnalisent, considèrent que leurs interventions peuvent générer une reconnaissance menant à exposer en galerie, voire à publier un livre. Idem pour le public, qui peut se mobiliser pour sauver un graff alors qu’il y a 20 ans on appelait la brigade anti-tag pour nettoyer le tout. Même les politiciens ont changé leur attitude, délaissant la répression pour une approche plus souple. Cette reconnaissance symbolique draine un tas de nouveaux acteurs, dont des collectifs d’artistes. À Bruxelles, par exemple, plusieurs murs du parcours BD ont été réalisés par des structures de ce type car elles sont les seules à posséder l’expertise nécessité par la transposition d’une case en une fresque murale.

Steve Locatelli
Steve Locatelli© YVES CALOMME

Cette récupération par le système ne risque-t-elle pas d’anesthésier le propos?

De fait, de la subversion à la subvention ne perd-on pas quelque chose? Dans le livre, les réponses à cette question ne sont pas harmonisées. Certains auteurs sont très contrariés par le passage de la rue au musée. Nicolas Mensch utilise une formule éloquente pour dire la perte de liberté à l’oeuvre, « de la jungle au zoo« . Personnellement, je pense que cette situation est à replacer dans le contexte plus large des mécanismes traversant l’Histoire de l’art. Au départ, les avant-gardes sont contrariées, puis elles deviennent académiques et finissent par être digérées par le système. Une nouvelle avant-garde voit alors le jour.

La frontière entre la subversion et la subvention est-elle facile à tracer?

Pas du tout. Il y a mêmes des phénomènes de schizophrénie. L’exemple de Bonom est frappant. En 2014, ce graffeur décide d’enterrer sa carrière de street artist à la faveur d’une exposition à l’Iselp, Le Singe boiteux. On découvre alors son vrai nom, Vincent Glowinski. Dans la foulée, on apprend que sa mère est artiste et que lui-même est étudiant en art. Soit pas du tout le cliché du vandale. Il initie alors une oeuvre personnelle à la fois plastique et performative. Fin de l’histoire? Non, il a continué à investir l’espace public de manière doublement clandestine. Vincent Glowinski a été rattrapé par Bonom.

Hell'O
Hell’O© ERIC DANHIER

C’est l’histoire de l’immeuble des Brigittines?

Au moment de sa rénovation, cette habitation sociale tombe sous la loi qui veut que 1% du budget des travaux de rafraîchissement soit alloué à l’intégration d’une oeuvre d’art en concertation avec les habitants. Dans la procédure, Glowinski est retenu comme un des artistes potentiels. En faisant la visite du chantier, il découvre la façade sur laquelle il était déjà intervenu de façon illicite, mais l’oeuvre a été recouverte par un bardage d’isolation. Celle-ci est cruciale pour lui, un portrait de son père, décédé prématurément, sous forme de serpent à tête humaine. À ses yeux, ce mur, c’était « pas touche, c’est à moi ». Quand il s’est rendu compte qu’il y avait des concurrents et que son projet ne pouvait pas être retenu, il a opéré une intervention sauvage en signant l’image d’un pendu relatant une vindicte populaire du XVIIe siècle. Face à cette prise de pouvoir, certains des concurrents du projet ont revu leur proposition afin qu’elle intègre cette oeuvre. D’autres se sont retirés en vertu d’un code d’honneur qui veut qu’on ne touche pas à l’oeuvre d’un pair. Ironie du sort, c’est finalement Vincent Glowinski qui est choisi pour intervenir, officiellement cette fois, sur la façade. Le débat fut houleux car beaucoup pressentaient que l’intervention sauvage était de lui et se questionnaient quant au message que véhiculait une commande officielle passée à un artiste responsable d’une fresque illicite.

Bruxelles occupe-t-elle une position singulière sur l’échiquier des villes?

La capitale est arrivée plus tard que Londres ou Paris sur le terrain du graffiti. Dès lors, il y a moins de rupture. Il existe une cohabitation plutôt bienveillante entre les artistes purs et durs et ceux qui arrivent dans l’espace public après être passés par une école d’art. Même sur la question du territoire, c’est plus souple, le paysage est plus bigarré qu’ailleurs.

(R)évolutions du street art, éditions CFC, 288 pages.

(R)évolutions du street art: de la frasque à la fresque

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