Sofia Coppola à propos de Priscilla Presley: « Quitter Elvis et Graceland à un tel moment, c’était faire preuve de courage »
Sofia Coppola dirige sa caméra si sensible vers Priscilla Ann Wagner, la femme qui a quitté le King. A little conversation avec la réalisatrice à propos d’Elvis Presley, de Graceland et des mères censées rester à la maison.
Après Elvis, le long métrage hyper glamour de Baz Luhrmann (sorti en 2022), c’est au tour de Sofia Coppola d’explorer l’univers du roi du rock’n’roll. Mais pas à travers les yeux d’une idole fan de tubes aussi indestructibles que Jailhouse Rock, Always on My Mind ou Hound Dog. La réalisatrice de Lost in Translation choisit de nous placer dans le sillage de son épouse, Priscilla (lire notre critique ici).
Priscilla Ann Wagner (avant de prendre le nom de Beaulieu, celui de son beau-père) était encore une enfant lorsqu’elle a rencontré Elvis en Allemagne -où son beau-père travaillait comme officier de l’armée de l’air et où Presley faisait son service militaire-, elle était mineure lorsqu’elle a emménagé dans son palais de Graceland et c’est en tant que mère de 29 ans qu’elle a quitté le King et choisi la liberté.
Il ne faut cependant pas s’attendre à un biopic classique, à un drame provocant ou à une attaque contre une icône américaine de la part de Sofia Coppola. La fille du légendaire réalisateur du Parrain et Apocalypse Now utilise pleinement son talent pour refléter le monde émotionnel intérieur de jeunes femmes solitaires, fortes, enfermées ou pas, dans des films impressionnistes, esthétiques, aux couleurs pastel. Priscilla est plus Coppola que Priscilla. Le film ne s’adresse pas tant à l’armée des fans d’Elvis qu’à tous ceux qui ont soupiré de ravissement devant The Virgin Suicides (1999), Lost in Translation (2003) ou Marie Antoinette (2006).
Distinguée, affable et fidèle à son propre personnage, Sofia Coppola ne nie pas cela lorsque nous la rencontrons à la Mostra de Venise pour une bonne discussion autour d’un spritz.
On n’a pas vraiment l’impression que vous êtes une grande fan d’Elvis. Si?
Certaines de ses chansons me tiennent à cœur et j’ai beaucoup aimé le fait qu’il soit si attaché au style. Elvis est une icône et je l’admire en tant qu’artiste, mais en fait je ne savais pas grand-chose sur lui et je ne m’y étais jamais particulièrement intéressée. Il y a quelques années, je cherchais un bon livre pour les vacances et j’ai choisi Elvis and Me (1985), les mémoires de Priscilla Presley. Ça m’a touchée plus que je ne l’aurais cru. Plus tard, quand j’ai commencé à envisager de faire un film, j’ai trouvé ça tentant de développer visuellement le très marquant domaine de Graceland, le Memphis des années 60 et l’americana de l’époque. Je n’avais jamais rien fait de tel auparavant.
Quels sont les passages du livre qui vous ont touchée en particulier?
Le livre vous plonge dans la propre expérience de Priscilla. J’ai été vraiment surprise à plusieurs reprises. Ce qu’elle vit est en partie universel: toutes les filles traversent une période où elles deviennent femmes et apprennent à tenir tête aux autres. Pour les générations qui m’ont précédée, il est également très caractéristique que Priscilla, en tant que mère, est censée rester à la maison tandis que son mari peut s’éclater dans le monde extérieur. Mais en même temps, le cadre est très inhabituel et ce n’est pas du tout universel que votre premier baiser se passe avec Elvis Presley ou que la plus grande rock star de tous les temps VOUS trouve spéciale. Priscilla a rencontré Elvis à 14 ans et en avait à peine 17 ans lorsque ses parents l’ont autorisée à emménager à Graceland. Elle était encore à l’école secondaire à l’époque. Ça m’a quand même choquée. Le jour, elle étudiait dans une école catholique et le soir, elle faisait la fête avec Elvis. Autre chose: c’est déjà intimidant d’entrer pour la première fois dans la chambre d’un garçon. Vous imaginez si c’est la chambre d’Elvis Presley?
Leur mariage ressemblait à un conte de fées, mais au fil des années, la solitude et le peu d’occasions de s’épanouir ont été de plus en plus pesants pour Priscilla.
Je m’intéresse beaucoup à la façon dont les gens deviennent ceux qu’ils sont, comment votre identité prend forme, les choix qui sont déterminants. J’essaie d’adopter le point de vue de Priscilla. Elle traverse de grands moments qui changent sa vie et se découvre peu à peu. Je trouve sa décision impressionnante: quitter Elvis et Graceland à un tel moment, c’était faire preuve de courage et d’une grande force. Elle n’avait rien, pas de carrière, pas de ressources personnelles… Ce n’était pas facile pour les femmes d’être indépendantes dans les années 70.
L’actrice principale, Cailee Spaeny, est une révélation. Comment avez-vous trouvé la Priscilla idéale?
