Stéphanie Blanchoud, héroïne blessée de La Ligne
Stéphanie Blanchoud compose un personnage violent et blessé dans La Ligne d’Ursula Meier, western intime conjugué au féminin pluriel qu’elle a également co-écrit.
Autrice dramatique, chanteuse, comédienne, metteuse en scène… Stéphanie Blanchoud a une “boîte à outils”, comme elle dit, plutôt du genre bien remplie. Visage incontournable de la série Ennemi public sur la RTBF, la Belgo-Suisse, formée au Conservatoire royal de Bruxelles et basée à Saint-Gilles, compile aujourd’hui plusieurs de ses talents dans le nouveau long métrage d’Ursula Meier (Home, L’Enfant d’en haut), La Ligne, drame domestico-topographique tourné dans le Valais. “La rencontre avec Ursula s’est faite en plusieurs temps. Il y a d’abord eu ce clip, celui de ma chanson Décor, où elle nous a fait tourner sur un ring avec Daan. Et puis j’ai joué dans le téléfilm qu’elle a réalisé pour Arte avec Fanny Ardant et Kacey Mottet-Klein. Mais je crois que c’est vraiment quand elle m’a vue dans mon spectacle Je suis un poids plume, où j’incarne une boxeuse, qu’il y a eu un déclic. C’est-à-dire que, très vite, on a parlé de notre envie d’écrire et de faire un film ensemble autour d’un personnage féminin violent. D’emblée, on allait donc un peu à contre-courant. Parce que la violence est l’apanage des hommes au cinéma, jusque dans une dimension presque glamourisée. Si elle a 35 ans et qu’elle est violente, comment on aborde ça? On ne voulait pas expliquer d’entrée de jeu pourquoi elle est violente, on voulait que le spectateur le comprenne peu à peu. On s’est donc pas mal documentées. Et on a notamment été à la rencontre d’une association basée à Genève qui s’appelle Face à Face et qui traite de violence féminine, avec des femmes de tous âges, qui sont violentes au sein de leur foyer ou dans leur quotidien.”
Ensemble, elles écrivent donc le scénario de ce qui deviendra La Ligne, film dans lequel Stéphanie Blanchoud incarne elle-même une femme, Margaret, arrêtée par la police et soumise à une stricte mesure d’éloignement après avoir agressé violemment sa mère (Valeria Bruni Tedeschi). Durant trois mois, Margaret n’a plus le droit d’approcher à moins de 100 mètres de la maison familiale, distance matérialisée par une ligne bleue infranchissable (digne du grand fossé dans l’album d’Astérix du même nom) tracée sur le sol par sa jeune sœur. “Ce film, on aime en parler comme d’un western au féminin. En amont, on a beaucoup regardé des films anglo-saxons, qui sont souvent plus physiques que les films francophones, avec des personnages féminins, souvent des adolescentes rebelles. Et puis on a regardé des westerns. Avec cette idée de retourner les codes du masculin et du féminin, mais aussi de nous approprier la question de la frontière, qui est fondamentale dans les westerns.”
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Film, à l’arrivée, assez inégal, qui hésite entre l’inconfort rêche, une dimension très théorique (la ligne et la frontière pour symboliser la personnalité borderline) et des accents résolument hystérisants (Valeria Bruni Tedeschi dans son éternel rôle de… Valeria Bruni Tedeschi), La Ligne vaut avant tout pour la composition à fleur de peau de Stéphanie Blanchoud en écorchée vive. “Ce personnage de Margaret, je l’ai accompagné dans l’écriture donc j’y ai beaucoup pensé en amont. Elle est toujours sur le point d’exploser et toujours en tension. Dès qu’on la touche, ça part. C’est quelqu’un qui ne gère pas la distance, qui ne trouve pas la bonne mesure avec les autres. Elle est ultrasensible et n’a aucun filtre. Elle est complètement dans le moment. Avec un mal-être, évidemment, qu’elle porte en elle. Mais c’est surtout quelqu’un qui ne se préoccupe pas du tout des conséquences, de ce qui s’est passé hier ou de ce qu’il va y avoir demain. Il y a quelque chose de l’ordre de l’enfance chez Margaret, mais de l’enfance blessée. Elle est dans une impulsion assez animale.”
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En contrepoint à cette violence, il y a la musique, autre corde essentielle à l’arc de Stéphanie Blanchoud, qui agit à la manière d’un baume, d’un exutoire, pour Margaret. “Il était important de pouvoir trouver une part plus solaire chez Margaret. La musique, c’est un peu l’héritage positif qu’elle a reçu de sa mère, avec laquelle elle entretient un rapport toxique. Le chant est pour elle quelque chose de réparateur, un lieu de refuge. Et naturellement, oui, ça offre un contrepoint à la violence. Parce que, quand on l’entend chanter, il y a une douceur qui affleure, qu’on ne percevait pas chez elle au début. À un endroit, c’est sûr, la musique la sauve.” Jusque dans ce duo rédempteur, Le Passé, chanté en compagnie de Benjamin Biolay, son ex dans le film…
Résolument tournée vers l’avenir, Stéphanie Blanchoud est une femme occupée. On la verra bientôt dans la troisième et ultime saison d’Ennemi public en télé, et elle s’affaire présentement à écrire un nouveau scénario pour le ciné. Dès février, on la retrouvera également sur scène, au Rideau à Bruxelles, aux côtés de Laurent Capelluto, pour un spectacle dont elle a signé le texte et qui s’appelle Le temps qu’il faut à un bébé girafe pour se tenir debout. “C’est un texte que j’ai commencé à écrire en 2016 et qui a évolué, et puis il y a eu le Covid. Et là le spectacle est enfin programmé. Ça parle aussi de violence, mais tout autre, puisqu’on joue un frère et une sœur dont la mère vient d’être incarcérée pour meurtre. Elle a tué notre beau-père parce qu’elle était une femme violentée. Donc le frère et la sœur relatent leur enfance marquée par un climat de violence, mais de manière un peu détournée. Moi de toute façon, en un sens, je ne peux parler que de la famille, de la relation entre les êtres. Je ne suis pas une autrice politique. Pas parce que je ne suis pas engagée, je le suis fondamentalement, mais d’autres en parlent mieux que moi. C’est vraiment l’humain qui me passionne dans ce que j’aime partager.”
La Ligne. D’Ursula Meier. Avec Stéphanie Blanchoud, Valeria Bruni Tedeschi, Benjamin Biolay. 1 h 41. Sortie: 01/02.
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