Critique théâtre: sale temps pour les cow-boys

© Camille Meynard
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Derrière la parure flamboyante des héros du Far West, Desperado fait éclater avec un humour malicieux les fêlures de l’homme contemporain. Cruel mais délectable.

Le western a la cote. Au cinéma, même Jacques Audiard s’y est mis (en adaptant The Sisters Brothers, le roman de Patrick deWitt) et Red Dead Redemption 2 s’est transformé en véritable phénomène dans le domaine des jeux vidéo. Le théâtre n’est pas en reste. On a pu voir par exemple ces dernières années Y a pas grand-chose qui me révolte en ce moment, de la Clinic Orgasm Society, Alive, des Gens de bonne compagnie, ou encore Hors-la-loi, de Régis Duqué.

Ce soir, sur la scène du petit Varia, on entend les cow-boys avant de les voir. Leurs santiags résonnent sur le sol alors qu’ils prennent place dans le noir. Et quand la lumière se rallume, on constate que les quatre comédiens n’ont pas reculé devant le total look: chapeaux, sur-pantalon, franges, cravates-lacets avec médaillon, chemises brodées, ceinturons et même éperons. Un accoutrement, assumé avec panache, qui entraîne automatiquement un cortège d’images de grands espaces inondés de soleil, de chevauchées en solitaire, de fusillades sans pitié et de bagarres au saloon.

Rien de tout cela ici ce soir, pourtant. Ou alors métaphoriquement. Le titre, Desperado, est à rapprocher, bien plus que du film avec Antonio Banderas, des Desperate Housewives. En l’occurrence, des « Desperate Working Men », qui parlent bien plus qu’ils n’agissent (seule initiative, venant de Michel: aller chercher le frigo-box pour les rafraîchissements) et dont les discours bravaches, creux, tournant en rond, révèlent petit à petit les failles profondes. Ces cow-boys de fête country n’aiment pas leur job en entreprise, se sentent rattrapés par l’âge et dépassés par leurs jeunes collègues, ont été trahis par leur femme ou ont reçu une injonction d’éloignement vis-à-vis de leur propre fille.

On est donc loin des rois de la gâchette superbement virils, mais très proches du mal-être de l’homme contemporain quand, à un certain âge, il saisit que sa vie ne correspond pas à ses rêves. Tout cela pourrait être morne, voire ennuyeux, si le texte des auteurs hollandais Ton Kas et Willem De Wolf (datant de 1998, mais qui n’a pas pris une ride) ne jouait ingénieusement des répétitions et des déformations d’expressions pour faire surgir le rire et que ce texte au millimètre n’était servi par un quadrille de comédiens aguerris, association inédite des Bruxellois flamands Tristero (déjà vus en compagnie de Transquinquennal dans Coalition) et des Bruxellois francophones Énervé (Petit-déjeuner orageux un soir de carnaval). Youri Dirkx, Eno Krojanker, Hervé Piron et Peter Vandenbempt sont tout simplement parfaits dans la peau de ces quatre hommes frustrés et humiliés, maladroits mais solidaires, et pour qui « l’important n’est pas ce dont on parle, mais le fait qu’on parle ». Un régal.

Jusqu’au 1er décembre au Théâtre Varia à Bruxelles, www.varia.be, du 5 au 14 décembre au Théâtre de l’Ancre à Charleroi, www.ancre.be

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