Critique scène: Une voix pour Ali

© Alice Piemme
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Le Choeur d’Ali Aarrass, mis en scène par Julie Jaroszewski, donne une voix, à travers celle d’une vingtaine de femmes, à un homme prisonnier, citoyen belgo-marocain que la Belgique n’a pas aidé. Et offre en passant un fameux cours d’Histoire.

Ali Aarrass existe vraiment. Ce Belgo-Marocain est emprisonné depuis onze ans, accusé de terrorisme par le Maroc, pays où il a été extradé par l’Espagne et condamné « sur base de ses seuls aveux », signés sous la torture (pendaison par les poings, électrocutions, viols…). C’est son histoire que raconte un choeur d’une vingtaine de femmes, chanteuses et comédiennes, amateures et professionnelles, menées par une narratrice d’origine burkinabé (Nadège Ouedraogo) et un coryphée qui n’est autre que Farida Aarras, soeur du principal protagoniste de cette tragédie contemporaine, irrémédiablement absent sur scène mais présent par ses mots et sa photo.

Comme il sied à tout spectacle documentaire, la « petite » histoire d’Ali Aarrass rejoint ici la Grande, qui va se déployer sur cinq siècles, voire plus, en puisant dans un passé mythique qui était peut-être superflu dans la construction déjà complexe de ce spectacle. Ou plutôt de cette « représentation », comme le souligne l’avocate en toge qui ouvre le prologue et lira plusieurs lettres du détenu.

De la prise de Grenade en 1492 par les rois catholiques aux attentats de Paris et de Bruxelles en passant par la conférence de Berlin en 1884-85, où l’Afrique fut découpée en morceaux entre puissances européennes, et la proclamation de la république du Rif en 1921, ce sont de solides chapitres de l’Histoire internationale qui sont passés ici en revue pour mettre en perspective la détention actuelle d’Ali Aarrass, petit-fils d’un partisan de la résistance menée par Abd el-Krim, et fils d’un leader de la reconnaissance des droits civiques des habitants de Melilla, enclave espagnole au Maroc, près de Nador.

Le chant, le théâtre façon farce sur tréteaux de la commedia dell’arte, les images d’archives et les citations (Bourdieu, Brecht…) se partagent la scène pour que ces femmes, essayant vainement de laver le sang de draps blancs, déroulent un récit qui nous touche tous, de près ou de loin. Une « représentation », donc, amplement documentée, édifiante, donnée avec les tripes, à laquelle on reprochera seulement son côté forcément partial (les chefs d’accusation menant aux arrestations de 2006 et de 2008 ne sont pas donnés, par exemple). Une preuve, une de plus, que tous les citoyens belges ne sont pas logés à la même enseigne.

Le Choeur d’Ali Aarrass: jusqu’au 26 avril au Théâtre National à Bruxelles, www.theatrenational.be

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