Cri Primal

Danny Boyle fait revivre les Sex Pistols: «C’est simple: je ne serais pas là sans eux.» © FX Networks

Le bouillonnant Danny Boyle reconstitue avec Pistol, sur Disney +, le chaudron du punk anglais et de leurs wonder boys, les Sex Pistols. Échange nourri avant la déflagration prévue pour bientôt sur la plateforme.

Dans son livre autobiographique Lonely Boy (2016), Steve Jones, guitariste et fondateur des Sex Pistols, revenait sur trois années d’existence chaotique, et les blessures traumatiques communes aux membres du groupe, tapies sous l’ennui mortel de cette Angleterre du début des années 70. Danny Boyle ( Trainspotting, Slumdog Millionaire) l’a adapté en minisérie de six épisodes, disponible bientôt sur Disney +, avec une cohorte de jeunes actrices et acteurs ( lire encadré) qui se sont plongés allègrement dans cette matière en fusion.

Le défi est de taille: il a fallu non pas reproduire mais faire ressentir à l’écran l’énergie aux frontières de la création et de l’autodestruction d’un groupe dont la dimension mythologique s’est nourrie d’excès, de provocation et de drames. Documenter les étapes emblématiques ou inconnues de ce succès fulgurant -fruit d’un esprit de synthèse qui a capté, sans la brider, l’urgence de l’époque- autant que sa dissolution au goût de sang et de cendre. “ Tout va pour le mieux, ils se détestent déjà”, prophétisait leur manager, Malcolm McLaren, penché sur les fonts baptismaux de ceux qui allaient changer la face et l’attitude du rock à tout jamais. En attendant de croquer à pleines dents la pomme de discorde du punk façon Danny Boyle, ce dernier revient pour Focus sur les raisons d’être et la méthode de ce coup d’œil dans le rétro, à la redécouverte du cri primal.

Dès le générique de Pistol, les images d’archives racontent une Angleterre vieillissante, un pays abruti. C’est pour mieux insister sur la déflagration que sont venus lui infliger le punk et les Sex Pistols?

Grandir en Angleterre au début des années 70, c’était profondément chiant. Ça sentait le vieux et nous, on se sentait médiocres et fades. Puis, les Sex Pistols et le punk ont débarqué, avec ce grondement: “ Y en a marre de cette merde! Il est temps de devenir ce que vous voulez être.” Évidemment, pour s’extirper de l’ennui et du conformisme, il a fallu aller dans l’excès inverse -les crachats, la violence, les symboles outranciers. C’était nécessaire pour faire exploser cette pierre tombale qui écrasait tout. Il fallait une étincelle, un départ de feu. Plus rien n’a été le même après, surtout pour la classe ouvrière. Fini de mettre ses chaussures le matin pour emboîter le pas de son père en direction de l’usine. Les Pistols et le punk ont supprimé toute idée de temporalité: ce qu’il te restait à vivre, tu pouvais le sublimer, le gaspiller, être vain, futile ou tout le contraire. À toi de jouer désormais.

Quel impact ont-ils eu sur vous qui étiez leur contemporain?

Écoutez, c’est simple: je ne serais pas là sans eux. Je viens d’un milieu très ordinaire, la classe laborieuse. Pour moi, ils ont été dans la lignée d’un Elvis et de son impact sur la révolution adolescente. Ils ont contribué à faire de cet âge bien plus qu’un passage. C’est devenu un acte de bravoure, un défi, une opposition nécessaire. Dans une Angleterre monarchique et stratifiée, c’était une bravade éloquente. Ils ont renversé les barrières, bousculé le cadre. Ça a changé ma vie. Même si j’étais plus fan des Clash. Mais c’est un détail (rires).

Comment avez-vous transmis ça à vos jeunes acteurs et actrices?

J’ai passé beaucoup de temps à discuter avec eux. Il fallait qu’ils sentent à quel point ce moment avait été une bascule. Nos vies aujourd’hui sont remplies d’information, d’opportunités, de stimulations. Le monde a tant de choses à offrir, quand l’Angleterre d’alors en avait si peu. Il n’y avait qu’une publication hebdomadaire du New Musical Express pour s’abreuver de nouvelles sur le rock. Avant et après ça: rien. Ce n’était pas simplement une morne plaine, c’était juste… fade, chiant, naze. Un matin, tu es jeune, l’instant d’après, tu es déjà vieux. Et entre les deux, il n’y avait rien. Et de ce rien est né le chaos.

