Critique théâtre: à crâne ouvert

© Beata Szparagowska
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Partant de sa propre opération d’une tumeur au cerveau, Patrick Declerck, dont c’est ici le troisième texte mis en scène par Antoine Laubin, place l’homme devant l’imminence potentielle de la mort, devant l’immortalité de l’art et devant l’insouciance des animaux. Brillant.

Il n’est pas très sympathique cet Alexandre Nacht. Grand intellectuel trilingue, fan de Bach, citant volontiers Spinoza et Wittgenstein autant que Shakespeare dans le texte, il se révèle bien vite méprisant envers ses congénères et manifestement plus attaché à sa chienne Sally (évoquée sur scène par Tipi) qu’à sa femme Anne. Cet écrivain et conférencier approchant de la soixantaine est ici campé par Philippe Jeusette, toujours délicieux dans les rôles de bougons sarcastiques. Il passera tout le spectacle pieds nus, en partie dans une forme élégante de pyjama et en partie dans une chemise d’hôpital, de celles qui restent désagréablement ouvertes derrière, et des bas de contention blancs.

C’est que dans ce Crâne habilement mis en scène par Antoine Laubin, Alexander Nacht va retracer son opération du cerveau, le 27 mars 2013, ce qui l’a précédé, en remontant ponctuellement jusqu’à son enfance mais se concentrant surtout sur le jour et la nuit juste avant, et puis ce qui l’a suivi. Trois chapitres endossés par trois narrateurs vêtus de noir: Jérôme Nayer, Hervé Piron et Renaud Van Camp, chronologiquement.

De ce récit ponctué par les interventions de Nacht lui-même et du Professeur Cracov (Antoine Laubin), son chirurgien, se dégage bien sûr un suspens, puisqu’il s’agit d’une délicate opération à crâne ouvert en « chirurgie éveillée » (pour que le patient puisse guider les médecins dans la cartographie de son cerveau par l’activité stimulée de celui-ci). Un suspense atteignant bien sûr son climax au moment de cette phase « éveillée » de l’intervention, qui voit Nacht, obligatoirement immobile et sur scène enfermé dans une boîte noire d’où ne dépasse que sa tête, nommer les images qui lui sont présentées sur l’écran de l’ordinateur et résoudre des équations mathématiques avec une fureur de vivre aussi hilarante que désarmante, la simplicité des tâches demandées contrastant loufoquement avec la finesse préalablement affichée de son esprit.

Mais il s’en dégage aussi une réflexion sur la fragilité de notre condition de mortels (quoi qu’en disent Dominique A et Bashung), notamment quand Nacht prend la mesure de son humanité en se comparant à son compagnon de chambre en phase post-opératoire, muet, rivé à un match de foot sur sa télé, et à cette femme SDF dont il soutint la quarantaine de kilos au-dessus d’une balance quand il était étudiant en médecine. « Elle était lui et lui était elle » car nous sommes tous les mêmes.

On passera rapidement sur le fait que ce soir-là au Petit Varia, le malaise d’un spectateur approximativement du même âge que Nacht souligna dans le réel que la vie peut basculer d’une seconde à l’autre. Et même si tout est bien qui finit bien, on ne résistera pas à terminer, comme Nacht, en citant Macbeth: « La vie n’est qu’un fantôme errant, un pauvre comédien qui se pavane et s’agite durant son heure sur la scène et qu’ensuite on n’entend plus; c’est une histoire dite par un idiot, pleine de fracas et de furie, et qui ne signifie rien… » La vie, aussi futile que précieuse.

Crâne: jusqu’au 16 février au Petit Varia à Bruxelles, www.rideaudebruxelles.be

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