Saoirse Ronan, actrice et productrice dans The Outrun: «Il n’existe pas de méthode idéale pour se remettre d’une addiction»

Saoirse Ronan incarne Rona, jeune biologiste qui tente de se tirer des griffes de l’alcool.

Elle est l’une des plus grandes actrices de sa génération. Elle a travaillé avec Greta Gerwig, Peter Jackson ou Wes Anderson. Pour son nouveau film, The Outrun, Saoirse Ronan endosse pour la première fois aussi le rôle de productrice.

A seulement 13 ans, Saoirse Ronan impressionnait déjà dans l’adaptation du roman de Ian McEwan, Atonement, au point d’être immédiatement nommée aux Oscars. Ryan Gosling l’a qualifiée de «nouvelle Meryl Streep» –en oubliant toutefois qu’elle comptait déjà quatre (!) nominations aux Oscars à l’âge de 25 ans, alors que Meryl Streep, à cet âge, n’en avait encore aucune. Elle a également été nommée pour ses rôles principaux dans Brooklyn, et dans deux des films les plus acclamés de Greta Gerwig, la réalisatrice de Barbie: Lady Bird et Little Women.

Saoirse Ronan fêtera son 31e anniversaire le 12 avril. Mais il y a peu de chances qu’elle le célèbre au cours d’une fête trop arrosée. La «publicité» serait assez malvenue pour la sortie en salles de The Outrun, portrait bouleversant et intime d’une jeune biologiste, Rona, qui se retire sur l’une des îles Orcades, au nord de l’Ecosse, pour tenter de se libérer des affres de l’alcool. L’actrice incarne avec un naturel désarmant et une clarté de jeu remarquable les différents stades de l’ivresse et le combat quotidien pour rester sobre .

Saoirse Ronan parle comme elle joue, sans détour. «J’ai vu beaucoup de gens de mon entourage proche sombrer dans l’alcoolisme. Certains s’en sont sortis, d’autres pas encore. C’est une maladie extrêmement répandue.»

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L’addiction à l’alcool peut détruire une vie. Comment avez-vous pu aider vos proches concernés?

Saoirse Ronan: C’est terriblement difficile de savoir quoi dire ou faire –ou de savoir quand il vaut mieux ne rien dire ou ne rien faire. Voir souffrir quelqu’un qu’on aime à cause d’une addiction, ou constater qu’une personne se sent à ce point seule et perdue qu’elle ne se rend même plus compte qu’on lui tend la main, est profondément douloureux. Il n’existe pas de méthode idéale pour se remettre d’une addiction, pas plus qu’il n’existe une manière parfaite d’accompagner quelqu’un en cours de rétablissement. Avec le recul, on voit toujours des choses qu’on aurait pu faire différemment. Mais comprendre la maladie est déjà très utile. Faire preuve d’autant de patience que possible envers ceux qui luttent, l’est aussi. Surtout, il faut prendre conscience et reconnaître que leur calvaire ne sera jamais complètement terminé. On n’en guérit jamais tout à fait. Il n’y a pas de ligne d’arrivée.

A Londres, métropole tentaculaire, Rona touche le fond. Dans la nature sauvage écossaise, elle tente de se reconstruire. Vous, avez-vous une préférence marquée pour la ville ou la campagne?

Saoirse Ronan: Je ne pourrais pas être moins citadine que je ne le suis (elle rit). Même si je vis à Londres et que je peux apprécier la vie urbaine, je suis la plus heureuse lorsque je suis loin de la foule. J’aime la campagne. Ça n’a pas toujours été le cas. J’ai grandi dans un endroit magnifique, mais très isolé, en Irlande. J’étais entourée d’une nature splendide, mais tout ce que je voulais, c’était fuir. Exactement comme Rona, et comme Amy Liptrot (NDRL: l’autrice de The Outrun, qui s’est inspirée de sa propre vie). Mais plus je vieillis, plus je ressens le besoin de retrouver cette beauté et cette solitude.

