Titre - Copenhagen Cowboy
Genre - Thriller/Fantastique
Réalisateur-trice - Nicolas Winding Refn
Casting - Angela Bundalovic, Li li Zhang
Sortie - Disponible sur Neflix
Durée - 6 épisodes de 52 minutes environ
Critique - Jean-François Pluijgers
Nicolas Winding Refn décline ses obsessions au féminin dans Copenhagen Cowboy, une série Netflix en six épisodes qui entraîne Miu, une jeune femme mutique et énigmatique, dans l’inframonde criminel de la capitale danoise. Hypnotique et addictif.
Sortant de la réalisation des treize heures de Too Old to Die Young (2019), Nicolas Winding Refn confiait combien il avait trouvé dans le format de la minisérie le canevas idéal pour son cinéma. Un sentiment que viennent aujourd’hui conforter les six épisodes de Copenhagen Cowboy, qui permettent au cinéaste danois de déployer ses obsessions et son esthétique en mode hyperbolique, pour mieux happer le spectateur dans un environnement trouble, rêve et réalité se confondant pour se muer en cauchemar à la lumière contrastée des néons.
Du vintage Refn, jusqu’au tempo ralenti et aux volutes de synthé de Cliff Martinez, encore que cette série, une plongée dans l’inframonde criminel de Copenhague, traduise également une évolution sensible dans le chef d’un réalisateur dont on a pu épingler la masculinité décomplexée de l’univers (à l’exception notable de The Neon Demon). Mais qui, pour le coup, choisit de décliner ce dernier au féminin. Rien que de naturel, relève NWR, avant d’expliquer que le fait de vivre entouré de femmes -son épouse Liv Corfixen, et ses filles Lola et Lizzielou, associées à des titres divers au projet- l’a rendu conscient du “pouvoir métaphysique de la féminité”.
Mélange des genres
Place donc à Miu (Angela Bundalovic, vue notamment dans la série The Rain) -“je travaille avec Prada pour mon prochain projet, son nom vient de là, il m’a été inspiré par le label Miu Miu de Miuccia Prada”-, une jeune femme énigmatique en qui il serait tentant de voir l’équivalent féminin de Ryan Gosling dans Drive, le survêtement bleu comme alternative au blouson-scorpion. À moins, thèse accréditée par son statut virginal et sa soif de réparation assortie de pouvoirs surnaturels, qu’il ne s’agisse de quelque version moderne de Jeanne d’Arc, que l’on pourrait croire venue de l’espace. Ou encore d’un archétype de western, interprétation à laquelle invite le titre d’une série dont l’arc narratif mélange encore des genres divers: SF, horreur, film noir et l’on en passe -et pourquoi pas un film de super-héros à la mode Refn, après tout? “Copenhagen me semblait avoir une résonance cool pour un titre, et je me suis demandé ce qui pourrait s’y accorder. C’est là que j’ai pensé à Cowboy, Copenhagen Cowboy, CC, avec un côté très érotique, hétéro comme homoérotique d’ailleurs. Comme il y a une neutralité de genre dans la série, cette manière de lui donner une nuance sexuelle m’a paru intéressante. Après, c’est clair que la série consomme beaucoup de choses, parce que la vie consiste en un tas de choses différentes et la créativité également. Quand je vois ce que font mes enfants sur les réseaux sociaux, où ils impriment leurs propres récits, c’est comme si différentes idées fusionnaient pour qu’en jaillisse autre chose, comme s’il n’y avait plus de règles. Je n’ai donc pas à me conformer à une norme quelconque, à ce qui serait correct ou non, parce que ça n’existe pas. C’était bon pour avant. Il n’y a pas de contrôle, juste l’acte de créer. Et c’est ça qui est intéressant.”
