Critique théâtre: Duras, impériale

© Théâtre de Liège
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

À ceux qui adorent Duras, mais aussi à ceux qui la détestent ou croient la détester, à ceux qui ne la connaissent pas et à ceux qu’elle effraie, on ne saurait trop conseiller de voir ce Marguerite Duras, actuellement au Théâtre de Liège dans le cadre d’un focus sur l’écrivain.

Au moment où le Théâtre National braque les projecteurs sur le destin tragique de Sylvia Plath, poétesse qui, face à l’apparente incompatibilité de ses rôles d’épouse, de mère et de créatrice, s’est suicidée en 1963, à 30 ans à peine, voici que resurgit au Théâtre de Liège la figure, titanesque, solide comme un roc, exemplaire sur bien des points, monstrueuse sur bien d’autres, de Marguerite Duras, femme de lettres allée jusqu’au bout de ses passions et de ses pulsions artistiques. Le mérite en revient à Isabelle Gyselinx, qui signe la mise en scène et la construction de cet hommage, dosant habilement extraits de textes littéraires (de La Douleur à Un barrage contre le Pacifique en passant par La Vie matérielle), musique live (par Michel Kozuk) et reconstitution d’interviews.

Marguerite Duras, c’est ici d’abord Sophia Leboutte (1), tantôt sensuelle, tantôt dure, réussissant l’incarnation jusqu’au trouble. Il faut la voir, dans la peau de l’écrivain, robe blanche à col roulé, gilet noir, chignon serré et lunettes à monture épaisse, moucher Bernard Pivot (Thierry Devillers) dans son interview de 1984 pour l’émission Apostrophes, ou deviser avec son ami Jean-Luc Godard (Fabrice Schillaci) autour du film de Claude Lanzmann Shoah. Plus vrai que nature! Et puis Marguerite, c’est aussi Alice Tahon, qui la figure en particulier dans ses jeunes années, celles de L’Amant, en Indochine, et celles de la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, aux côtés du futur président François Mitterrand. Mais Marguerite Duras, c’est encore l’amante impitoyable, réalisant jusqu’à l’anéantissement de l’autre, brossée par les mots naïfs et clairvoyants de Yann Andréa (Ferdinand Despy): « les mots-clés c’était « je vous aime », « tais-toi ». Mais Duras, c’est surtout celle qui maniait la langue française comme personne, sachant captiver et toucher au plus profond même à travers la description d’une merde, en l’occurrence celle d’un rescapé des camps, son mari Robert Antelme.

À travers ce portrait, c’est tout le XXe siècle qui est convoqué ici (Duras vécut de 1914 à 1996), les colonies et leur fin, les guerres, ouverte ou froide, et l’émancipation des femmes dont l’écrivaine est une inoubliable figure de proue. Revigorant!

(1) À voir aussi seule en scène dans La Voix humaine de Cocteau, mis en scène par Salvatore Calcagno, du 11 au 13 octobre au Théâtre les Tanneurs à Bruxelles, www.lestanneurs.be

Marguerite Duras: jusqu’au 4 octobre au Théâtre de Liège, www.theatredeliege.be, du 16 au 19 janvier au Théâtre Océan Nord à Bruxelles, www.oceannord.org

Focus Duras au Théâtre de Liège: La Musica Deuxième, mis en scène par Guillemette Laurent, du 10 au 17 octobre, et La Maladie de la mort, mis en scène par Katie Mitchell, du 10 au 13 octobre.

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