En images: la virilité part en sucette

© MARSHMALLOW COWBOY, 2020 COURTESY TEMPLON, PARIS - BRUSSELS
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

À l’occasion de sa nouvelle exposition à la galerie Daniel Templon, Will Cotton taille un costard au mythe du cow-boy. Une série hilarante, mais pas seulement.

Au début des années 80, l’agence de publicité Leo Burnett incitait les hommes, les vrais, à choisir leur (feu de) camp une bonne fois pour toutes. « Come to Marlboro Country« , proclamaient des panneaux géants figurant des vachers moustachus, dont le plus célèbre fut incontestablement Darrell Winfield, cow-boy de l’Oklahoma en chair et en daim qui porta le Stetson entre 1968 et 1989 (avant de déposer le lasso, bien plus tard, en 2015… sans la moindre attention pour le karma dans la mesure où il n’a même pas eu la décence de mourir d’un cancer des poumons). N’empêche, on aurait tort de reléguer le « pays Marlboro » au rang des pitreries vintage nées des cerveaux avides des rois de la réclame. Ce territoire où l’on bande dur et sue à grosses gouttes n’a disparu des écrans et des mobiliers urbains qu’en 1997. Autant dire qu’en près de 40 ans, la campagne ayant commencé en 1960, tout un imaginaire collectif et individuel -impossible de ne pas penser à Trump qui avait quatorze ans au moment des débuts de ce vaste enfumage- a été infusé à la testostérone la plus élémentaire. Toujours est-il qu’aujourd’hui, à l’heure où l’on ne se fait plus d’illusions sur la notion de « genre » et que l’on réexamine des sujets aussi délicats que celui du « consentement », il était plus que temps de revisiter le mythe de la conquête de l’Ouest. Will Cotton (1965, Melrose, Massachusetts) s’y applique à l’occasion de sa nouvelle exposition à la galerie Templon. The Taming of the Cowboy opère une rencontre détonante, un « carambolage surprenant », entre gauchos vêtus d’une chemise à carreaux et licornes roses (dont personne n’ignore plus le statut d’icônes LGBTQIA+) sur fond de décors en sucettes et boules de glace torsadées. L’effet est irrésistible, on ne peut s’empêcher de pouffer devant ces scènes mettant à mal un vieux monde qui ne l’a pas volé. Il reste qu’à y regarder de plus près, le travail de Cotton inspire le plus grand respect en raison de sa grande qualité technique. Celle-ci ne manque pas de questionner une autre circulation qui n’est pas celle du genre mais du registre artistique. Le tout pour un hybride pictural au croisement de la grande peinture, de l’imagerie populaire et du storytelling publicitaire (lire notre décryptage par ailleurs). Puisse-t-il féconder les esprits à son tour.

Will Cotton, The Taming of the Cowboy, du 28/05 au 25/07, galerie Daniel Templon, 13A rue Veydt, à Bruxelles. www.templon.com

En images: la virilité part en sucette
© FLYING COWBOY, 2020 COURTESY TEMPLON, PARIS – BRUSSELS
Décryptage: Out of the Woods de Will Cotton

En images: la virilité part en sucette
© OUT OF THE WOODS, 2020 COURTESY TEMPLON, PARIS – BRUSSELS

1. Au sommet de la composition trône un Everest à l’italienne, un pic crémeux qui donne envie d’y déposer la langue. C’est que la pâtisserie est l’une des grandes affaires du New-Yorkais, lui qui a collaboré avec l’enseigne parisienne Ladurée que l’on connaît pour ses fameux macarons. On notera au passage la parfaite distribution des tonalités claires et plus sombres. Cotton n’a pas son pareil pour rendre les fondants sirupeux, la légèreté de la crème fouettée, la meringue, la guimauve ou encore l’effiloché d’une barbe à papa.

2. Out of the Woods (2020), dont le nom à lui seul suggère une zone grise, un territoire incertain entre le conte et le réel, condense tout l’art de Cotton qui s’amuse à promener le spectateur. Cette huile sur lin, de 269,2 cm x 161,3 cm, se déroule tout en rondeur. Un seul angle, ô combien menaçant, acéré et signifiant, vient rompre cette harmonie préétablie: la corne de la licorne aux yeux clairs. Cette épée qui s’ignore, à la fois axe de pénétration du divin dans la créature et phallus mental, dit à elle seule toute l’ambivalence du travail hyperréaliste de l’Américain.

3. Le Candy Land, qui au départ est un jeu de société imaginé en 1948 par Eleanor Abbott pour des enfants atteints de polio (on notera l’intéressant contraste entre le territoire à arpenter et l’immobilité à laquelle sont assignés les petits malades), est un leitmotiv récurrent du travail de Will Cotton. Pour Preuve, l’artiste l’a décliné lorsqu’il a été invité par Katy Perry à opérer comme directeur artistique de la vidéo California Gurls. Le tout pour une régression luisante dont les chromatismes sanglants ne sont pas sans annoncer l’imminent danger d’ingestion. Gare au trop-plein.

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4. La facture parfaite des toiles de Will Cotton laisse rêveur. Elle opère un véritable enrobage du propos dont la sexualisation manifeste est comme désamorcée. Il faut regarder de près la perfection du pelage de l’animal, inspirée par de nombreux séjours en Camargue et dans le Wyoming, pour mesurer combien on renoue avec l’académisme le plus glorieux. C’est le pinceau d’un William Bougureau (1825-1905) qui se profile. À propos de la texture de sa peinture, Joris-Karl Huysmans, l’auteur du légendaire À rebours, déclarait: « Ce n’est même plus de la porcelaine, c’est du léché flasque; c’est je ne sais quoi, quelque chose comme de la chair molle de poulpe ». Cotton excelle dans une veine similaire.

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© UNTITLED, 2019 COURTESY TEMPLON, PARIS – BRUSSELS
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© BAREBACK, 2019 COURTESY TEMPLON, PARIS – BRUSSELS

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