S’il malaxe allègrement les genres, NWR comme il griffe désormais ses films, n’en reste pas moins fidèle à ses fixations, vengeance, rapports de domination/soumission, iconisation et autre violence stylisée pavant une œuvre qui a trouvé dans l’“underworld” un cadre on ne peut plus approprié. “Je ne suis pas tant fasciné par l’“underworld” que par le fait que la présence de la peur de la mort améliore le drame, observe-t-il en pesant ses mots, s’exprimant comme ses personnages évoluent, lentement. Je ne tourne pas de documentaires, mes films sont de la réalité augmentée. Pour la trilogie Pusher par exemple, je suis allé dans la réalité afin de la fictionnaliser avec de vraies personnes jouant leur rôle. Et à l’époque de Bronson, j’ai commencé à m’intéresser à l’irréalité, et ce qu’elle signifiait en fait, et le canevas s’en est trouvé élargi, parce qu’au bout du compte, la vraie vie va toujours éclipser n’importe laquelle de vos visions. C’est alors qu’a germé l’idée de drames intensifiés transposés d’un monde réel vers un monde augmenté, tout en veillant à ce que l’on puisse toujours s’y connecter émotionnellement.” Tirade qu’il ponctue de l’une de ces punchlines dont il a le secret: “Si Shakespeare vivait aujourd’hui, il n’écrirait pas sur des familles royales, mais bien sur le crime.”
Un univers en mutation
Un monde qui adopte, chez Refn, des contours graphiques identifiables entre tous, suivant une palette allant du bleuâtre au pourpre pour lui imprimer une atmosphère que l’on a pu, à bon droit, qualifier de néo-noire. “Ça sied parfaitement au drame, au sous-texte, à la sexualité et au tabou. Nous vivons tous des vies très normales, mais nous aspirons, dans nos fantasmes, à quelque chose de différent. Ce que ça peut être m’intéresse et m’attire.” Disposition dont le fétichisme serait comme le prolongement évident, NWR s’inscrivant dans la lignée d’une longue liste de cinéastes, de Hitchcock à De Palma. Lui, pourtant, refuse d’y voir un héritage exclusivement cinématographique: “Je suis quelqu’un de fétichiste, j’aime fétichiser les choses, et peut-être que ça provient de ma dyslexie: je n’ai été capable de lire que très tard, et je n’ai que des aptitudes limitées à écrire. La fétichisation est mon outil.”
Profession de foi d’un artiste à qui les images ont toujours parlé à la première personne. “J’aime les films, mais surtout ceux qui me rappellent la télévision, poursuit-il. Mon introduction au cinéma ne s’est pas faite dans les salles mais bien par le biais de la télévision, quand je suis arrivé à New York à l’âge de 8 ans. Et que j’ai découvert la multitude de programmes auxquels on avait accès en changeant de chaîne, assortie de la possibilité de contrôler la narration et de l’emmener vers quelque chose de totalement différent. C’est alors que j’ai commencé à être intrigué par le monde audiovisuel. Par la suite, j’en suis venu à un mode de réalisation de film plus commercial, dont j’ai le sentiment qu’il devient toujours plus obsolète. Pour la génération de mes enfants, la technologie propose désormais des possibilités bien plus évoluées, en termes de créativité, d’expériences ou de contre-culture, appelez-cela comme vous voulez.”
Des cathédrales à préserver
NWR, pour sa part, a de toute évidence trouvé dans le streaming un médium à sa main, tant par la dilatation du temps qu’il autorise –Copenhagen Cowboy peut être vu comme un film de six petites heures– que par la marge de manœuvre dont il y dispose. “Nous avons écrit le scénario au fil du tournage, et Netflix s’est montré super cool, ne demandant pas à le lire, mais simplement dans quelle direction nous allions, apprécie-t-il. Ils ont été de formidables partenaires: je ne m’attendais ni à une telle collaboration, ni à un tel soutien.”
