Danse: un vaisseau vers un autre monde

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Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Le chorégraphe Damien Jalet revient au pays pour présenter à la Monnaie Vessel, élaboré avec le plasticien japonais Kohei Nawa. Prière de lâcher prise pour entrer dans un autre monde.

Le photographe britannique John Coplans (1920-2003) est surtout connu pour une série d’autoportraits en noir et blanc, où son propre corps est représenté nu, en sections, en raccourcis inhabituels, en gros plans où la tête, le visage est généralement absent. Ses mains posées sur ses genoux, ses doigts entremêlés, son torse poilu, ses flancs deviennent alors des paysages. Les masses de chair deviennent des composition abstraites. Le corps humains, tout en restant fondamentalement lui-même, se transforme en autre chose, comme dans ces images ambiguës où l’on peut voir un canard et un lapin dans la même forme, mais pas en même temps.

Dans Vessel, créé à Kyoto en 2015 et présenté ici pour la première fois en Belgique à la Monnaie, le chorégraphe bruxellois Damien Jalet réussit cette même métamorphose, avec des danseurs. Ils sont sept (le Grec Aimilios Arapoglou, complice de longue date du chorégraphe, et six Japonais, dont la star locale Mirai Moriyama) sur une scène noire recouverte d’eau-miroir. Au milieu, une masse blanche, comme une île. La scénographie a été signée par le plasticien japonais Kohei Nawa, dont un Throne flamboyant, couvert de feuille d’or, a occupé la pyramide du Louvre en 2018. Nus, seulement vêtus d’un slip couleur peau, les danseurs ne montreront jamais leur visage, à une seule exception. Et danser sans le regard, sans ce contact avec le public est déjà une prouesse en soi, comme le confirmait dans une interview pour Le Vif la danseuse Marthe Krummenacher, pour son impressionnant solo au visage caché Janet on the Roof, élaboré avec le Français Pierre Pontvianne.

Chez Jalet, la dissimulation de la face s’effectue de plusieurs manières : plié vers l’avant avec les coudes croisés autour de la nuque, le corps jeté en arrière, ou encore collectivement, la tête de l’un coincée dans le torse de l’autre… Ce qui en résulte, avec le concours de la musique prégnante de Marihiko Hara et Ryuichi Sakamoto, est un voyage au-delà de notre monde. Comme la barque de Charon, ce Vaisseau porte vers l’infra-humain, ou vers le supra-humain, c’est selon. Les corps deviennent des gnomes, des monstres tirés d’une vision apocalyptique de Jérôme Bosch, dansant sur des rythmes percussifs. Enfoncés à l’envers dans le sol comme des pécheurs dantesques, ils se métamorphosent en roseaux ondulant légèrement à la surface d’un lac.

Ce n’est presque plus de la danse -et certains sans doute n’accepteront pas de rentrer dans ce trip- et pourtant c’est toute l’essence originelle de la danse, cette évocation, cette communication avec un au-delà présent mais invisible. Et pour les interprètes, de cette naissance par les pieds initiale à la création séminale de l’homme finale, c’est une fameuse performance.

Vessel: à voir encore ce 3 avril à la Monnaie à Bruxelles, www.lamonnaie.be

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