Dix-neuf ans après La dernière Croisade, Indiana Jones est de retour, toujours sous la houlette de Steven Spielberg. Privilège exceptionnel, Focus a pu rencontrer le boss quelques jours avant la sortie du film le plus attendu de l’année. Au menu: souvenirs, projets et chaleur humaine.

C’est à Los Angeles, dans le plus grand secret, que Steven Spielberg a mis la dernière main à Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal, quatrième volet de la célèbre saga. Chaleureux, ludique et affable, le géant du cinéma n’a rien d’un E.T. Il nous a reçus en toute simplicité pour évoquer sa carrière, l’avenir du cinéma et le tournage de Tintin, son prochain défi. Qui est aussi un peu le nôtre…

Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal représente-t-il un retour aux sources?

Oui, vraiment. Et ce fut très délibéré. Je ne voulais pas utiliser tout ce que j’ai appris comme cinéaste depuis plus de vingt ans et l’appliquer à ce film, qui du coup n’aurait pas été un membre de la famille Indiana Jones. Je ne cherchais pas non plus à réaliser un hommage. Je souhaitais retrouver la manière dont j’ai réalisé les trois premiers épisodes et, pour cela, j’ai dû oublier toutes mes bonnes habitudes et reprendre les mauvaises. Essentiellement, il s’agissait de retrouver le « look » propre aux films d’aventures de la grande époque. En même temps, ce quatrième épisode s’apparentait à une machine à remonter le temps. J’ai retrouvé des gens avec lesquels je n’avais pas travaillé depuis dix-neuf ans, parfois plus longtemps encore, comme Karen Allen ( Ndlr, interprète d’Indiana Jones et les aventuriers de l’arche perdue ).

Harrison Ford est indissociable de la série et du personnage. Qu’a-t-il apporté que vous n’attendiez pas?

Son sens de l’humour. Harrison a su imprimer au personnage cette sorte d’humour sarcastique, pince-sans-rire, qui n’existait pas dans le script. Il y avait quelques lignes de dialogues drôles, mais elles seraient tombées à plat sans un acteur sachant les dire et en profiter à fond.

A quel moment vous êtes-vous rendu compte qu’Indiana Jones était en train de devenir un véritable mythe?

Le public a adoré le premier film mais, quand je suis retourné sur les plateaux, en 1983, pour réaliser le deuxième volet, il s’agissait simplement de retrouver un personnage populaire. Il est devenu un mythe avec la trilogie et surtout grâce à la télé, aux cassettes vidéo et aux DVD. Le royaume du crâne de cristal a été non seulement, pour Harrison Ford, George Lucas et moi, un retour aux sources, mais aussi notre réponse à la demande du public.

Dans les années 1980, les critiques ne considéraient pas Indiana Jones comme une £uvre personnelle. Etait-ce une erreur?

Indiana Jones est très personnel. Il représente tous les fantasmes que j’ai pu nourrir: être un jour fort, grand, et beau. Sachant que je ne pouvais pas incarner Indiana, j’ai pris la seconde meilleure place: celle du réalisateur. Je suis ainsi devenu Gary Cooper, Clark Gable, Errol Flynn, Tyrone Power et Humphrey Bogart. A ce titre, ce film m’est très personnel. Il représente un rêve d’enfance.

Vous avez toujours dit qu’ Indiana Jones et le temple maudit, le deuxième volet, était celui que vous aimiez le moins.

Oui, mais la plus belle chose qui me soit arrivée s’est passée pendant le tournage: je suis tombé amoureux de Kate Capshaw. Je l’ai épousée et elle est devenue la mère de mes enfants. Cela étant, j’ai revu le film récemment et je l’ai apprécié un peu plus. Mais il y a toujours une atmosphère très sombre, au milieu de l’histoire, qui continue de me déranger.

Vous travaillez toujours sur de très nombreux projets simultanément, même si, finalement, un seul aboutit. Est-ce une façon de vous motiver?

Je fonctionne comme un gamin dans une confiserie. Je sais que, si je dévore tous les bonbons, je serai malade, mais je ne peux pas m’empêcher d’essayer! J’ai envie de réaliser tous les films que je développe, bien que je sache que 2 sur 10 seulement iront au bout. Et il y a aussi les scénarios sur lesquels je travaille au sein de ma compagnie, DreamWorks, mais dont je sais, dès le départ, qu’ils sont pour un autre réalisateur.