Visuellement, comment reproduire la frustration, le chaos du punk naissant, sans tomber dans les clichés habituels?

En faisant confiance au processus, l’expérience émerge toujours. Il fallait d’emblée accepter le fait que pour certains spectateurs, le résultat serait perturbant. La dynamique, c’était de revenir à la musique, le cœur nucléaire de l’histoire. L’important, comme à l’époque, c’était l’impact que la musique allait avoir. Peu importe qu’elle inspire du plaisir ou du dégoût. Avec Anthony Dod Mantle, notre directeur photo, on a choisi de laisser les acteurs s’approprier les scènes et la musique. La caméra devait adapter ses mouvements pour essayer de capter les instants. Je me souviens avoir pensé à certains moments: “ Merde, on n’a pas de plan rapproché sur Vivienne Westwood quand elle dit ça”. Mais c’est le prix à payer: ignorer les conventions, les sacrifier pour laisser la scène entre les mains des acteurs. Enfin, notre prodigieux monteur, Jon Harris, a saisi parfaitement cette philosophie. C’est la meilleure expérience de cutting room de ma carrière.

Comment faire passer cette énergie juvénile et brutale dans une série estampillée Disney, sans la galvauder?

Voilà un problème fondamental: quand on fait une série de ce type, en six épisodes, pour une grosse compagnie internationale, pour être compris par les gros bonnets, le script doit être ordonné et structuré. Le processus qui consiste à l’adapter visuellement doit lui aussi être bien organisé. J’ai voulu aller contre ça avec cette série. J’ai eu deux exigences envers les acteurs: qu’il deviennent vraiment bons musicalement, pour que cette colonne vertébrale tienne tout l’édifice. Et pour le reste, qu’ils aient carte blanche avec l’histoire, les dialogues. Le son était l’œil du cyclone d’un immense chaos d’où a émergé le jeu. Il fallait garder cette idée que tout était neuf, dans l’histoire et la manière de la raconter, pour laisser les surprises émerger. J’ai adoré travailler comme ça. Malcolm McLaren disait que c’est seulement dans cette matière en fusion que la vraie créativité émerge, et non de l’imitation.

Avez-vous dirigé vos acteurs pour les prémunir contre le réflexe de l’imitation?

Oui, tu es obligé de les diriger pour éviter ça. Ce qu’on cherchait avant tout, c’était l’essence, non la ressemblance. Le contexte doit être semblable à la photo, pas les personnages. Avec les techniques actuelles, on aurait pu faire ressembler n’importe qui à n’importe qui d’autre. Mais reste alors perceptible dans les mouvements comme quelque chose de faux. C’est une galerie de portraits qui changent en permanence, qui se perdent et dans lesquels les spectateurs se perdent aussi. La vraie joie, c’est de parvenir à effleurer le génie d’un sujet qu’on filme en percevant le génie de celui qui l’incarne. C’est notamment vrai avec Anson Boon, dans le rôle de Johnny Rotten. Il infuse quelque chose chez ce Johnny qui nous détourne de son anatomie telle que l’Histoire l’a retenue, pour raconter un angle particulier qui recèle son absolue vérité.

Jeunes et jolis

Dans Pistol, les quatre chevaliers de l’apocalypse punk sont incarnés par une jeune génération d’acteurs: Toby Wallace joue Steve Jones, Jacob Slater est Paul Cook, Anson Boon est John Lydon et Louis Partridge, Sid Vicious. Pour ces acteurs, le sujet remonte à la préhistoire. Pourtant, entourés de Thomas Brodie-Sangster (Malcolm McLaren), Sydney Chandler (Chrissie Hynde), Talulah Riley (Vivienne Westwood), Emma Appleton (Nancy Spungen) et Maisie Williams (Pamela “Jordan” Rooke), ils font naître une énergie, un moment de collusion et de déchirure dont les les débris émailleront une société transfigurée. “ Je n’ai jamais joué un personnage aussi outrancier, dérangé, fou, nous a confié Thomas Broadie-Sangster. Nous avons passé des semaines et des semaines à répéter, expérimenter avec Danny.” Anson Boon, lui, ne s’est pas limité aux facéties grimaçantes de Johnny Rotten: “ Je ne savais rien d’eux. Je les imaginais talentueux, mais pas autant que je ne l’ai découvert. En trois ans, ils sont passés de trois accords sur Seventeen (I’m a Lazy Sod) , à deux sur Holidays in the Sun . Incarner une telle trajectoire m’a éclaté.

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