Critique scènes: Au nom du père

Qui a tué mon père © Pierre-Yves Jortay
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Avec un duo de comédiens idéaux soutenus en live par un musicien, Julien Rombaux porte à la scène le court roman d’Edouard Louis Qui a tué mon père. Le portrait intime d’un homme blessant et blessé, doublé d’une charge brillante contre les systèmes oppresseurs.

« Ta vie prouve que nous ne sommes pas ce que nous faisons, mais qu’au contraire nous sommes ce que nous n’avons pas fait, parce que le monde, ou la société nous en a empêchés. Parce que ce que Didier Eribon appelle des verdicts se sont abattus sur nous, gay, trans, femme, noir, pauvre, et qu’ils nous ont rendu certaines vies, certaines expériences, certains rêves, inaccessibles », écrit Edouard Louis dans Qui a tué mon père.

Après le succès fulgurant de son premier roman En finir avec Eddy Bellegueule racontant sa jeunesse et son départ de son milieu d’origine, Qui a tué mon père (sans point d’exclamation, c’est une dénonciation, un J’accuse…!) est son Retour à Reims (l’essai fameux du philosophe et sociologue Didier Eribon, cité ci-dessus) , son Juste la fin du monde (la pièce de Jean-Luc Largarce dont le héros a inspiré le nom de plume d’Edouard Louis): le retour d’un transfuge de classe et sa confrontation avec la famille qu’il a quittée, en l’occurrence avec son père.

A lui s’adresse le fils dans un monologue écrit par Edouard Louis avec le théâtre -et spécifiquement le comédien Stanislas Nordey- en tête. Si Ivo Van Hove a choisi de confier son adaptation en néerlandais Wie heeft mijn vader vermoord à un seul acteur, le jeune metteur en scène Julien Rombaux (Love & Money de Dennis Kelly, créé au Poche en 2018) prend le parti de donner un corps au père et d’incarner la confrontation (lire aussi). C’est le flamboyant Philippe Grand’Henry (le solo Tout ça du vent, Arctique et le récent Kingdom d’Anne-Cécile Vandalem…) qui est ici le paternel, abîmé par le travail, taciturne, auquel le fils jette la dissection de sa propre vie, son machisme, son rejet « viril » du système scolaire nourrissant les mécanismes de la reproduction sociale décryptés par Pierre Bourdieu.

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Face à lui, l’infatigable caméléon Adrien Drumel (Prix Maeterlinck du meilleur comédien en 2020 pour Le Roman d’Antoine Doinel) déroule les bons et les mauvais souvenirs, les humiliations homophobes (« Un soir, dans le café du village, tu as dit devant tout le monde que tu aurais préféré avoir un autre fils que moi ») et les preuves d’amour, avant de se lancer dans une diatribe pointant les politiciens -français, mais aussi belges pour le coup- qui ont contribué par leurs mesures à appauvrir davantage les classes sociales déjà précarisées.

Présent sur une plateforme à côté des deux garages qui forment le décor, le pianiste et compositeur Camille Alban-Spreng prend en charge la bande-son. L’électro s’y mêle à des références pop inspirées par le récit (Céline Dion, Barbie Girl comme leitmotiv de la honte paternelle). S’y invite aussi judicieusement, dans une séquence dansée, le tube de 1984 Smalltown Boy, dont le clip résumait le parcours d’un précurseur d’Edouard Louis, Jimmy Somerville, dans l’Écosse homophobe des eighties. « Run away, turn away, run away, turn away, run way ». Fort!

Qui a tué mon père: le 12 janvier à la Maison de la Culture de Tournai, du 2 au 4 février à l’Ancre à Charleroi, du 8 au 10 février au Théâtre le Manège à Mons (dans le cadre d’un Focus sur Edouard Louis), du 15 au 26 février au Théâtre de la Vie à Bruxelles.

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