J’ai visité l’expo Dali avec un ex-faussaire

© Kevin Plasman
FocusVif.be Rédaction en ligne

Le célèbre peintre espagnol est à l’honneur de « Visages Cachés », une expo-vente sur la Grand Place de Bruxelles. Qui pouvait mieux nous y guider que Stan Lauryssens, auteur du croustillant livre « Ma Vie Criminelle avec Salvador Dali »?

Un soleil estival inonde la Grand Place de Bruxelles. C’est à l’intersection de ce joyau de notre architecture et de la Rue de la Colline que se tient jusqu’au dix septembre Visages Cachés, une exposition consacrée au plus grand des surréalistes et empruntant son nom à l’unique roman de l’artiste fantasque. Et c’est aussi là qu’est fixé le rendez-vous avec Stan Lauryssens. Veste noire, t-shirt immaculé et pantalon en jeans, le petit personnage au teint hâlé et aux cheveux grisonnants gominés inspire directement la sympathie, voire la confidence. Une qualité qui a dû être bien utile à ce maître d’école de formation quand, durant des années, il a entourloupé des acheteurs crédules dans sa galerie anversoise. « C’est ça le monde de l’art, et plus particulièrement de Dali: c’est du trompe-l’oeil! », se défend-il, mimiques et regard de diablotin à l’appui. Un passé de faussaire qui l’a mené au sommet (fortune, multiples propriétés, achats chez Sotheby’s) mais aussi -malgré la grâce du Roi Baudouin- à la case « prison espagnole » après une cavale de sept ans dans les montagnes catalanes de Cadaqués, bastion ancestral de Dali. Le peintre fut même son voisin. « Un pur hasard », selon lui. Et il eût même l’occasion, suite à des confidences lors d’apéros au bar du village, de rencontrer furtivement le maître en personne. « Malheureusement, avec la maladie de Parkinson qui le rongeait, il était hors du monde. Même sa moustache n’était plus… » Par contre, l’ancien fugitif recherché par Interpol a pu visiter les ateliers secrets de l’artiste où il assure avoir été témoin de la fabrication de faux Dali, une supercherie de masse entretenue par Dali lui-même et son équipe (à la tête de laquelle se trouvait le Capitaine Moore, son secrétaire de longue date). « Quelques découpages, un projecteur pour dessiner les contours, un coloriage en règle et le tour était joué. Après, il suffisait de prendre un Polaroïd montrant l’oeuvre dans les mains de Dali. »

Un détour par Hollywood

Ces anecdotes rocambolesques, à prendre avec des pincettes, sont consignées dans Ma Vie Criminelle avec Salvador Dali (Dali & I), livre écrit en anglais et publié en 1998 (sorti chez nous aux éditions de L’Archipel plus de dix ans plus tard). Sans être un chef-d’oeuvre littéraire ni le Da Vinci Code -de son propre aveu-, ce récit peu ordinaire et plein de piquant -l’artiste n’y est nullement épargné- a fait des vagues. Déjà avant sa publication puisque la fondation Gala-Salvador Dali a tenté de le faire boycotter par les médias. Mais après sa sortie aussi. Buzz aidant, l’ouvrage a connu trente-trois éditions à travers le monde, des USA à la Thaïlande en passant par la Russie. Fort de son succès, l’écrivain a même revendu les droits cinématographiques à Hollywood. Le tournage, avec Al Pacino dans le rôle du peintre surréaliste, était sur le point de démarrer lorsque la banque Lehman Brothers a fait faillite en 2008. A 66 ans, Stan Lauryssens est philosophe et pragmatique: « Ça peut toujours se faire! Al Pacino a encore quelques années devant lui pour avoir l’âge du Dali que j’ai connu. Et quoi qu’il arrive, chaque année, je touche de l’argent grâce à ce contrat… » Le décor est planté, la visite guidée peut commencer.

L’entrée de l’exposition est discrète. Il faut vraiment être devant le bâtiment, ancienne banque au style classique, pour remarquer les affiches. « Tout mon contraire! », signale notre homme. « Moi j’étais plutôt dans l’exagération. Pour ma galerie à Anvers, la seule qui existait évidemment, j’avais mis l’enseigne « Paris, New York, Tokyo » pour attraper les clients. » Le prospectus officiel annonce « plus de cent oeuvres essentielles de Dali » réparties sur deux étages. Au rez-de-chaussée, l’exposition commence par un étroit passage rempli de sculptures et séparé de la salle de vente par un épais rideau noir. L’occasion de s’arrêter devant L’Eléphant du Triomphe, tout de vert-de-gris (une patine du bronze) vêtu, et d’écouter une anecdote intrigante de l’ex-escroc: « Je sais comment reproduire ça facilement; un jouet d’enfant pour le corps et des tiges comme celles sur lesquelles on tire à la carabine pour les pattes. Tu assembles le tout et direction la fonderie… » Notre guide évolue dans son ancien élément et cela se voit: il pose des questions au personnel, furète d’oeuvre en oeuvre, les inspecte méticuleusement jusqu’à les toucher discrètement parfois. Plus loin, nous admirons deux belles anamorphoses , « des déformations d’images à l’aide d’un système optique pour en recréer d’autres », avant d’emprunter les escaliers.

