The Bibi Files, le documentaire qui accable Benjamin Netanyahou

Le Premier ministre israélien estime normal de recevoir champagne, cigares ou bijoux en guise de cadeaux. La justice, elle, s’interroge. The Bibi Files prouve la corruption, images à l’appui.

La bande de Gaza est pratiquement rayée de la carte, mais on parle de champagne, de cigares et de bijoux.

Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, en a reçu à foison pendant des années de la part de puissants hommes d’affaires. En novembre 2019, dans trois des cinq affaires de fraude et de corruption, «Bibi» a été officiellement inculpé. Mais les procès s’éternisent. Pour échapper temporairement à la justice en sa qualité de Premier ministre, il s’est même abaissé à former une coalition avec l’extrême droite. Autant dire que la guerre à Gaza est tombée à point nommé pour lui.

Le documentaire The Bibi Files, interdit en Israël, met en lumière cette corruption et les formes extrêmes que prend la lutte de survie politique de Netanyahou. Les images des longs interrogatoires policiers de Netanyahou, de membres de sa famille et d’autres protagonistes, qui ont fuité de manière anonyme, en sont l’élément central. Le célèbre documentariste Alex Gibney (Enron, Citizen K) les a transmises à Alexis Bloom, une réalisatrice sud-africaine, déjà à l’origine Divide and Conquer, qui relatait l’ascension et la chute de Roger Ailes, patron de Fox News. «Ces documents représentaient des milliers d’heures de matériel, décrit Alexis Bloom. Transcrire et organiser les interrogatoires et les dossiers fut un travail terriblement chronophage. Mais il en valait la peine. Le résultat livre une image tout à fait différente de Netanyahou. J’ai regardé presque toutes ses interviews. Il y contrôle toujours parfaitement la situation et dit exactement ce qu’il veut. A l’exception de Fox News en Israël, il accorde peu d’interviews à la presse de son pays. Probablement par crainte d’une approche plus dure, plus critique. Il choisit aussi qui l’interviewe. Mais il n’a pu choisir les policiers qui l’ont interrogé. Et certains n’ont pas hésité à entrer en confrontation, en répétant inlassablement les questions esquivées.»

Par moments, les personnes interrogées perdent leur calme. Netanyahou évoque une chasse aux sorcières. «Des conneries totales», fulmine son épouse Sara, à qui le documentaire accorde un rôle central. «Pour je ne sais quelle raison, les journalistes internationaux s’intéressent peu à Sara. La couverture des infos au Moyen-Orient est très machiste et centrée sur les hommes et leurs luttes. Israël, en revanche, les perçoit –à juste titre– comme un couple de pouvoir. Sara sait à tout moment où son époux se trouve. C’est elle qui détermine s’il peut faire confiance à quelqu’un ou non, et elle avalise chaque grande décision. C’est ça, le pouvoir.»

«Des interrogatoires comme ceux montrés ici ne seraient plus possibles aujourd’hui.»

Homme du chaos

Les affaires de corruption ne sont un secret pour personne. Pourtant, en décembre 2022, Netanyahou est parvenu pour la sixième fois à endosser le costume de Premier ministre. «C’est un politicien hors pair et le chef de gouvernement le plus longtemps en poste. Il connaît la loyauté et les sensibilités de chaque homme politique. Personne ne connaît et ne manipule mieux le système que lui. Mais sa plus grande compétence est de savoir transformer la peur israélienne en avantage politique, assure la réalisatrice. Ami Ayalon, ancien directeur du Shin Bet (NDLR: les services de renseignement israéliens), m’a confié: « Nous, les Juifs d’Israël, avons toujours peur, et lui, il nous donne chaque jour le sentiment que la Shoah n’est pas terminée. Netanyahou se présente comme M. Sécurité. A propos de l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023, il affirme simplement que, sans lui, cela aurait été bien pire encore. »»

Selon Alexis Bloom, le Premier ministre israélien ne survit que grâce au chaos: «Il ne peut pas prospérer dans une démocratie pacifique. Il a besoin de guerre. Il a besoin de peur. Les gens doivent ressentir que lui seul peut les sauver.»

Plusieurs personnes avancent, dans The Bibi Files, que la guerre à Gaza ne peut être dissociée de la tentative de Netanyahou de rester au pouvoir et d’échapper à ses procès. «Il n’a pas déclenché la guerre pour son propre bénéfice politique. Le 7-Octobre a eu lieu, puis il a pris des mesures de représailles. La véritable question est plutôt de savoir si la poursuite de la guerre et du chaos joue en sa faveur et lui permet de rester Premier ministre. Il est extrêmement difficile de renverser un chef de gouvernement en temps de guerre. Peu de gens considèrent ça comme une décision judicieuse.»

Quoi qu’il en soit, des preuves accablantes démontrent que Netanyahou veut à tout prix rester au pouvoir. Avant même le 7-Octobre, il était déjà très clair qu’il était prêt à aller extrêmement loin. Ronen Bar, récemment limogé de son poste de chef du Shin Bet, a déclaré que «Bibi» lui avait demandé d’inventer des raisons de sécurité pour éviter de témoigner devant le tribunal.

Démocratie fragile

La justice a pris les affaires de corruption de Netanyahou au sérieux; les interrogatoires de police montré dans le documentaire sont particulièrement musclés. Un signe que la démocratie fonctionne encore en Israël? Alexis Bloom hésite: «Peut-on vraiment parler de démocratie lorsqu’il est question d’occupation? La démocratie israélienne est extrêmement fragile et échoue sur tous les plans. La situation a radicalement changé. Autrefois, Netanyahou chantait les louanges du système judiciaire israélien; aujourd’hui, il en limite les pouvoirs. La police que l’on voit dans mon film n’est plus en position de force. Itamar Ben-Gvir, leader de l’extrême droite, dirige désormais la police en tant que ministre de la Sécurité nationale. Des interrogatoires comme ceux montrés dans le documentaire ne seraient plus possibles aujourd’hui.»

Au cours des auditions, les Netanyahou semblent ne voir aucun mal à leurs agissements. «Je crains que le couple ne se sente réellement persécuté par ce qu’il appelle l’Etat profond. Benjamin Netanyahou dit aux enquêteurs qu’il aurait pu gagner des millions de dollars dans le secteur privé, mais qu’il a choisi de servir Israël. Il est plus facile d’être un bon menteur lorsqu’on croit soi-même à son mensonge», conclut la réalisatrice.

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