Un triomphe: Kad Merad, acteur en prison
Dans une comédie réjouissante, Emmanuel Courcol met en scène des détenus montant En attendant Godot. Manière de mieux affirmer le pouvoir libérateur de la culture. Entretien.
À l’origine d’Un triomphe, le second long métrage d’Emmanuel Courcol, on trouve une histoire vraie s’étant déroulée en Suède dans les années 80, lorsque Jan Jönson, un metteur en scène de théâtre, avait décidé de monter En attendant Godot avec les détenus d’une prison. Une entreprise couronnée de succès, mais aux conséquences inattendues, qui devait inspirer une vingtaine d’années plus tard à Michka Saäl le documentaire Les Prisonniers de Beckett. Et aujourd’hui au réalisateur de Cessez-le-feu une transposition dans la France contemporaine, pour une fiction inscrite dans une réalité âpre à laquelle il a toutefois choisi d’imprimer un ton de feel good movie, sur le mode de la comédie à l’anglaise.
Au coeur de celle-ci, Étienne Carboni, un acteur en galère acceptant à contrecoeur, histoire de nouer les deux bouts, d’animer un atelier théâtral en milieu carcéral. Un personnage tout en aspérités, guère en phase, en tout état de cause, avec la rondeur un peu lisse que l’on prête généralement à Kad Merad, à qui Emmanuel Courcol a choisi de confier le rôle: « Je calais un peu en faisant le tour des acteurs susceptibles de l’interpréter quand mon producteur, Marc Bordure, m’a suggéré de regarder Baron noir, explique-t-il. J’y ai vu un Kad Merad très différent, avec matière à nourrir le personnage d’Étienne. C’est un personnage complexe, habité par des élans contradictoires, ambigus, et j’ai essayé d’éloigner Kad de son image parfois un peu trop sympathique de bon gars. Je voulais un personnage en colère, dans la frustration, qui vit cette expérience dans un état d’urgence, de survie, comme plein de comédiens en fait. ça m’intéressait de voir Kad sous cet angle-là, un personnage qui, a priori, ne soit pas très sympathique et se révèle petit à petit… » Une intuition payante, la mue du comédien n’étant pas étrangère à la réussite d’Un triomphe. Face à lui, une galerie de jeunes acteurs peu connus, qui incarnent au plus juste le choeur de détenus amenés à se frotter à l’univers de Beckett. Le fruit d’une approche immersive, Emmanuel Courcol ayant suivi pendant plusieurs mois un atelier organisé au centre pénitentiaire de Meaux, auquel il a consacré un documentaire. Manière de se pénétrer de la vérité des lieux, et de ceux qui le peuplent, l’expérience ayant contribué à peaufiner les portraits des différents protagonistes.
Un film d’actualité
Logiquement, le réalisateur a veillé à insuffler aux comédiens un esprit de troupe, « parce que je viens du théâtre, et que je pense que c’est ce qui convenait au film: je voulais des acteurs dont l’on puisse croire que c’était de vrais détenus, des amateurs ». Opérant par allers et retours entre l’univers carcéral et la scène théâtrale, Un triomphe vient aussi fort à propos rappeler le pouvoir… libérateur de la culture, la réinsertion en ligne de mire. « C’est vraiment un film d’actualité, pour le coup. Nous sommes tous en demande d’art et de culture. Être confinés (l’entretien s’est déroulé par Zoom en janvier dernier, NDLR), c’est une condition très luxueuse par rapport aux détenus, mais ça permet d’éprouver la nécessité de la culture. S’il y avait eu plus de culture avant, il y aurait peut-être moins de gens en prison. Mais puisqu’il y a des prisons, il faut absolument y apporter quelque chose, susciter, aller chercher les détenus qui, dans la grande majorité, sont éloignés de la culture. Quand j’ai suivi un atelier de théâtre en prison pendant quelques mois, les détenus avaient été désignés par le service de probation pour y participer. C’était un projet d’opéra hip-hop, avec des ateliers d’écriture, de boxe, de la musique, un gros truc. Ils étaient neuf à avoir été choisis, des peines longues, qui avaient eu des problèmes de violence, absolument pas demandeurs. Dans un premier temps, ils ne comprenaient pas ce qu’ils allaient faire, et puis, petit à petit, ils s’y sont intéressés, se sont passionnés. J’ai pu les voir se transformer, ils découvraient des choses, et se découvraient eux aussi différents, avec des possibilités. Ils ont aussi réalisé que l’on peut mener un projet du début à la fin, et assumer une forme de reconnaissance. C’est absolument nécessaire, et ça peut nous parler encore plus en ce moment. »
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