Romain Duris dans une quête désespérée pour voir sa fille au Japon. “La règle c’était: pas de mont Fuji!”

Romain Duris: "Jay parle super bien japonais, connaît la ville sur le bout des doigts, et pourtant il reste exclu". © Les Films Pelleas/Versus production

Six ans après Nos batailles, Guillaume Senez retrouve Romain Duris dans Une part manquante pour explorer une nouvelle facette de la paternité, thématique qui l’obsède, tout en ouvrant de nouvelles voies pour son cinéma.

À quoi tient la naissance d’un projet? Dans le cas d’Une part manquante, c’est une conjonction d’évènements et de rencontres. D’abord, il y a la volonté de Guillaume Senez et Romain Duris de travailler à nouveau ensemble. Il faut dire que le comédien français s’est particulièrement épanoui dans la manière que le cinéaste a d’aborder le travail sur le plateau, comme il nous le confiait lors du Festival de Namur: « La méthode de Guillaume est très particulière. Il donne aux comédiens un scénario dans lequel n’apparaissent pas les dialogues, même s’il les a écrits pour lui; il y indique juste l’explication de la scène. Il nous parle beaucoup, contextualise, puis au moment du tournage, on improvise, on amène nos mots, et puis Guillaume resserre, jusqu’à en général arriver à ce qu’il avait écrit. C’est un laboratoire génial pour un comédien, ça nous pousse à être à l’écoute, à capter les petits accidents, ce qui nous empêche d’être trop mécanique, dans la répétition. J’adore ça, d’autant plus que l’on sent que Guillaume demande à être surpris, et moi forcément, je n’ai qu’une envie, c’est l’impressionner. »

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Cette entente artistique ne demandait qu’à trouver la bonne histoire, et alors que les deux hommes font la promotion de Nos batailles au Japon, ils croisent un Français, puis un autre encore, qui leur parlent de cet état de fait très particulier dans le pays, où lors d’une séparation, l’enfant est exclusivement confié à la garde du premier parent qui se positionne, et dans le cas des couples mixtes, dans la très grande majorité, au parent japonais. De là naît l’histoire de Jay, chef cuisinier français installé à Tokyo qui n’a plus vu sa fille depuis neuf ans et qui arpente les rues de la ville nuit et jour, obsédé par la quête désespérée pour la retrouver.

Jay, incarné par Romain Duris, arpente la ville de Tokyo de jour comme de nuit.

Sans mont Fuji

L’histoire vient pourtant avec un décor. Filmer le Japon n’est pas une évidence pour le cinéaste, qui confesse n’avoir aucune fascination particulière pour ce pays. Une chance, sûrement, qui lui permet de le voir comme le voit son personnage, « presque plus japonais que les Japonais: sans l’exotiser. « La règle, c’était: pas de mont Fuji! Et trouver un sento, des bains publics japonais sans, c’est très compliqué », s’amuse Guillaume Senez. Romain Duris se souvient d’une scène sur la plage. « Dans le champ, il y avait le mont Fuji, majestueux, mais Guillaume essayait à tout prix de l’éviter, une gageure sachant que la caméra bouge beaucoup pour suivre les personnages. Ce que j’aime dans le film, c’est qu’il y a une beauté, mais ce n’est pas une beauté attendue, c’est quelque chose de plus âpre, de plus vivant. »

© Les Films Pelleas/Versus production

Pourtant, malgré cette connaissance intime que Jay a de son pays d’accueil, il y reste en fin de compte un étranger, un gaijin. Et cette irréductibilité de l’altérité est un thème cher au cinéaste: « Ce qui me passionnait et qui apparait en filigrane, c’est l’histoire d’un homme étranger dans un pays. Il y a le sujet du film, la garde des enfants au Japon après une séparation, et puis il y a le thème: un étranger qui va dans un pays plus riche que le sien, dans une autre langue, une autre religion, une autre culture. Ce qui m’intéressait, c’est que soudain, c’était un Français qui était dans cette situation, alors qu’on voit souvent des films qui tissent ce genre de récit avec des Africains, des Sud-Américains ou des gens de l’Est. Et je me suis dit qu’il y avait peut-être moyen de faire comprendre cette situation en la rapprochant d’un spectateur qui me ressemble. On est en empathie plutôt qu’en sympathie et ça approfondit le regard. Il y a des images que l’on ne peut plus voir, pour les avoir beaucoup vues, souvent de manière frontale. Dans le cas de Jay, on voit qu’il a tout fait pour s’intégrer, il parle super bien japonais, connait la ville sur le bout des doigts, et pourtant il reste exclus. C’est peut-être une façon de décaler le regard, en montrant les choses autrement. »

Au début du film, ce qui ressort, c’est la solitude de Jay. L’une des grandes inspirations de Senez, « c’est Le Samouraï de Jean-Pierre Melville. Pour la musique, le découpage, mais aussi au niveau du scénario, la détermination du personnage. Sa propension à aller droit dans le mur en en étant conscient. Il y a de ça chez Jay, il franchit la ligne en toute conscience. » Ce qui fait toute la complexité du film justement, c’est que pour Jay, retrouver sa fille est à la fois une joie, bien sûr, mais aussi une malédiction, tant la retrouver, c’est risquer de la perdre à nouveau. « J’aimais bien l’idée de jouer sur cette ambiguïté. Leurs retrouvailles sont magnifiques, en même temps, on sait très bien que ça ne peut que mal finir. Il y a toujours une dualité, un clair-obscur. La vie est belle sans être simple, c’est ça que j’aime voir -et montrer au cinéma. »

Cette dualité d’ailleurs réside également dans la retenue qui caractérise Jay, incarné par Romain Duris, un trait très japonais, qui vole peu à peu en éclats quand débarque le personnage de Jessica, jouée par Judith Chemla, une mère de famille à laquelle on vient de retirer son enfant, et qui ne peut se résoudre à l’accepter. « Elle arrive un peu comme Jay était il y a dix ans, explique Senez, ancrée dans sa culture occidentale, à dire frontalement les choses, à s’énerver, à crier. Jessica est une sorte de miroir de Jay, et va finir par l’inspirer à lâcher prise. »

Ce lâcher-prise prend corps aussi dans la mise en scène. Guillaume Senez ose un lyrisme qui donne une ampleur différente à son cinéma, il s’empare d’outils qu’il avait contournés jusqu’ici, à l’image, et au son. « Avant, je voyais la musique comme une sorte de béquille pour créer l’émotion, comme si je n’avais pas fait mon boulot de scénariste ou de directeur d’acteurs. Mais il y a quelque chose de très sensoriel avec la musique. Pour un cinéaste qui recherche l’émotion, je me suis dit qu’il était temps d’utiliser tous les outils à ma disposition. »

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