L’oeuvre de la semaine : L’énigmatique parure

Lascaux III, Roger Dewint © Galerie Quadri / Roger Dewint
Guy Gilsoul Journaliste

Un homme gravit avec lenteur (et dignité) les marches de pierres grises qui le mènent jusqu’à la porte vitrée du musée du Cinquantenaire. Le voilà derrière une autre vitre, quémandant son billet d’entrée.

« Pour Lascaux ? » lui demande-t-on comme s’il s’agissait d’un aller simple en première classe. Il garde son manteau chaud, son écharpe rouge. Par prudence. Il garde aussi ses lunettes et son sourire narquois. Il passe devant le vestiaire, présente son billet au gardien qui le déchire et lui rend. Il entre dans la pénombre du temps et, à pas mesurés, pénètre dans la reconstitution d’un fragment de la célèbre grotte préhistorique. Une légère angoisse le prive du calme nécessaire à la contemplation de ces artefacts qui le projettent plus de vingt mille ans en arrière. Le passage dépassé, il retrouve l’air serein des vitrines et laisse voyager son regard au gré des appels. Il demeure plus longuement devant une parure. Un enfilement de dents animales. Fasciné. Le voilà interpellé et au plus loin de l’enfance quand, pour la première fois, angoissé déjà, il avait perdu la première dite « de lait ». Il imagine la patience de l’homme (ou de la femme allez savoir !) lissant la dent d’un animal puis, passant d’autres longues heures à creuser l’ivoire jusqu’à le trouer. Combien de jours pour cette parure ? Que lui dit-elle de la peur ancestrale d’être au monde qui chez lui aussi dicte l’urgence créative. Car oui, l’homme entré au musée est un graveur. Et comme d’autres peut-être, il se reconnait dans cet objet qui, à n’en pas douter, devait protéger celui qui le portait comme le protège, mais pour un temps si court, la réalisation d’une estampe, fût-elle au sucre. Alors, revenu dans l’atelier, il se souvient de toutes ces émotions, dessine une à une ces dents dont le fil qui les unit serpente et chute au milieu de rectangles vides. Des feuilles de papier vierges encore. Le graveur redresse alors la tête, prend un peu de hauteur et dans ses yeux, passe l’éclat d’un petit rire malin. Et si tout cela se terminait non pas en queue de poisson mais en « tête de poisson » ? Oui, mais ce serait alors avec un mot d’accompagnement. Comme un mot d’excuse. Ou de provocation. Alors, Roger Dewint, car c’est bien ainsi que s’appelle le graveur, d’une écriture appliquée écrit : « l’extase du néant ».

Bruxelles. Galerie Quadri. 105 av R M-Henriette (1190). Jusqu’au 19 décembre. www.galeriequadri.be

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