Dali, cet illustrateur…

A l’étage, le titre de l’exposition prend un peu plus de sens. Dans une salle aux murs gris et au parquet noir, on découvre une autre facette du talent de l’artiste. Les quelques touristes présents observent avec attention les vitrines dans lesquelles sont disposés les illustrations de livres, cartons d’invitation, publicités et autres couvertures de presse qu’il a réalisés sur commande. Que ce soit pour les magazines américains Vogue et The American Weekly, pour Bryans, une marque de bas à la mode durant la Seconde Guerre mondiale, ou même pour le Dali News, son propre journal. Abstraction faite des légendes parfois trop auto-congralutoires, la collection vaut le coup d’oeil. « On pourrait trouver tout ça en une semaine sur eBay », glisse pourtant cyniquement Stan Lauryssens. Cela ne l’empêche pas de reconnaître les choses à leur juste valeur; il est admiratif devant quelques lithographies suspendues au mur, dont Le Rhinocéros (1970) et Saint-Georges et le Dragon (1947). « Ça, c’est magnifique mais évidemment pas à vendre! », ajoute-t-il malicieusement. « Dommage qu’il n’y ait pas une seule huile sur toile ou aquarelle… Pour ça, il faut aller aux Beaux-Arts voir La Tentation de Saint Antoine, c’est le seul tableau exposé publiquement en Belgique! »

En déambulant dans cette grande salle, une voix à l’accent original attire notre attention. Il s’agit en fait de la bande-son d’une interview d’un Dali roulant ses « r ». Dans une petite pièce voisine, un documentaire est diffusé en boucle sur un grand écran. Des fauteuils sont à disposition. On s’y installe quelques instants et notre bonhomme raconte: « Dali voyait tout par le prisme de l’argent à partir d’un moment, il lui en fallait un paquet avec le sacré train de vie qu’il menait (suites somptueuses dans des palaces, etc.). Son talent créatif est passé au second plan, au point qu’il encourageait même Amanda Lear à réaliser des petits dessins pour son compte! » En pointant du doigt les affiches publicitaires que le peintre avait conçues pour une société de chemins de fer, l’écrivain nous fait remarquer qu’une part du travail de Dali consistait en « d’astucieux collages autour desquels il peignait ses rêves ».

« C’est fou, non? »

Après avoir offert à notre objectif un regard illuminé digne de Dali en personne (la photo), Stan Lauryssens se laisse aller à quelques dernières confidences dans la salle de vente (où certaines oeuvres sont mises à prix à parfois plusieurs milliers d’euros!). Bizarrement, il n’est pas un inconditionnel de l’artiste catalan. Mais plutôt reconnaissant de la fortune qu’il a pu engranger grâce à son art et la ferveur (trop?) excessive qui l’a entouré et l’entoure encore aujourd’hui. A l’époque, tel un Robin des Bois se la jouant perso, l’ex-escroc n’a, d’après lui, rien fait d’autre que d’exploiter la cupidité de certains spéculateurs inexpérimentés. « Le marché de l’art, c’est comme ça, on peut faire croire ce qu’on veut à des gens désireux d’investir mais qui n’y connaissent rien. Je me souviens avoir découpé cent gravures de « La Divine Comédie » issues d’un livre à six mille francs belges, les avoir fait encadrer et vendues six mille chacune… » Des arnaques d’un temps révolu qui lui permettaient à l’époque quelques excès comme celui de prendre l’avion pour aller se faire couper les cheveux de l’autre côté de l’Atlantique. Surréaliste. Tel peintre, tel faussaire?

Kevin Plasman (stg)

Visages Cachés, jusqu’au 10/09, 7 jours/7 de 11 à 19h sur la Grand Place de Bruxelles, www.artcofrance.fr

Ma Vie Criminelle avec Salvador Dali de Stan Lauryssens, Editions de L’Archipel, 2010 (227 p.), www.stanlauryssens.com

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