The Pirates!: visite des coulisses de la dernière pépite des studios Aardman
Cap sur Bristol et les salles aux trésors des studios Aardman, chantres du film d’animation à la sauce anglaise, à l’heure où leurs fougueux Pirates! prennent les écrans d’assaut. Pas des marrants d’eau douce…
Juin 2011. Les personnages phares des studios Aardman nous accueillent à l’entrée d’un gigantesque entrepôt perdu aux abords de Bristol. Il y a là notamment le génie lunaire Wallace, le chien savant Gromit, le coq en pâte Rocky ou le rat d’égout Roddy, tous immortalisés dans un saisissant simulacre de vie résineux. Au mur trône un poster où un chapeau pirate glissant sur un long mât indique l’état d’avancement du projet en cours: 400 plans tournés. Le haut du mât culminant à 1545 plans et cette date: 16 janvier 2012, jour planifié de la mise en boîte définitive de l’aventure.
Plus loin, dans une salle de réunion dont l’une des vitrines renferme, l’air de rien, un Oscar, Arthur Sheriff, responsable de la communication, revient sur le parcours et la philosophie de la maison alors qu’elle s’affaire autour non pas d’un mais de deux films attendus dans les mois suivants (The Pirates!, donc, mais aussi Arthur Christmas, paru sur les écrans fin 2011, et réalisé entièrement en images de synthèse).
« C’est la première fois dans l’histoire des studios que nous nous apprêtons à sortir deux longs métrages dans un si bref intervalle », explique le vieil homme, peu soucieux de réfréner sa fierté toute british baignée d’excitation. En ce printemps 2011, Aardman n’affiche en effet « que » trois longs métrages au compteur… en quelque quatre décennies d’existence. Un format auquel ils n’ont été en mesure de s’attaquer, il est vrai, qu’à l’aube des années 2000.
C’est au début des seventies que Peter Lord et David Sproxton fondent les studios Aardman, projet fauché qui tire son nom du super-héros parodique qu’ils viennent de créer pour la BBC. Au fil des brèves capsules et des courts métrages qu’ils livrent bientôt pour la télé anglaise, la pâte à modeler, combinée à une animation image par image, devient leur marque de fabrique. Et Wallace & Gromit le tandem-étendard d’une production variée comptant son lot de spots publicitaires ou de clips vidéo (le fameux Sledgehammer de Peter Gabriel, notamment).
Fin des années 90, Aardman passe un accord avec DreamWorks afin de financer et distribuer le premier long de son histoire, Chicken Run. Ensemble, ils produiront trois films, avant qu’Aardman ne mette un terme à la collaboration pour rallier Sony. « Jeffrey Katzenberg ne voulait plus faire que des films en images de synthèse, bougonne Sheriff. Ce n’est pas notre truc. Ok il y aura bien Arthur Christmas mais les Wallace & Gromit ou The Pirates! aujourd’hui ne peuvent se concevoir qu’en stop motion (animation image par image, ndlr) pour nous. »
La rupture, ceci dit, s’est faite en bons termes, nous assure-t-on. « Le monde de l’animation est une grande communauté. Nous sommes très amis avec Pixar, par exemple, dont les débuts sont assez similaires aux nôtres. Je pense aux courts métrages réalisés par John Lasseter. Aujourd’hui, avec les Toy Story, Cars et consorts, Pixar a atteint la stratosphère: c’est dingue ce qu’ils ont accompli! » De là à traquer les similitudes entre les deux maisons… « Il y a une grosse différence culturelle, tempère Sheriff, c’est notre sens de l’humour très british. Il y a vraiment un humour Aardman, reconnaissable entre mille. » Sur quoi Julie Lockhart, productrice de The Pirates!, renchérit: « Et puis ils ont une piscine dans leurs installations et pas nous (rires)… Non mais c’est vrai qu’il y a des deux côtés cette même attention particulière aux détails et ce plaisir énorme, perceptible, à faire des films. »
Avoisinant les 60 millions de dollars, le budget de The Pirates! ne représente même pas la moitié de celui d’une production Pixar, mais le film n’en constitue pas moins le projet le plus ambitieux de l’histoire des studios. « Nous n’avons jamais travaillé sur une production aussi énorme. Nous n’avons jamais non plus poussé le sens du détail aussi loin. Le film résulte d’une combinaison complexe de stop motion et d’images de synthèse. Certaines choses sont en effet trop difficiles ou trop coûteuses à animer, comme les éléments: l’eau, le feu, le vent… On utilise également les ordinateurs pour retoucher certains aspects de l’image. »
Et tout l’esprit des studios Aardman aujourd’hui de se retrouver résumé dans ce mouvement de balancier entre l’assimilation raisonnée des nouvelles technologies et la survivance d’un artisanat pur et dur.
Travail de fourmis
Un passage par le département où sont conçues les marionnettes utilisées pour le film permet d’en mesurer le sidérant degré de complexité. Hier matériau privilégié, la pâte à modeler ne constitue plus désormais qu’un pourcentage mineur de leur composition. La reine Victoria bien en chair de The Pirates!, par exemple, résulte d’un assemblage particulièrement élaboré de silicone, de latex, de plasticine et de résine. Tous éléments dont la mise en couleur facilite l’harmonisation. Pour un travail global consistant à marier le sériel -24 clones du Capitaine Pirate ont ainsi été moulés afin de lui permettre de se démultiplier entre les plateaux de tournage- et le singulier. « Sur Chicken Run, tout était trop lisse, nous explique-t-on. On prenait soin d’effacer scrupuleusement les moindres traces de doigts qui traînaient sur la plasticine. Mais non, il ne faut pas, on aime ça, c’est la touche humaine de notre travail. Pour The Pirates!, on n’a jamais essayé de cacher le fait qu’il s’agit là de marionnettes avant tout. »
Les couloirs des studios grouillent de geeks aux allures de grands enfants qu’on aurait lâchés un peu trop longtemps dans un magasin de jouets: harassés d’enthousiasme. Tandis que les murs et bureaux de chaque département sont littéralement truffés de private jokes, clins d’oeil, dessins et autres objets détournés se référant à l’univers des pirates, exécutés avec ce même souci maniaque du détail qui caractérise les films Aardman.
Sur chacun des 35(!) plateaux utilisés pour The Pirates!, les animateurs, en étroite collaboration avec le(s) réalisateur(s), s’attèlent à un véritable travail de fourmis, enregistrant image par image les infimes changements qu’ils prennent soin d’imprimer aux marionnettes entre les prises. Chaque personnage possède une armada d’accessoires, allant des vêtements de base aux éléments du corps: plusieurs bouches, interchangeables et « clipsables » suivant un système aimanté, permettent ainsi de rendre les différentes expressions du visage. Tout comme un assortiment de sourcils fixables avec une pointe de plasticine.
A côté du grand bateau pirate autour duquel s’affaire une animatrice, du matériel de cuisine et une guitare posée dans un coin en attendant la pause donnent au plateau des allures de seconde résidence. C’est qu’il en faut du temps, et de la patience, pour mettre en boîte quelque… quatre secondes d’animation par semaine. Une paille, donc, et un exercice d’endurance extrême qui ne transpire jamais à l’écran, le rythme proprement frénétique habitant les productions Aardman n’en finissant d’ailleurs pas de sidérer eu égard à leur mode de fabrication -un long métrage maison requiert cinq années depuis son écriture jusqu’à sa finalisation, le tournage proprement dit s’étalant sur près de 20 mois.
Parfaitement en phase avec les us et coutumes des lieux, les visages de tous les animateurs sont rassemblés entre deux plateaux en un tableau les représentant comme autant de membres d’un équipage de corsaires sanguinaires. A dire vrai, des mers du sud au continent glacé, on n’a jamais connu pirates à ce point appliqués…
Nicolas Clément, à Bristol
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