Critique

Critique ciné: Le challat de Tunis

© -
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

L’humour est une arme pour la réalisatrice de ce film tunisien épinglant le machisme ordinaire. Epatant et salutaire.

C’était avant la révolution tunisienne. Le pouvoir avait encore pour visage le tyran Ben Ali. Dans les rues de Tunis, une rumeur s’était mise à courir: un homme à moto, armé d’un rasoir, s’en prenait aux femmes pour leur lacérer les fesses! Légende urbaine ou réalité? Tout le monde ou presque en parlait, s’interrogeait, s’amusait ou s’inquiétait selon les points de vue. Mais celui qu’on avait surnommé le Challat (« Balafreur ») restait insaisissable… Une dizaine d’années plus tard, dans la Tunisie d’aujourd’hui, une jeune réalisatrice décide de mener l’enquête, espérant percer le sanglant mystère du mystérieux criminel. Elle s’appelle Kaouther Ben Hania et elle n’a pas froid aux yeux. Son film appelé simplement Le Challat de Tunis fit sensation au Festival de Cannes, où il était présenté dans le cadre de la section ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Distribution). Rarement l’arme de l’humour aura été employée avec autant d’énergie, d’inspiration, et d’efficacité que dans ce faux documentaire rappelant ce que peut être le machisme ordinaire dans la société maghrébine.

Opinions… tranchées

La forme est donc celle de ce que les Anglo-Saxons baptisèrent « mockumentary », et qu’a spectaculairement popularisée voici déjà 23 ans le fulgurant C’est arrivé près de chez vous. Kaouther Ben Hania, dont c’est le deuxième long métrage après Les Imams vont à l’école en 2010 et plusieurs courts sujets, maîtrise bien son propos. Et si tous les éléments du reportage sont réunis, ajustements de mise au point et caméra « bougée » y compris, la réalisatrice et son chef-opérateur Sofian El Fani ne laissent rien au hasard. Ils parcourent les rues, interrogent les passants, cherchant des informations sur le Challat fantomatique mais recueillent surtout des avis -bien réels, eux. En l’occurrence des opinions tranchées, qui ne manquent pas de relayer le point de vue dominant sur le statut des femmes. Et tandis que l’enquête avance, de fausses pistes en hypothèses plausibles, une atmosphère s’installe, qui deviendrait très vite irrespirable si l’humour, la dérision, n’étaient au rendez-vous. Il fallait bien en rire, pour ne pas en pleurer -comme devant les témoignages de ces femmes meurtries dans leur chair, que Ben Hania interviewe et qui furent probablement victimes, non point du fameux Challat mais bien d’imitateurs se sentant appelés à punir « l’immodestie » de ces créatures ayant l’effronterie de préférer la jupe et le jeans au voile et à la djellabah…

AVEC KAOUTHER BEN HANIA, JALLEL DRIDI, MOUFIDA DRIDI. 1 H 30. SORTIE: 23/09.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content