Le cinéma fait face, en ce moment, à de multiples transformations, notamment sur le plan technologique. Comment voyez-vous ces évolutions?

Tant mieux si le cinéma change! J’espère que les cinéastes vont continuer à expérimenter, à prendre des risques. J’espère que le cinéma va continuer à évoluer. De plus en plus de films seront, par exemple, réalisés en numérique. En revanche, je n’aime pas la consommation d’images sur des objets comme l’iPod. Je ne veux pas voir un film sur un écran qui tient dans le creux de la main. Ce n’est pas ma conception du cinéma. Mais, en tant qu’homme d’affaires, je dois l’accepter.

Indiana Jones aurait pu être une série de films de la grande époque hollywoodienne . Auriez-vous aimé travailler en ce temps-là?

Oh oui! Dans ces années-là, le système était une usine, mais une usine qui a donné au cinéma américain quelques-unes de ses plus grandes £uvres d’art. Il y a là un grand paradoxe. J’adore penser que j’aurais pu être un réalisateur des années 1930: je reçois un scénario dans ma boîte aux lettres et je n’ai pas d’autre choix que de le tourner, car c’est dans mon contrat. Et qui sait si ce n’était pas le script de La Rivière rouge ( Ndlr, mythique western de Howard Hawks)? Plutôt ça que Les Griffes du loup-garou!

On a beaucoup écrit, ces derniers temps, sur le cinéma américain des années 1970 et sur votre génération de cinéastes (Coppola, Scorsese, De Palma, Spielberg, Lucas). Etes-vous nostalgique de cette époque?

Je me souviens encore de l’odeur de ma couverture de bébé, même si je ne l’ai pas tenue dans les mains depuis des décennies. C’est un peu la même chose avec cette époque: j’en ai gardé l’odeur, mais je n’ai plus vraiment en mémoire les détails des événements. On parlait de nous comme des « sales gosses » du cinéma américain, mais en réalité, les sales gosses étaient ceux pour qui nous travaillions, ceux qui étaient au pouvoir et se croyaient tout permis. En fait, nous avons bénéficié de la peur dans laquelle vivaient les cadres des studios, qui tentaient désespérément d’arrêter le tsunami provoqué par un petit film nommé Easy Rider et qui a menacé Hollywood bien plus que l’échec commercial de Cléopâtre (échec qui faillit mettre la Fox en faillite).

Comment se déroule votre processus créatif?

Si je décide de me lancer dans un projet, c’est parce que tout le film s’est déroulé devant mes yeux en dix secondes. Ensuite, je passe une année et demie à tenter de redécouvrir ce qui était si extraordinaire pendant ces dix secondes. Je revois le film quand il est terminé, seul dans une salle de projection. Je découvre alors si j’ai échoué ou réussi. Avant que quiconque ne vienne décréter si c’est un succès ou un bide, je découvre si je suis parvenu, ou non, à raconter une histoire.

Que pouvez-vous nous dire de Tintin?

Nous avons tourné durant six jours. Nous reprendrons en septembre. Pour la première fois, je travaille en numérique. Les acteurs interprètent les rôles, mais j’utilise la technique de la motion capture ( Ndlr, filmer des acteurs à part et les replacer dans un décor), ce qui me permet d’être le plus proche possible du style d’Hergé. C’est primordial pour Peter Jackson ( Ndlr, réalisateur de la trilogie Le Seigneur des anneaux et producteur de Tintin) et pour moi. Je pense à Tintin depuis 1983. Je devais alors rencontrer Hergé, mais il est décédé une semaine avant notre rendez-vous. Deux semaines après sa mort, sa veuve, Fanny, m’a appelé et m’a dit qu’elle aimerait me voir malgré tout, pour parler de Tintin. Ma productrice, Kathleen Kennedy, et moi nous sommes envolés pour la Belgique et l’avons donc rencontrée. Tintin n’appartient pas à mes souvenirs d’enfance: je n’en avais jamais entendu parler avant de lire une critique qui comparait Les aventuriers de l’arche perdue à Tintin. C’est donc grâce à Indiana Jones que je l’ai rencontré.

RENCONTRE DENIS ROSSANO ET FABRICE LECLERC, à LOS ANGELES

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