Critique

[Critique ciné] Les Malheurs de Sophie, chantons sous la pluie

Caroline Grant dans Les Malheurs de Sophie de Christophe Honoré. © DR
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

COMÉDIE DRAMATIQUE | Christophe Honoré part d’une paire de classiques de la comtesse de Ségur pour redire son amour du cinéma. En toute liberté et à hauteur d’enfant.

Avant d’être cinéaste, Christophe Honoré publiait déjà à l’Ecole des loisirs des romans jeunesse dans lesquels il parlait de sujets graves aux enfants: suicide, inceste, sida… Entre autres joyeusetés. On s’étonne dès lors à peine de son intérêt pour l’oeuvre de la comtesse de Ségur, et son obsession pour le thème du châtiment corporel, dont il adapte ici à la fois Les Malheurs de Sophie et sa suite, Les Petites Filles modèles, dans un geste très libre et en deux temps.

Naturaliste et organique autant que théâtral et maniéré, le film digère les contraires avec un sens consommé du décalage auteuriste: la première heure, solaire, fait place à un second volet qui réfrigère brusquement les ardeurs de Sophie tandis qu’il voit le réalisateur des Chansons d’amour, de Non ma fille tu n’iras pas danser et des Bien-aimés travailler des motifs qu’il connaît bien: le deuil, l’absence, la fin de l’innocence… Devant sa caméra, l’existence est une tragi-comédie sans cesse rejouée, à la fois légère comme une robe d’été et incertaine comme la fine couche de glace qui recouvre une mare gelée.

Les créatures animées (par Benjamin Renner, le réalisateur d’Ernest et Célestine) y côtoient des enfants de chair et d’os, malgré leur teint de porcelaine, dans un élan parfois grave mais toujours ludique où Honoré fait rugir un lion de pierre, donne vie à un tableau avant de refiger le drame pour les cimaises, multiplie les adresses face caméra au spectateur, rejoue l’éternel combat entre cowboys et Indiens sur l’électro de Brodinski…

La règle du jeu

Le Breton dit avoir voulu devenir réalisateur afin de prolonger ses rêveries d’adolescent sur le cinéma. En ce sens, Les Malheurs de Sophie est sans doute moins un film pour enfants que pour ceux qui regrettent le temps où ils l’étaient encore -pour faire court, appelons-les cinéphiles. Après avoir revisité Bataille (Ma Mère, en 2004), Madame de La Fayette (La Belle Personne, en 2008) ou encore Ovide (Métamorphoses, en 2014), Honoré se tourne à nouveau vers la littérature pour y puiser la sève d’un conte très rohmérien (au début des années 50, le cinéaste corrézien s’était d’ailleurs attaqué à l’adaptation des Petites Filles modèles, qu’il n’a jamais achevée) empruntant aussi bien à Truffaut (ce désir de filmer la force nue et agissante de l’enfance) qu’à Demy (cette capacité à en-chanter le monde sans pour autant l’idéaliser). Où l’on ne sait plus très bien si les pleurs d’une fillette sont « pour de vrai » ou non, où finit le jeu et où commence la vie. C’est l’une des singularités du cinéma de Christophe Honoré, dépositaire là encore d’une certaine idée de la Nouvelle Vague: sa ponctuelle artificialité lui confère paradoxalement un supplément de vérité.

« Demain, il sera vivant?« , demande Sophie sans trop y croire en serrant le cadavre d’un écureuil de dessin animé entre ses mains. Sur les écrans et dans les rêves en tout cas il le sera, semble vouloir répondre cette fantaisie dramatique dont la leçon finale est aussi le titre d’un monument du 7e art: chantons sous la pluie.

De Christophe Honoré. Avec Caroline Grant, Anaïs Demoustier, Golshifteh Farahani. 1h46. Sortie: 11/05.

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