Critique scènes: Mi-femmes, mi-chevaux, mi-robots

Ruuptuur
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Avec Ruuptuur, la jeune danseuse et chorégraphe bruxelloise Mercedes Dassy s’essaie à une pièce de groupe avec trois comparses explosives. Et soumet leurs mouvements à d’étonnantes et suggestives prothèses.

En se harnachant elle-même et les trois autres interprètes (Kanessa Aguilar Rodriguez, Kim Ceysens, Justine Theizen) de Ruuptuur d’une prothèse imposante, Mercedes Dassy inscrit sa nouvelle création dans une lignée de chorégraphies (le ballet Groosland de Maguy Marin, Ayelen Parolin rembourrée dans Wherever the Music Takes You, les cheveux enchaînés de Muyte Maker de Flora Détraz, Euripides Laskaridis méconnaissable dans Elenit…) qui, par cette accessoirisation singulière, placent la question du corps au centre et, si celui-ci est féminin, réveillent forcément la lignée de tous les attirails qu’on a pu lui imposer ou qu’on lui impose encore (corsets, crinolines, talons aiguilles…), et donc par ricochet la question de sa perception, de son évaluation, de sa libération, de sa liberté.

Mais en choisissant de donner à son quatuor les allures de centauresses grâce à un prolongement métallique articulé des colonnes vertébrales, Mercedes Dassy va au-delà du physique et touche, par cette vision saisissante, des questions philosophiques complètement dans l’air du temps. Des ruptures dans l’Histoire de l’humanité. Ses corps hybrides sont à la fois la métaphore de la quête (utopique?) d’une union retrouvée entre l’homme et la nature et la traduction low-tech des rêves transhumanistes où, par des extensions ou des incorporations, l’être humain pourrait dépasser ses capacités « naturelles ». Voilà déjà de quoi gamberger pas mal face à ces quatre créatures mythologiques qui, avec leurs ABL, leurs guêtres, leurs cheveux noués et leur manière presque insolente de fixer le public, semblent prêtes à en découdre.

Ruuptuur
Ruuptuur© Michiel Devijver

Ceci posé, qu’en est-il de la danse? Comment bouger, quand on est une krumpeuse ou une spécialiste de l’afro house, avec pareille parure? Comment se connecter au-delà de l’encombrement? C’est ici, nous semble-t-il, que l’originalité de Ruuptuur pose aussi ses limites. Après avoir exploré les quatre coins de cette pesante contrainte, Mercedes Dassy trouve la porte de sortie hors du langage chorégraphique, dans des tableaux qui disent la solidarité féminine, dans des cris rageurs, dans des détournements parfois obscènes des prothèses et dans une bande-son -pulsée par Clément Braive- qui pêche chez Alicia Keys et Kelis quelques tubes sur les ruptures intimes à forte teneur en empowerment féministe. Encore une fois, après le coup de poing i-clit en 2018 et à l’annonce d’un casting où la danse contemporaine se mêlait aux styles urbains, les attentes étaient élevées. L’audace est appréciable, l’énergie séduit, mais l’ensemble, tonitruant à l’excès et décousu, peine à trouver la force sans forcer, et la cohérence qui lui permettrait de captiver.

Ruuptuur: jusqu’au 22 janvier à l’Atelier 210 à Bruxelles, www.atelier210.be; les 28 et 29 janvier au Théâtre de Liège dans le cadre du Festival Pays de Danses, www.theatredeliege.be; le 12 mai au Théâtre Le Manège à Mons dans le cadre du Focus Guerrières, www.surmars.be

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