Entre les blockbusters et les pépites tout juste sorties du Festival de Cannes, l’été cinéphile voit désormais fleurir une autre tendance: les ressorties de classiques, souvent sublimés par un important travail de restauration. Avec un certain succès…
Une rétrospective d’Akira Kurosawa un peu partout en Belgique, les rétrospectives et ressorties dans les programmes estivaux du Palace et de Flagey… L’été, les salles obscures aiment de plus en plus replonger dans le patrimoine. «Depuis deux-trois ans, on voit que les classiques marchent beaucoup mieux. Il y a une vraie demande de la part du public», déclare de manière enthousiaste Eric Franssen, directeur général du cinéma Palace de Bruxelles. Un cinéma qui, depuis son ouverture en 2017, a mis un point d’honneur à être «le cinéma du cinéma», comme Eric aime à le dire, proposant une programmation riche en rétrospectives et autres séances dédiées aux classiques.
«On avait cette envie de montrer des films importants de l’histoire du cinéma. On a la chance d’avoir de bonnes infrastructures et d’avoir d’excellents partenaires, par exemple Jean-Pierre Verscheure, qui a installé le projecteur 35 mm au Palace, ou Fabrice Du Welz. Ça nous pousse à aller plus loin dans notre façon de montrer le cinéma.» Une manière de partager le septième art qui semble faire mouche: «Quand on montre Citizen Kane, on se retrouve à devoir ouvrir une deuxième salle, car on a plus de 700 demandes.» Du côté des ressorties nationales, même constat positif, à tel point que des films comme Festen de Thomas Vinterberg se sont vus accorder autant de séances que les nouveautés. «Là où il y a quelques années, on sentait une certaine réticence chez les distributeurs pour ressortir des classiques, aujourd’hui, ils y vont tous.»
Loin d’être des projections réservées à une élite, ce cinéma semble tout autant, voire davantage, faire son chemin parmi les étudiants.
Loin de se limiter au seul Palace, cette effervescence autour du cinéma de patrimoine pourrait être la conséquence d’une forme de «travail d’équipe culturel» en Belgique. «D’abord, l’arrivée de Cineville a développé un appétit, une curiosité plus grande, pour le cinéma, constate Eric. Et puis, ça c’est un ressenti personnel, mais j’ai l’impression que des applications comme Letterboxd, avec toutes ses listes, ses notes, remettent les classiques sur le devant de la scène.» Un cercle vertueux semble ainsi se mettre en place. «C’est quelque chose qui s’auto-entretient. Lorsqu’on voit un classique, on a envie d’en voir d’autres.» La preuve qu’il suffit parfois de quelques belles initiatives culturelles pour raviver un véritable engouement.
Des œuvres frontales
Un succès indéniable donc, mais pour quel public? Eric Franssen évoque son étonnement lors de ses débuts au Palace: «Lumière (NDLR: l’un des distributeurs du marché belge) avait ressorti les films d’Andreï Tarkovski et, lorsque je m’étais rendu dans la salle, j’avais été très surpris par la jeunesse du public.» Loin d’être des projections réservées à une élite ou à une génération ayant grandi avec ces longs-métrages, ce cinéma semble tout autant, voire davantage, faire son chemin parmi les étudiants. «On le voit aussi à la Cinematek, qui est très fréquentée par un jeune public. Je pense même que si la Cinematek n’était pas incluse dans l’offre, beaucoup moins de gens prendraient l’abonnement Cineville», conclut Eric.
Vient ensuite l’autre grande question, celle du choix des films. Parmi la pléthore de grandes œuvres attendant patiemment la lumière du grand écran, pourquoi choisir tel film plutôt qu’un autre? Selon Henk Cluytens, chargé de programmation chez le distributeur September Film, récemment derrière les ressorties de Festen et Pusher, il s’agit avant tout d’une question d’actualité. «On a fait la ressortie de Festen pour fêter les 30 ans du Dogme95 (NDLR: courant cinématographique danois créé par Thomas Vinterberg et Lars von Trier prônant un cinéma dépouillé, en phase avec le réel). Il faut savoir que ce film était le tout premier de ce mouvement. Il avait eu sa première à Cannes à l’époque, et c’est pour cette même raison qu’on l’a sorti tout de suite après Cannes cette année.» Parfois, les motivations sont davantage d’ordre pratique: «Personnellement, ça faisait longtemps que je voulais une ressortie de Pusher (NDLR: polar danois de Thomas Winding Refn), je l’avais déjà proposé l’année dernière. Ici, les étoiles se sont alignées, tout simplement. On possédait déjà les droits et on a vu que le distributeur français The Jokers allait organiser une ressortie de la trilogie cet été. On a donc décidé de calquer notre ressortie sur la leur. Souvent, en tant que distributeur d’un petit pays, on a tendance à suivre les tendances des voisins. Parfois, ce sont les Pays-Bas.»
Ce qui frappe dans Festen et Pusher, c’est à quel point ces œuvres sont frontales, brutes et débarrassées de toute fioriture. Pour Festen, cette économie d’effets tient évidemment à son respect des normes imposées par le Dogme95, dont le manifeste stipulait –entre autres– «l’obligation de tenir la caméra uniquement à la main» et «l’absence totale de tout éclairage artificiel». Pourtant, même dans Pusher, on retrouve une certaine sobriété, une absence de surenchère dans la mise en scène, une linéarité dans le fil narratif. Un constat partagé par Henk: «Ce sont des films très réalistes, très in your face. Dans Festen, il n’y a pas de maquillage, de travail de son, d’effets spéciaux. C’est un film très honnête en fait, très pur. Et pour Pusher, le film nous semblait tellement réaliste, qu’à l’époque, il y avait une légende urbaine qui disait que les acteurs étaient vraiment drogués sur le tournage!» La rumeur est vraisemblablement fausse. Mais à l’heure où le cinéma s’égare régulièrement dans un excès de sophistication narratif et formelle, il est clair que le retour de ces films directs et sans détour fait l’effet d’un véritable coup de poing. A voir en priorité sur grand écran.