Laurent Raphaël

Édito: From Paris with love

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

De Bruxelles, le manque de vision, d’ambition, de souffle, ou tout simplement de bon sens saute cruellement aux yeux quand on s’offre une escapade culturelle à Paris.

Le surréalisme belge a encore frappé! Alors que le Fédéral et la Région bruxelloise se crêpaient déjà le chignon pour savoir si le futur musée d’art contemporain irait se garer dans l’ex-bâtiment Citroën en bordure de canal (choix de Bruxelles) ou se poser sur une dalle coiffant la portion à l’air libre du tunnel Montgomery dans le parc du Cinquantenaire (l’option défendue par Reynders), voilà que la secrétaire d’Etat à la politique scientifique -et donc collègue du vice-premier libéral-, la N-VA Elke Sleurs, a taclé tout le monde en annonçant dans sa note de politique générale son intention de faire place nette dans le tout nouveau Musée Fin-de-siècle pour y installer les collections d’art moderne qui dorment dans les réserves. Problème: la Région comptait sur ces oeuvres pour garnir « son » Musée. Bonjour la cacophonie. Ou le sabotage aux relents communautaires? On en sourirait si cette farce ne risquait pas de faire autant de victimes: l’art d’abord, Bruxelles et sa population ensuite. Au mieux on aura loupé une occasion stratégique de doter enfin la ville d’un phare culturel, au pire on se retrouvera avec un nouveau cas de Grands Travaux Inutiles sur les bras. A qui le prochain tour de cochon dans ce dossier? Bart, une idée peut-être?

Le manque de vision, d’ambition, de souffle, ou tout simplement de bon sens saute cruellement aux yeux quand on s’offre une escapade culturelle à Paris (mais ça pourrait être Berlin, Londres ou Amsterdam). Bon d’accord, c’est Paris, un aimant à touristes, mais on n’est plus au XVIIIe, la France a des petits problèmes de trésorerie ces temps-ci. Et on ne peut pas dire que l’ambiance soit folichonne sous le règne de Hollande 1er. La culture trinque comme tout le monde. Et pourtant, pour l’amateur d’art, c’est toujours Byzance. Première escale et première claque: la Fondation Louis Vuitton, la danseuse du milliardaire Bernard Arnault. Conçu par Frank Gehry, l’énorme voilier futuriste a jeté l’ancre dans le jardin d’acclimatation à l’orée du bois de Boulogne. Ce jour-là, pas d’expo. Tant mieux, ça laisse tout le loisir de déambuler dans le ventre du navire et sur ses nombreux ponts. Salles spacieuses, mélange harmonieux des matières, lumière onctueuse, le mastodonte dégage une impression de légèreté. Devant les maquettes, on se prend à rêver d’une telle silhouette dans le ciel bruxellois. Si ce n’est par affinités personnelles avec l’art contemporain ou l’architecture moderne, les politiques devraient juste enfiler leur casquette de comptable. Le public se presse et lâche neuf euros (Arnault mécène n’oublie pas qu’il est d’abord un financier) alors qu’il n’y a rien à voir! Mais le bâtiment est déjà une oeuvre d’art, un manifeste à la grâce, et un robinet en or de plus dans le réseau de distribution culturel parisien.

De Bruxelles, le manque de vision, d’ambition, de souffle, ou tout simplement de bon sens saute cruellement aux yeux quand on s’offre une escapade culturelle u0026#xE0; Paris.

En parlant de tuyauterie, on enchaîne avec Beaubourg. On a beau l’avoir vu 20 fois, découvrir l’enchevêtrement de conduites colorées au détour de la rue Aubry le Boucher fait toujours son petit effet. Deux expos ont guidé nos pas vers la raffinerie de Renzo Piano. Au dernier étage, on est venu vérifier si Jeff Koons est le Dali du XXIe siècle ou juste un businessman déguisé en artiste. Après un petit tour au milieu d’un Popeye XXL chromé et d’un Hulk transformé en orgue, on est fixé: le bonhomme est un charlatan. Version tiède de Warhol, il se contente de prendre le contrepied: ce qui est petit il l’agrandit démesurément, ce qui est vulgaire il l’habille de matières nobles. Un peu court pour résumer un monde occidental qui tourne à vide… On laisse volontiers cet art creux et tape-à-l’oeil aux beaufs qui collectionnent aussi les Ferrari et les yachts.

Un peu vaseux, on descend de deux étages pour se remonter le moral avec une solide tranche d’art du XXe siècle. Modernités plurielles est une sorte de best of décomplexé et post-colonialiste de l’Histoire (mondiale) de l’art, des constructivistes aux néo-réalistes en passant par l’indigénisme. Les courants se suivent, se superposent, se répondent, s’entrechoquent. Un parfum d’urgence flotte dans l’air, soulignant d’autant plus la futilité du locataire du penthouse.

Faute de temps, on fait l’impasse sur Hokusai au Grand Palais en se promettant d’y revenir et on file vers le Jeu de Paume pour un quart d’heure américain (et même franchement plus) avec le photographe Garry Winogrand, mort en 1984. La dernière fois qu’on a mis les pieds ici, c’était pour Diane Arbus. Le hasard fait bien les choses. Tous deux ont tiré le portrait de l’Amérique. A cette nuance de taille près qu’Arbus en a exploré plutôt le versant intime, alors que Winogrand s’est penché sur le collectif, à travers des scènes de foule et des décors urbains. Son atout principal: un redoutable sens du cadrage dégorgeant une ironie parfois mordante. Un régal, même si son oeil s’est un peu émoussé à partir des années 70.

Le Thalys fond sur Bruxelles au moment où le soleil se retire sur la pointe des pieds. Le bleu du ciel contraste avec la pénombre qui enveloppe déjà le plancher des vaches. On repense au tableau de Magritte, L’Empire des lumières, qui se trouve au Musée des Beaux-Arts. Une petite consolation… de courte durée, le temps de se souvenir que cette toile fait partie de la collection Gillion-Crowet, menacée par le plan Sleurs. Argh.

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