Pour autant, le réalisateur refuse de se résigner à la disparition du cinéma et de son cadre idoine, la salle: “J’adore les cinémas, et l’idée d’une cathédrale où l’on se rend pour vivre une expérience ensemble. Chaque fois que je passe devant un supermarché, je ne peux m’empêcher de pleurer, parce qu’il est probable que cet endroit a été une salle de cinéma un jour. Je suis sincère: je déplore que ces lieux d’expériences communes disparaissent, ou qu’ils soient remplacés par des centres commerciaux inutiles et des multiplexes dénués de sens. Ça me rend nostalgique, mais je ne sais plus ce qu’est le cinéma: un film, est-ce 30 secondes, deux heures, trois heures ou neuf heures? Le concept auquel nous étions habitués n’a plus vraiment cours. Mais si l’on remonte au temps de l’invention du 7e art, les grands créateurs pouvaient faire des odyssées durant des heures ou des films d’une bobine où quelqu’un regardait le train passer. D’une certaine façon, nous devrions laisser filer le passé, et nous tourner vers l’avenir. En même temps, la pandémie a rappelé que nous étions des êtres humains, que nous existons ensemble, et que plus nous sommes ensemble, mieux le monde se porte. Dans mon esprit, les cinémas ont toujours constitué des endroits où les gens venaient ensemble, collectivement, pour partager une expérience, et il n’y en a pas tellement d’autres, si ce n’est les musées, ou les stades. Mais il y a aussi quelque chose d’unique lié au fait d’aller ensemble dans l’obscurité d’un auditoire pour regarder un écran, et je pense qu’ils devraient faire l’objet d’un soutien obligatoire des gouvernements, dans tous les pays. Ils doivent soutenir les cinémas mono-écrans, qui sont de magnifiques cathédrales dans lesquelles nous nous rendons et où nous existons en tant qu’individus.”
Copenhagen Cowboy
À l’instar de David Lynch ou de Wes Anderson, Nicolas Winding Refn compte parmi ces auteurs dont l’univers est immédiatement identifiable. Ainsi de Copenhagen Cowboy, qui consacre le retour au Danemark du réalisateur de The Neon Demon, sans doute celui de ses films que cette minisérie, sa deuxième après Too Old to Die Young, évoque le plus, adoptant la forme d’un voyage halluciné où la violence la plus crue se fond dans une stupéfiante beauté formelle. NWR y met en scène Miu (Angela Bundalovic), une héroïne mutique et énigmatique douée d’étranges pouvoirs, que l’on découvre alors qu’elle vient d’être vendue comme porte-bonheur à une femme d’un âge certain, attendant d’elle le miracle qui lui permettra de tomber enceinte. À défaut de quoi Miu échoue dans un bordel clandestin dont le patron entend la mettre aux enchères, le résumé d’une vie, selon toute apparence, qui l’a vue passer de main en main depuis que sa mère l’a vendue à l’âge de 7 ans. Et le début d’une odyssée qui la baladera dans l’inframonde criminel de Copenhague, la soif de vengeance et le désir de renaissance comme boussoles alors qu’elle navigue dans la fange au gré des alliances de circonstance, que ce soit avec Mother Hulda (Li Ii Zhang), la tenancière guère moins secrète d’un restaurant chinois crépusculaire, ou avec Miro (Zlatko Buric), avocat véreux ayant l’oreille de la mafia…
Éloge de la lenteurComme souvent chez l’auteur de Only God Forgives, l’intrigue -où il sera encore question de cochons voraces, de masculinistes bouffons et de beaucoup d’autres choses, y compris surnaturelles- n’est toutefois que prétexte, qui suit un cours suspendu (appelant limpidement à une deuxième saison). Et si Copenhagen Cowboy repose sur des attendus de western, avec son personnage venu de nulle part et dénué de passé tangible -on pense à Shane, à moins qu’il ne s’agisse d’une Jeanne d’Arc de l’espace-, tout en lorgnant vers l’horreur, le fantastique ou encore le néo-noir, c’est avant tout d’une expérience sensorielle qu’il s’agit. À cet égard, le format de la série, qu’il distord habilement, convient idéalement au cinéma de NWR, la lenteur, du récit comme des personnages, étant ici érigée en principe cardinal pour trouver une ampleur inédite, tandis que l’esthétique, oscillant entre plans fixes et travellings circulaires dans un univers baigné de couleurs néon et de l’électro de Cliff Martinez, confère à l’ensemble des allures de voyage au confluent du rêve et du cauchemar. Le Lynch de Twin Peaks n’est guère éloigné dans une série tenant encore par endroits de l’installation. Un cadre immersif où Refn laisse libre cours à son fétichisme et à ses obsessions, non sans adopter des accents féministes inattendus. Comme si, l’air de rien, Copenhagen Cowboy sonnait la révolte des femmes contre un patriarcat nauséeux, dans un geste cinématographique radical aussi hypnotique que résolument addictif.
Minisérie de Nicolas Winding Refn. Avec Angela Bundalovic, Andreas Lykke Jørgensen, Zlatko Buric. Disponible sur Netflix. 8Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici