[Critique théâtre] Gen Z: talkin’ ’bout my generation

Gen Z © Antoine Neufmars
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

À travers plusieurs villes d’Europe, Salvatore Calcagno a recueilli la parole de représentants de la génération Z, celle des jeunes nés après 1995. Dans Gen Z, il la restitue en mélangeant réalité et fiction, comédiens professionnels et vrais élèves, avec une liberté rafraîchissante.

Des notes de synthé en écho précèdent la voix de Karl Hyde. « Drive boy dog boy / Dirty numb angel boy / In the doorway boy / She was a lipstick boy… » C’est sur Born Slippy d’Underworld, célèbre pour avoir figuré dans la BO de Trainspotting, que s’ouvre Gen Z. Pas un hasard: le tube électronique comme le film culte de Danny Boyle datent tous deux de 1996, soit l’an 1 de la génération Z, celle à laquelle l’auteur et metteur en scène Salvatore Calcagno (lui-même pas encore trentenaire) s’est attaché pour sa dernière création, présentée aux Tanneurs à Bruxelles avant d’atterrir à Mons et La Louvière.

Dans la foulée du Garçon de la piscine, fresque aux parfums d’Italie qui battait déjà au rythme de la jeunesse, Salvatore Calcagno a parcouru l’Europe depuis l’été 2016 pour récolter la parole de ces ados et jeunes adultes « digital natives » qui inquiètent (Sont-ils différents? Leur cerveau fonctionne-t-il de la même manière?) autant qu’ils fascinent (par leur mobilité, leur capacité de mobilisation, leur vision horizontale du monde du travail…). C’est à partir de ce matériau authentique que Calcagno a créé sa fiction, pour un spectacle qu’il ne conçoit pas comme « documentaire » mais « documenté« .

Alors que résonnent les premières notes de Born Slippy, une vidéo projetée sur un écran large anime le plateau seulement semé jusque-là de quelques chaises en désordre. Dans un noir et blanc raffiné, on y voit les visages d’une quinzaine de jeunes, qui se maquillent, s’embrassent, se tiennent face caméra d’un air de défi, avant de se mettre en route, en meute. Ils arrivent, ils en veulent et ils débarquent sur scène tandis que le public comprend que la vidéo n’était pas enregistrée mais captée en live dans les coulisses. Parmi eux, on reconnaît quelques fidèles de Calcagno, comme Émilie Flamand et son éternel air mutin, et comme Antoine Neufmars, co-signant tous deux l’écriture du spectacle. À leurs côtés et de ceux d’autres jeunes comédiens évoluent Fatoumata, Sara, Aziz, Diogo, Nisrine, Narcisse, Wassima, Rayhane, Daniel et Madalina, élèves en 7e PC de l’Institut des filles de Marie à Saint-Gilles, portant leurs propres mots et ceux d’autres jeunes européens. Un mélange de vrai et de faux bien maîtrisé par Calcagno, qui n’a pas son pareil pour sublimer la jeunesse, dans sa fougue et ses interrogations. Le metteur en scène fait montre d’une grande liberté dans son collage, glissant là une séquence vidéo d’exposés en classe de français avec prof (Sophia Leboutte) au bord de la crise de nerfs, ici un playback qui fout le frisson sur l’Infirmière de Fauve, s’invitant plus loin lui-même sur le plateau pour poser des questions aux protagonistes.

De cet ensemble bigarré mais cohérent, on ne retira finalement pas de grand scoop sur cette génération Z que les médias aiment tant présenter comme menaçante. On en retient plutôt les aspirations, les colères et les espoirs qui la relient aux autres générations, génération Y, génération X, et ainsi de suite en remontant les décennies et l’alphabet. À l’issue du spectacle, dans le café des Tanneurs où sont rassemblés élèves, comédiens et spectateurs, on remarque pourtant qu’un élément du portrait ne figurait pas matériellement sur scène: le téléphone portable, absent sur les planches, est ici dans toutes les mains, captivant tous les regards. Un trait qui n’est cependant pas propre à leur génération, mais bien à une époque, et qui rappelle à quel point le théâtre est un précieux sanctuaire.

Gen Z: les 6 et 7 mars au Théâtre Le Manège à Mons, www.surmars.be: les 18 et 19 mai à Central La Louvière, www.cestcentral.be

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