Liv Vaisberg, l’entremetteuse

Liv Vaisberg: "Il y a tant de lieux qui sont bourrés de bonnes idées mais souffrent cruellement de visibilité." © Pablo Cepeda
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

À l’heure où A Performance Affair, cette foire atypique consacrée à la performance, ouvre ses portes à Bruxelles, il était plus que temps de brosser le portrait de Liv Vaisberg, sa remuante cofondatrice.

C’est un même principe qui se trouve derrière chacun des événements sur lesquels Liv Vaisberg appose sa griffe. Il n’est d’ailleurs pas interdit de penser qu’il y a du saint-bernard en elle. L’intéressée explique: « Ce sont les idées ou les personnes à visibilité faible qui me donnent envie de me mobiliser. Les artistes, par exemple, en particulier ceux qui tombent dans un gouffre au sortir de leurs études. Ce phénomène de chute dans les « limbes » est bien connu, il guette toutes et tous les diplômé(e)s issu(e)s des écoles d’art. Il en va de même pour les galeries. Il y a tant de lieux qui sont bourrés de bonnes idées mais souffrent cruellement de visibilité.  » À 38 ans, Liv Vaisberg a déjà une carrière professionnelle bien remplie. On doit à l’intéressée des messes alternatives, dont les modèles se posent en exemple, qu’il s’agisse de Poppositions, imaginé avec Pieter Vermeulen et Edouard Meier; de Collectible, conçu en compagnie de Clélie Debehault; ou encore, plus récemment, de A Performance Affair, forgé main dans la main avec l’artiste Will Kerr. Autoproclamée « très directe » et « extrêmement bavarde« , Vaisberg a grandi dans le sud de la France. « Ma mère est néerlandaise« , confie-t-elle en précisant bien que cette double origine ne fait pas d’elle une Belge, territoire coincé entre les deux nations voisines évoquées. La trentenaire n’est pas du genre à se contenter d’un entre-deux, elle dont on devine la personnalité affirmée. N’empêche, c’est bien à Anvers qu’elle s’est fixée après un parcours marqué par une bifurcation pas banale. Elle raconte: « Depuis mon plus jeune âge, j’ai baigné dans l’art par le biais de ma mère qui était elle-même plasticienne. Au moment de me lancer dans des études, elle m’a déconseillé une carrière artistique, arguant qu’il n’y avait rien de tel que l’indépendance financière. Pour cette raison, je me suis lancée dans un cursus de droit, me spécialisant sur les questions des droits d’auteur. J’ai étudié à Londres, Paris et Bruges. »

Une économie du geste

Il reste que sa passion pour la création artistique ne se résorbe pas pour autant. Voyageant pas mal, elle reste attentive aux soubresauts de ce domaine qui la passionne. En 2008, la foire alternative ABC – Art Berlin Contemporary lui fait ouvrir de grands yeux. « D’emblée, je me suis dit que ça manquait à Bruxelles où en dehors d’Art Brussels, il n’y avait rien« , se rappelle-t-elle. Quatre ans plus tard, elle lance Poppositions, une foire alternative à prix accessible. Dès la première édition, cette formule attendue trouve son public. Après trois éditions en tant que directrice, Vaisberg est sollicitée par les organisateurs de Independent, la foire new-yorkaise en vue, pour monter un pendant bruxellois à l’événement. Cette expérience enrichissante conforte la jeune femme dans son envie d’imaginer ses propres événements… Et dans l’idée de mettre un terme à sa carrière juridique. Clélie Debehault lui souffle alors l’idée d’investir un domaine laissé en friche, celui du design collectible, comprendre de l’objet design contemporain édité en pièce unique ou en série limitée. Un pari audacieux quand on voit à quel point les collectionneurs ne jurent que par le vintage, créneau dont on sait qu’il n’est pas avare en effets de levier financiers. Là aussi, le succès est au rendez-vous de la première édition de Collectible, qui s’est déroulée l’an passé. « On nous crédite de l’invention de l’hashtag collectible« , se réjouit celle qui est maman d’un petit garçon. Toujours à l’affût des émergences, Liv Vaisberg se penche dans le même temps sur la performance, pratique omniprésente au sein de la scène artistique contemporaine dont les contours restent mal définis. « J’ai eu la chance d’en parler avec la galeriste Ellen de Bruijne qui est basée à Amsterdam. Cette femme a dédié sa vie à ce type de pratiques. Je me suis rendu compte combien c’était difficile. J’ai également remarqué que ce champ d’expérimentation était sous-représenté dans des événements majeurs comme la Frieze. Dans ce type de contexte, la performance est réduite à un spectacle ou, pire, à une animation devant laquelle les gens s’arrêtent quelques secondes pour prendre une photo« , détaille Vaisberg. Il ne lui en faut pas davantage pour comprendre qu’il y a là matière à une nouvelle mission. C’est d’autant plus vrai que la performance coûte cher aux artistes et qu’en dehors des figures de proue, comme Marina Abramovic (dont on sait qu’elle a longtemps tiré le diable par la queue), la majorité des protagonistes est obligée de se débrouiller avec les moyens du bord. Malgré la difficulté de la situation, Vaisberg lance en 2018 la première édition de A Performance Affair, du jamais-vu… Même à un échelon international. Plus qu’une foire, APA se veut une plateforme dont le champs d’action ne se limite pas aux supports habituels tels que la vidéo, les accessoires et la documentation photographique. Preuve de son caractère avant-gardiste, l’événement s’essaie à des dispositifs technologiques inédits, comme des chaînes YouTube permettant de suivre à tout moment ce qui se passe sur place depuis n’importe quel endroit du monde. « L’idée est de placer le geste et le mouvement, ainsi que l’acte performatif, au centre du propos. C’est un défi de créer une économie autour de ça. La plupart des galeries qui représentent des performers en sont encore à vendre des certificats d’authenticité pour attester l’oeuvre. C’est tout à fait insuffisant. Ce qu’il faut, c’est imaginer de nouveaux modes d’emploi, des protocoles juridiques inédits permettant de s’approprier ce qu’il y a d’immatériel dans ces propositions. Ce sera le programme de l’édition de cette année qui porte le titre « re:production ». L’ambition est de favoriser l’acquisition, tant du côté des collectionneurs qui se montrent désireux de soutenir la performance mais ne savent pas comment s’y prendre, que de celui des musées dont on se rend compte qu’ils sont encore très frileux en la matière. Notre but est d’arriver à ce que la performance soit un champ artistique durable, qui soit à la hauteur de sa capacité à renouveler nos certitudes sur l’art« , résume la cofondatrice.

A Performance Affair, Espace Vanderborght, 50, Rue de l’Écuyer, à 1000 Bruxelles. Du 06 au 08/09. www.aperformanceaffair.com

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