Critique scène: En rouge et noir

© Alice Piemme
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

« L’enfer, c’est les autres », écrivait Sartre. Avec No One, la compagnie Still Life crée un huis clos dans une station service et explore, entre gore et humour noir, les bassesses de l’être humain. Le tout sans prononcer un mot. Dark, malin et jouissif.

Nous sommes à l’intérieur d’une station service, ces oasis du désert autoroutier. Tout est là : les indispensables toilettes et la tout aussi indispensable machine à café, des boissons alignées derrière la porte transparente du grand réfrigérateur, des en-cas salés et sucrés, des produits pour le soin du corps et des moteurs, et puis les clopes et l’alcool planqués derrière le comptoir. Derrière les vitres, on devine dehors les pompes à essence. Il n’y a d’abord personne dans ce décor hyperréaliste. Jusqu’à ce que l’enseigne « Open » s’illumine et que s’enclenche hors champ l’aspirateur du tenancier des lieux (Colin Jolet, parfait dans le rôle), apparemment fan de Mariah Carey (ou de Harry Nilsson?) et manifestement très attaché à la propreté et à l’ordre de son petit domaine.

Critique scène: En rouge et noir
© Alice Piemme

Propreté et ordre qui vont être troublés par l’arrivée de touristes en gilets orange, tombés en panne avec leur chauffeur et leur guide. Parmi ce petit groupe suant et agacé par la tournure des événements figure une mère, voyageant seule, qui essaie comme elle peut de calmer son bébé (Muriel Legrand, plus vraie que nature). Et l’on découvre bientôt que, dans ce trou perdu, il n’y a pas de réseau pour les téléphones portables.

Sophie Linsmaux et Aurelio Mergola, concepteurs et metteurs en scène du spectacle, introduisent dans cette situation initiale des éléments perturbateurs bien calibrés pour faire rebondir l’action. Ils exploitent par ailleurs l’expression corporelle, les cris et les soupirs de leur petit groupe (cinq comédiens pros et une dizaine de figurants amateurs) pour raconter sans utiliser de mots (à peine, peut-être, l’un ou l’autre « non ! »). Un fameux défi, relevé ici avec panache pour passer à la loupe la cruauté, l’égoïsme et la violence latents en chacun et dont l’explosion est grandement facilitée par l’effet de groupe. Le trait est appuyé, mais les situations sont tellement reconnaissables que ça passe, jusque dans les extrêmes.

Critique scène: En rouge et noir
© Alice Piemme

Un des point de départ du spectacle, explique le duo, a été la performance de l’artiste français Jérémie Pujau intitulée De la poule ou de l’oeuf . Son dispositif est simple : sur une place publique, l’homme installe une table et des cartons d’oeufs puis se plante, muet et immobile à quelques mètres de là. Les passants s’interrogent, se servent dans les cartons et -incroyable mais vrai- finissent presque toujours par balancer les oeufs sur cette cible humaine imperturbable. No One est une fable drôle, noire et sanguinolente sur la vie en groupe. L’enfer c’est les autres, certes, mais comme le rappelle Mariah Carey (et Harry Nilsson), « je ne peux pas vivre si vivre c’est sans toi ». Un des paradoxes de la condition humaine…

Jusqu’au 05/10 au Théâtre les Tanneurs à Bruxelles, le 16/10 au Centre culturel de Huy, les 19 et 20/11 à la Maison de la Culture de Tournai (dans le cadre du Next Festival).

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