Critique théâtre: Don Quichotte, 50 ans après Brel

© EUGENIO SZWARCER / KVS
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Un demi-siècle après sa création à la Monnaie, la comédie musicale L’Homme de la Mancha renaît à Bruxelles, dans un traitement audacieusement contemporain et avec un ancrage à la fois local et universel. Une réussite.

« Quand on fermait les yeux, on croyait entendre Jacques Brel », s’est exclamé un des spectateurs une fois la standing ovation terminée. C’est vrai qu’il est troublant d’entendre Filip Jordens se lancer dans la chanson titre, en adoptant les mêmes inflexions, le même timbre et les R roulés si identifiables du Grand Jacques, dont le comédien se rapproche aussi physiquement, par sa silhouette élancée et la forme de son visage. Alors nous voilà projetés presque jour pour jour 50 ans en arrière, quand Brel créait à la Monnaie -institution dont le spectacle fait l’ouverture de saison extra-muros, au KVS- la version française de Man of la Mancha, dont il avait en personne traduit le texte et dont il endossait lui-même le rôle principal, plutôt trois en fonction des différents niveaux de réalité: Miguel de Cervantes/Don Quichotte/Alonso Quijana.

Mais si le mimétisme est impressionnant, le spectacle ne baigne pas dans le formol. Bien au contraire. L’option du duo de metteurs en scène formé par Michael De Cock et Junior Mthombeni est d’implanter cette fable sur la nécessité de poursuivre ses rêves (« l’inaccessible étoile ») dans le Bruxelles d’aujourd’hui. Par des images vidéo de la ville actuelle, et en particulier de ses grands chantiers de démolition/reconstruction, mais aussi à travers un casting multiculturel et multilingue. Avec au premier plan de cette mixité affichée avec joie, Junior Akwety, « citoyen du monde » né à Kinshasa, reprenant le rôle de Sancho Panza, le fidèle écuyer du chevalier à la triste figure, incarné à l’origine par le chanteur turc Dario Moreno. Sans doute pour éviter tout risque de mécompréhension teintée de néocolonialisme, l’équipe a gommé les termes évoquant la hiérarchie et l’asservissement en transformant légèrement les paroles de son célèbre couplet: « son valet, son fils, son frère » devient « son ami, son fils, son frère », « son seul suivant » devient « son seul copain ».

La voix de Brel de Don Quichotte se mêle au groove très r’n’b de Sancho, mélange que complexifie encore le chant lyrique d’acteurs formés pour l’opéra: la mezzo Raphaële Green dans le rôle d’Antonia, Gwen Blondeel en gouvernante, le ténor Pierre Derhet en prêtre et barbier travesti, la basse Bertrand Duby en aubergiste, et au premier plan, assumant avec panache une double face de putain/princesse dans la peau de Dulcinea/Aldonza, la mezzo Ana Naqe.

Osé tout en restant fidèle, monument conjugué au présent, cet Homme de la Mancha comblera aussi bien les fans de Brel que les amateurs de mises en scène novatrices.

L’Homme de la Mancha: jusqu’au 28/09 au KVS à Bruxelles, www.kvs.be, du 18 au 22/12 au Théâtre de Liège, www.theatredeliege.be

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