Le casting a été difficile. Je voulais absolument une seule actrice. Mais qui pouvait jouer à la fois une adolescente de 14 ans et une femme de 29 ans? Les responsables du casting ont proposé Cailee Spaeny. Ma grande amie Kirsten Dunst (vue dans les films de Coppola The Virgin Suicides et Les Proies, NDLR) venait de travailler avec elle (dans Civil War d’Alex Garland) et elle m’a juré qu’elle avait un énorme talent. Avec son visage de bébé, sa retenue et sa sensibilité, elle était aussi capable de jouer une adolescente de 15 ans. Je suis tellement contente d’avoir pu choisir une inconnue. Je trouve ça tellement dommage que ce soit toujours les mêmes noms qui reviennent à cause de la pression des financiers.
Et où avez-vous trouvé votre Elvis?
Trouver un bon Elvis était un véritable défi. Absolument personne ne ressemble à Elvis. Je voulais donc quelqu’un de charismatique. L’essence d’Elvis me semblait plus importante que son look. Au restaurant, j’ai vu comment toutes les femmes se retournaient et dévisageaient Jacob Elordi (Nate dans Euphoria, NDLR) quand il est entré. Je peux imaginer qu’Elvis faisait le même effet. La sensibilité de Jacob a fait la différence. Nous ne cherchions pas l’Elvis bête de scène. C’est justement l’autre Elvis que nous montrons: Elvis dans sa vie privée.
Vous n’avez pas fini d’entendre parler de Cailee Spaeny
Vous l’avez peut-être déjà vue aux côtés de Kate Winslet dans le rôle d’Erin, mère adolescente et célibataire de la série HBO Mare of Easttown (2021), ou comme jeune prodige de la minisérie Devs. Elle a aussi joué dans des films peu mémorables comme Pacific Rim Uprising (2018) et The Craft: Legacy (2020). Mais dans les mois à venir, Cailee Spaeny, pour l’instant encore assez méconnue, sera en haut de l’affiche de trois films de premier plan.
Elle endosse en effet le rôle principal d’Alien: Romulus, le neuvième épisode de la légendaire franchise de science-fiction, qui sortira en salles cet été. Et fin avril, on pourra la voir dans Civil War d’Alex Garland, le réalisateur d’Ex Machina et d’Annihilation. Mais avant ça, elle est Priscilla Presley dans le nouveau film de Sofia Coppola.
“C’était bizarre de me regarder pendant 1 heure et 40 minutes alors que la personne que je joue était assise à côté de moi”, a dit en riant Cailee Spaeny le lendemain de la première mondiale à Venise, où elle a reçu le prix de la meilleure actrice (son nom circule d’ailleurs aussi pour les Oscars). “Heureusement, je connaissais déjà Priscilla. Nous nous sommes vues à trois reprises et nous avons discuté plusieurs fois par téléphone avant le tournage. C’était intimidant au début, mais ça m’a beaucoup aidée au final. On veut être authentique et lui rendre hommage, mais on veut aussi avoir une liberté artistique et apporter une touche personnelle au personnage. Priscilla a été adorable et très généreuse. “Appelle-moi quand tu veux!” “Tu vas y arriver!” Ça a été une collaboration de rêve.”
Un autre rêve pour Cailee Spaeny: travailler avec Sofia Coppola, sa cinéaste préférée. “C’est vrai, c’est la première réalisatrice dont j’ai su le nom. J’ai vu The Virgin Suicides quand j’avais environ 14 ans. C’est le premier film pour lequel je me suis demandé qui était derrière la caméra. Avant ça, j’aimais beaucoup le cinéma, mais je ne m’intéressais qu’à l’histoire et aux acteurs. Après, je me suis enfermée dans ma chambre et j’ai regardé tous ses films. Pour la première fois, j’ai compris l’importance d’un réalisateur.”
La transformation physique et mentale de Priscilla Presley au cours du film, depuis sa rencontre avec Elvis à l’âge de 14 ans jusqu’à leur séparation à 29 ans, a été un sacré défi. “C’est une longue période à couvrir. Je voulais éviter que ça ne devienne glauque ou bizarre. C’est le risque qu’on court quand on joue un enfant de 14 ans alors qu’on est adulte. En plus, on n’avait que 30 jours de tournage et on avançait de manière non-chronologique. Le matin je pouvais être la Priscilla enceinte et après la pause de midi, la Priscilla de 14 ans.”
Le fait que Priscilla sonde les désirs ambigus d’une jeune femme privilégiée l’inscrit thématiquement dans le sillage de presque tous les films que Sofia Coppola a signés. Mais l’actrice n’y voit pas d’inconvénient. “Sofia Coppola ne peut pas s’empêcher d’être Sofia Coppola. C’est aussi pour ça que je suis une si grande fan. Pendant le tournage, elle ne vous submerge pas de commentaires. Elle vous laisse beaucoup d’espace et de responsabilité. Beaucoup de réalisateurs veulent tout contrôler, mais elle, elle suit le flow, avec son instinct. Elle met aussi toujours de la musique sur le plateau. Vous voyez la dernière séquence où on entend I Will Always Love You de Dolly Parton? On l’a tournée le tout premier jour. Sofia avait installé un haut-parleur géant à l’arrière de la voiture, tandis qu’en-dessous, quelqu’un relançait constamment la chanson. Ça nous a beaucoup aidés.”
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