Vers un avenir radieux, une comédie sur le cinéma dont l’ironie se teinte de mélancolie
Titre - Vers un avenir radieux
Genre - Comédie dramatique
Réalisateur-trice - Nanni Moretti
Casting - Nanni Moretti, Margherita Buy, Mathieu Amalric
Sortie - En salles
Durée - 1h35
Critique - Jean-François Pluijgers
Dans Vers un avenir radieux, Nanni Moretti revient à un genre lui ayant toujours réussi, l’autofiction, pour signer une comédie sur le cinéma dont l’ironie se teinte de mélancolie.
La scène se déroule en 2021. Mécontent du palmarès du festival de Cannes qui couronnait Titane, de Julia Ducournau, Nanni Moretti déverse son aigreur dans un tweet assassin: “Vieillir d’un coup. Ça arrive. Surtout quand ton film (le décevant Tre piani, NDLR) participe à un festival. Et qu’il ne gagne pas. Alors que gagne un autre film, dans lequel l’héroïne tombe enceinte d’une Cadillac. Tu vieillis d’un coup. Pour sûr.” La messe est finie? Voire: deux ans plus tard, le cinéaste romain semble fort heureusement revenu à de meilleures dispositions. Vers un avenir radieux, son quatorzième long métrage, le voit renouer avec un genre qu’il affectionne, l’autofiction. Et se mettre en scène sous les traits de Giovanni, un réalisateur ayant de la bouteille dont le nouveau film, situé en 1956 à l’époque de l’invasion russe en Hongrie -nul miroir de la situation actuelle en Ukraine, assure-t-il, le scénario ayant été écrit avant l’agression russe-, se heurte à divers problèmes, logistiques et autres. L’occasion, pour Moretti, de prendre la mesure du temps qui passe, à l’amnésie historique voulant que plus personne ne se souvienne de ces événements -“la mémoire n’est pas le point fort des Italiens”, glisse-t-il- venant s’ajouter que le monde et le cinéma ont beaucoup changé. “Giovanni est en train d’essayer de faire un film que l’on pourrait définir comme anachronique. Un film cher à son cœur et auquel il est fort attaché, mais dont la réalité est qu’il n’intéresse sans doute personne, en dépit de son implication et de l’attention qu’il y a apportées.” Et d’apparaître en décalage aussi bien avec l’époque qu’avec son médium, un constat qui, s’il ne va pas sans une certaine acrimonie, trouve le plus souvent les accents doux-amers d’une comédie joliment enlevée.
Trois rôles, une seule personne
De Giovanni, Nanni Moretti constate qu’“il n’est pas un alter ego, mais beaucoup plus que cela”. Difficile de ne pas voir dans ses (més)aventures au pays du cinéma une projection du ressenti du réalisateur de Bianca à l’égard de l’évolution de son art. “Le film traduit très clairement mes idées et ma vision des tendances du cinéma et des séries -pas toutes les séries, ni tous les films, mais ceux qui sont le plus à la mode. J’aime d’ailleurs certaines séries, comme The Last Dance, sur Michael Jordan et son équipe de basket, ou encore Broadchurch ou Succession. Comme spectateur, je pense avoir toujours la même curiosité que quand je me rendais au cinéma il y a 50 ans. J’aspire toujours à voir d’autres personnes raconter leurs histoires, et j’éprouve toujours le désir de raconter les miennes…”
Si Vers un avenir radieux le montre admonestant un jeune confrère réalisant un film de genre -écho, suppose-t-on, à son aversion pour Titane-, c’est aussi l’importance acquise par les plateformes qui le préoccupe, objet d’une scène hilarante où Giovanni se retrouve à discuter financement avec des représentants de Netflix. “Je ressens toujours le désir de faire mes films pour le cinéma. Quand je pense à un film, que je l’écris et que je le tourne, le public cible que je me représente est fait d’inconnus installés dans une salle obscure, et regardant des images bien plus grandes qu’eux. Cela n’a rien à voir avec de la nostalgie. Les plateformes sont adaptées aux séries ou vice versa, mais les films sont faits pour le cinéma.” Autant dire qu’il n’est guère disposé, à l’inverse de Paolo Sorrentino ou Martin Scorsese, à répondre aux sirènes du streaming: “J’ai la chance de réussir à réunir le financement de mes films parce que mon public est réparti dans de nombreux pays -pas 190, mais beaucoup. Jusqu’à présent, j’ai toujours réussi à financer mes films. Si cela ne devait plus être le cas, je m’attellerais à inventer une manière de faire des films low cost. Quand Martin Scorsese a tourné The Irishman pour Netflix, cela m’a fait mal comme réalisateur, comme producteur et comme spectateur, trois rôles qui, chez moi, sont une même chose et forment une même personne.”
Cet amour du cinéma, il irrigue d’ailleurs le film, y imprimant un mélange de légèreté et de mélancolie, et même une touche pour ainsi dire fellinienne: “Ce n’était pas intentionnel, mais ce n’est pas non plus un hasard: quand on a aimé certains auteurs à ce point, il est normal qu’une certaine atmosphère affleure, même inconsciemment. Fellini est un géant, laissons-le en paix. Je me sens très proche du cinéma d’auteur des années 60, que ce soit le Free Cinema en Angleterre, la Nouvelle Vague en France, les premiers films de Skolimowski ou Polanski en Pologne. Et, en Italie, les débuts d’Olmi, Bellocchio, Bertolucci, Taviani, Pasolini, Ferreri. Si j’aime ce cinéma, c’est parce qu’il se questionne lui-même et imagine une société différente, mais aussi une manière différente de faire des films. Ils ont refusé le cinéma et la société dont ils avaient hérité.” À l’image d’un film qui professe l’envie d’être heureux. Malgré tout…
Vers un avenir radieux (Il sol dell’avvenire)
Signe des temps, c’est au guidon d’une trottinette et non plus d’une Vespa que Nanni Moretti apparaît sur l’affiche de son nouveau film, Il sol dell’avvenire. Le cinéaste romain y incarne Giovanni, un réalisateur tournant un film dont l’action se situe en 1956, au moment de l’invasion soviétique en Hongrie, et questionnant l’attitude adoptée par le parti communiste italien à l’époque. Pour découvrir que ces événements oubliés ne suscitent plus aujourd’hui qu’indifférence, alors même que le cinéma a beaucoup changé, et que, entre soucis de production et ennuis domestiques, lui-même est passablement déphasé… Après le décevant Tre piani, Moretti renoue avec un genre lui ayant toujours souri, l’autofiction. Si l’élan n’est sans doute plus aussi souverain qu’à l’époque de Caro diario, le résultat n’en est pas moins intensément savoureux, qui vibre de l’amour du cinéma, à quoi le cinéaste ajoute une bonne dose d’ironie et ce qu’il faut d’autodérision (même feinte), sans oublier une touche de mélancolie…
De et avec Nanni Moretti. Avec Margherita Buy, Barbora Bobulova, Mathieu Amalric. 1 h 36. Sortie: 28/06. ***1/2Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici