
The New Year That Never Came, la comédie qui téléporte au pays de Ceausescu… et du Père Noël
Le cinéaste roumain Bogdan Muresanu frappe fort avec The New Year That Never Came, premier long métrage ambitieux à l’humour corrosif sur la façon dont l’histoire et la vraie vie des gens se télescopent, pour le meilleur et pour le pire.
Vainqueur de la Compétition Orizzonti à la Mostra de Venise, Bogdan Muresanu s’est imposé l’été dernier avec ce premier long métrage. The New Year That Never Came (Ce Nouvel An qui n’est jamais arrivé, en VF) s’inscrit dans une réflexion déjà entamée dans ses courts métrages. «Il y a des années, j’avais commencé à écrire un film autour de l’idée de démolition. Je suis né à Bucarest, et Ceausescu en son temps a détruit une bonne partie de la ville. Il a même détruit une colline, aussi incroyable que cela puisse paraître. C’était un peu comme une guerre civile, sauf qu’on avait un dictateur qui faisait la guerre à son propre peuple. Parallèlement, il avait construit la « Maison du Peuple », le deuxième plus grand bâtiment du monde après le Pentagone, pour un petit pays comme la Roumanie. Ce palais, c’est une image de la folie. Je voulais faire un film là-dessus, mais je ne savais pas comment aborder la question. J’ai alors écrit un court, Le Cadeau de Noël, l’histoire d’un petit garçon qui dans sa lettre au Père Noël, demande au nom de son père la mort du dictateur, dans une société où le courrier est surveillé. En l’écrivant, je savais déjà que ce ne serait que le fragment de quelque chose de plus grand. Pendant deux ans, j’ai écrit cinq autres histoires, qui duraient toutes plus ou moins 40 minutes, mais ça faisait un film qui aurait duré 4 heures! Il me manquait le ciment, elles ne s’agençaient pas les unes avec les autres. Et puis j’ai eu une vision, un rassemblement populaire qui réunirait les personnages, et là j’ai recommencé à écrire par la fin. Je voyais un mélange d’images d’archives, et de plans avec mes comédiens. A partir de là, tout s’est mis en place très vite.»
De fait, la fin est particulièrement galvanisante, illustrant l’adage «tout vient à point à qui sait attendre». Et l’usage du Boléro de Ravel, que l’on pensait avoir trop entendu au cinéma, y est singulièrement judicieux. «Quand j’essayais de visualiser le script, j’avais beaucoup de possibilités. Les personnages pouvaient tous se rejoindre, ou se croiser quelques instants au cours du film. La musique offrait une belle analogie pour moi. Dans le Boléro, il y a plein de répétitions, mais aussi de légères différences entre les instruments. C’est un crescendo, la tension monte. J’ai essayé la scène sans le Boléro, j’avais peur que ce ne soit trop cliché, mais il était là dans ma tête quand j’écrivais, il était devenu nécessaire. ça aurait pu être Carmina Burana, à la limite, mais je trouve le Boléro plus érotique, en un sens, et la révolution a ce côté orgasmique, je trouve. Un orgasme politique de la libération!»
«Quand j’ai commencé à écrire, je n’avais pas idée à quel point les gens allaient se projeter, partout, dans ce film.»
Une journée particulière
La journée particulière que raconte le film l’inscrit dans la frise chronologique de la guerre froide, de la chute du communisme, des grands bouleversements du XXe siècle. «La perspective historique n’est qu’une toile de fond, poursuit Bogdan Muresanu . Ce qui m’intéresse, c’est la façon dont les gens ordinaires s’arrangent des évènements extraordinaires que l’on appelle l’histoire –même en train de se faire. On se réveille un jour, et on ne sait pas qu’on va vivre un moment historique. On s’habille, on boit un café. Je ne sais pas si c’est vraiment possible d’avoir ce sens de l’histoire. Bon, peut-être Napoléon sur le champ de bataille à Waterloo, mais à part ça…»
Pourtant, c’est cette rencontre entre le quotidien et l’historique qui contribue à universaliser et actualiser le propos. «Quand j’ai commencé à écrire, je n’avais pas idée à quel point les gens allaient se projeter, partout, dans ce film. Pour moi, c’était juste un film d’époque, des anecdotes au sens étymologique, des histoires ignorées appartenant au passé. J’ai pourtant étudié la philosophie politique, j’aurais dû m’en douter. C’est sûrement parce qu’on n’a pas le sens de l’histoire. On dit que l’histoire se répète, mais c’est plus complexe que ça, c’est qu’on ne voit pas l’histoire en train de s’écrire. J’ai lu des sondages récents disant que les gens veulent des états plus autoritaires. Est-ce de l’oubli ou de l’ignorance? C’est fou, quand on sait à quoi ça mène, le contrôle des corps et des esprits. Sous la dictature en Roumanie, on ne pouvait pas voyager, les femmes ne pouvaient pas avorter. Imaginez un confinement de 40 ans, en pire! C’est toujours étrange de penser que l’avenir s’annonce très semblable au passé. Peut-être qu’il est temps pour certaines régions d’Europe de l’Est de témoigner pour prévenir des risques encourus. Récemment, je lisais une interview d’un ancien président roumain qui, quand la Russie a envahi la Crimée, a voulu avertir: « Poutine ne s’arrêtera pas là ». Et personne ne l’a écouté.»
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Tomber en direct
En 1989, la révolution se passait à la télévision, dont le langage a grandement contaminé le film, son esthétique comme son scénario. «Même si ce n’était pas la première révolution télévisée, c’est la première fois qu’on voyait un régime tomber en direct, dès les premières secondes. Le langage du film rappelle celui de la télévision de l’époque, à commencer par le format 4/3. On a aussi utilisé des zooms très télévisuels, qui sont une métaphore de la vie sous surveillance. Et puis les scènes sont un peu comme des sketches, avec chacune son petit climax, ou sa chute.»
Le film se nourrit de l’histoire, ou plutôt de ses archives, qui ont inspiré l’écriture, et que l’on retrouve dans le montage lui-même. «Pour moi, les archives sont un mix entre la réalité et le plus bas degré de fiction. Et je dis bien le plus bas, pas le degré zéro, car à partir du moment où la réalité est enregistrée, il y a une part de fiction. La fiction serait alors la réalité avec le plus haut degré de mensonges. Parfois, quand on invente des choses, on s’aperçoit qu’elles sont arrivées, et quand on raconte des choses vraies, personne ne les croit. La lettre au Père Noël, je l’ai inventée, mais un ami à moi a trouvé un cas similaire dans les archives. La frontière entre les deux est parfois très mince. On en revient à la citation de Camus, « La fiction est le mensonge par lequel nous disons la vérité« .»
The New Year That Never Camede Bogdan Muresanu
Avec Adrian Văncică, Nicoleta Hâncu, Emilia Dobrin. 2h18.
La note de Focus : 4/5
Bucarest, 20 décembre 1989. Une journée parmi tant d’autres, qui va changer la vie de chacun des protagonistes de ce film choral s’interrogeant sur la vie des gens ordinaires en des temps extraordinaires. Les six récits, comme autant de voix, sont orchestrés dans un savant crescendo où les lignes narratives des personnages sinuent jusqu’au point d’orgue final, la chute retransmise dans le monde entier du dictateur Nicolae Ceausescu. Sur un ton résolument tragicomique, où l’humour oscille entre le jaune et le noir, parfois burlesque, parfois pince-sans-rire, Bogdan Muresanu déploie les trajectoires romanesques de Roumains (presque) comme les autres, rappelant que la grande histoire est toujours tissée des petites résistances et des grands courages de l’humanité dans sa plus banale existence.
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