«On ne guéri jamais tout à fait d’une addiction. Il n’y a pas de ligne d’arrivée.»

Quand ce basculement s’est-il opéré?

Saoirse Ronan: Le Covid ne nous a-t-il pas un peu forcés à choisir notre camp? On est une personne de la ville, ou on ne l’est pas. J’ai eu la chance de pouvoir passer beaucoup de temps à la campagne. L’opportunité de tourner sur les îles Orcades a été l’une des principales raisons pour lesquelles j’avais tant envie de faire The Outrun. Le film commence dans l’obscurité, mais il devient peu à peu une célébration des petites communautés, des animaux, de l’océan, et de toutes ces merveilles naturelles qui nous entourent. Elles m’ont donné l’impression de revivre. Pouvoir les honorer à travers ce film a été un immense privilège.

L’île n’était pas assez grande pour accueillir une équipe de tournage au complet. Il n’y avait pas d’hôtel, et vous deviez loger chez l’habitant.

Saoirse Ronan: Cette expérience m’a libérée. C’était grisant, et cela a beaucoup resserré les liens au sein de l’équipe. Nous avons commencé à Londres; Orkney était notre dernière étape. Sur le continent, nous disposions encore de tout ce dont nous avions besoin. Mais Papay –la petite île où Rona commence réellement à guérir– est sauvage. Ça a été une expérience profondément émotive, parce que nous avons nous-mêmes ressenti ce que Rona traverse. Pour certains, ça a été traumatisant, parfois déclencheur de souvenirs douloureux. Mais pour la plupart, ça a surtout été une expérience intense et joyeuse. Papay est un lieu incroyablement isolé, paisible, mais aussi sauvage. Partager la vie de ses 90 habitants, vivre et manger avec eux, travailler à leurs côtés était une expérience inoubliable.

L’étincelle dans vos yeux en dit long.

Saoirse Ronan: C’était exactement ce dont nous avions besoin à ce moment-là. Les femmes de notre équipe réduite sont devenues, là-bas, des amies très chères. Nous n’avions pas vraiment le choix: il fallait se rapprocher, au sens propre comme au figuré. Je suis incroyablement reconnaissante d’avoir pu vivre la véritable vie insulaire. Nous n’avions pas de voitures. Chaque jour, nous allions travailler à pied ou à vélo. Nous préparions nous-mêmes notre déjeuner. Bien sûr, c’est ce que tout le monde fait dans à peu près n’importe quel autre métier. Mais dans le cinéma, pour une raison obscure, nous ne faisons pas nos propres sandwichs. Ne me demandez pas pourquoi. Comme mon personnage passe la plupart du temps seule, et que l’équipe était très restreinte, nous pouvions nous adapter de manière extrêmement souple à ce que le temps, la journée, la nature ou les animaux nous offraient. Ou à quel habitant local était disponible ce jour-là.

The Outrun marque votre première expérience en tant que productrice. Avez-vous envie de réitérer l’expérience?

Saoirse Ronan: J’ai trouvé cela très stressant. Par moments, on ne savait même pas si on allait réussir à faire le film, ni si on trouverait les fonds nécessaires pour le distribuer. La production d’un film indépendant, ce sont des montagnes russes encore plus extrêmes qu’on ne l’imagine. Je veux simplement faire les films que j’ai envie de faire. Etre impliquée plus tôt dans le processus me semble une bonne chose. Des créatifs comme Jack Lowden (NDLR: l’acteur de Slow Horses, qu’elle a épousé l’été dernier) et moi serons toujours du côté des acteurs et de l’équipe technique. Je n’ai pas une ambition particulière en tant que productrice. En revanche, j’aimerais vraiment réaliser un jour. The Outrun m’a permis de mieux comprendre tout ce qu’il faut pour construire un film. J’ai appris que c’est un processus long. Il faut avancer étape par étape. Et donc, je ne dois pas paniquer si quelque chose ne fonctionne pas immédiatement.

«La production d’un film indépendant, ce sont des montagnes russes plus extrêmes qu’on ne l’imagine.»

Votre carrière a été couronnée de succès dès le départ. Quel pourrait encore être votre objectif?

Saoirse Ronan: Plus on vieillit, plus on trouve –espérons-le– du plaisir hors du travail. Plus la vie que l’on construit pour soi devient riche, moins on a envie d’y renoncer. Aujourd’hui, j’aime profondément ma vie à l’extérieur du métier, et les personnes qui en font partie. Et j’ai la chance inouïe de pouvoir choisir quand je travaille. Donc, à ce stade, je ne veux quitter cette vie que pour des projets qui me nourrissent vraiment.

A quel moment un film vous apporte-t-il vraiment quelque chose?

Saoirse Ronan: Eh bien, je pense qu’il peut y avoir plusieurs raisons d’accepter un rôle. Le film ne doit pas obligatoirement être l’œuvre la plus artistiquement intègre du monde, ni le projet le plus ambitieux jamais imaginé. Des raisons plus banales sont tout à fait valables aussi. Avoir envie de sortir de chez soi. S’éloigner un moment des enfants. Ou justement, les emmener avec soi dans un endroit incroyable pour y vivre quelques mois. Cela peut aussi être un rôle qui exige quelque chose de nouveau, quelque chose qu’on n’a encore jamais exploré. C’était le cas avec The Outrun. J’ai toujours pensé de cette façon. Mais en vieillissant, j’ai gagné en assurance. Aujourd’hui, j’ose le dire à voix haute.

Comment parvenez-vous à tenir vos démons intérieurs à distance?

Saoirse Ronan: Le jeu m’a toujours aidée. Je joue depuis que je suis enfant. C’est ma manière de comprendre les choses, et aussi d’exprimer certaines émotions, parfois enfouies. Quand je ne joue pas pendant un certain temps, je commence à perdre un peu pied. Même pendant une pause bien méritée. Mais j’exagère peut-être un peu…

Vous exagérez en travaillant?

Saoirse Ronan: Travailler a longtemps été la seule chose que je faisais. Mais plus je vieillis, plus ma vie s’émancipe de mon métier. Ces dernières années, le monde s’est ouvert à moi d’une manière que je n’avais encore jamais connue. J’ai découvert de nombreuses autres passions, qui n’ont rien à voir avec le cinéma ou le métier d’actrice, et qui m’apportent autant de satisfaction. Sortir, aider quelqu’un, faire du bénévolat, n’importe quoi. Aussi essentiel soit-il de parler de santé mentale ou de ce que l’on ressent, il est parfois tout aussi bénéfique de s’en détourner un moment. Diriger son énergie ailleurs, plutôt que de rester enfermé dans sa propre tête: pour moi, cela s’est révélé être un exercice extrêmement salutaire.

The Outrun

Drame de Nora Fingscheidt. Avec Saoirse Ronan, Saskia Reeves, Stephen Dillane. 1h59.

La cote de Focus: 3,5/5

Inspiré des mémoires éponymes d’Amy Liptrot, The Outrun –le titre désigne des pâturages sauvages où les moutons peuvent paître librement– suit Rona, 29 ans, biologiste surdiplômée revenue dans son archipel natal des Orcades après plusieurs années d’errance autodestructrice à Londres. Elle espère y retrouver un sens à sa vie. Cela implique de se sevrer, de rechuter, de pleurer, de hurler, de fréquenter les AA, et de contempler longuement l’océan en furie –encore, et encore, et encore. Saoirse Ronan incarne cette âme égarée avec une intensité troublante. Le film, lui, connaît de véritables moments de beauté brute. Mais la mécanique dramatique finit par s’essouffler à force d’accumuler les flash-back alcoolisés et les soupirs face aux falaises. Malgré tout, The Outrun tient bon et ne sombre pas dans les clichés des films de cure.

D.M.

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