L’Amérique vient de perdre une étoile, ou plutôt l’un de ses rocs, si on se rappelle le charisme nonchalant et magnétique qui a toujours été celui de Robert Redford. Il aura été cow-boy, journaliste, escroc, séducteur. Un acteur de génie, un sex-symbol, un réalisateur oscarisé. Une icône du cinéma, tout simplement.
A 89 ans, l’acteur et réalisateur s’est éteint quelque part dans l’Utah, région montagneuse dont il s’est épris il y a fort longtemps. Cette même contrée où il a tourné l’inoubliable western Jeremiah Johnson pour Sydney Pollack en 1970 –un cinéaste avec lequel il fit pas moins de six films– et où il a ensuite fondé le Sundance Film Festival, baptisé ainsi en l’honneur de son personnage éponyme du mythique Butch Cassidy and the Sundance Kid.
Il laisse derrière lui une vaste carrière, riche de ses choix avisés mais aussi de refus étonnants, comme ceux des rôles principaux du Lauréat (au profit de Dustin Hoffman) et de Barry Lyndon (que jouera Ryan O’Neal). Et jusqu’à la décision d’accepter les marques du vieillissement, y compris les rides qui ont peu à peu envahi son visage sans altérer son charme, alors que son complice de L’Arnaque et Butch Cassidy et le kid, Paul Newman, se faisait adepte de la chirurgie esthétique avec des résultats navrants…
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Indépendance
S’il a tourné des films dès le début des années 1960, tout en brillant au théâtre (Pieds nus dans le parc) et en apparaissant dans des séries télé, c’est au milieu de cette décennie que Redford a entamé son irrésistible ascension. Daisy Clover de Robert Mulligan, La Poursuite impitoyable d’Arthur Penn et Butch Cassidy et le kid de George Roy Hill l’ont vu briller avant que le début des seventies ne le consacre avec Les Quatre malfrats (Peter Yates), Votez McKay (Michael Ritchie), Jeremiah Johnson, Nos plus belles années (Sydney Pollack), L’Arnaque (George Roy Hill), Gatsby le magnifique (Jack Clayton), Les Trois jours du condor (Pollack encore) et Les Hommes du président (Alan J. Pakula). Pour la plupart des films de genre, qu’il s’agisse de polars, de westerns ou de thrillers politiques. Et des œuvres abordant volontiers des sujets brûlants comme les dérives de la classe politique, les manœuvres de la CIA et, bien sûr, le scandale du Watergate dans le film de Pakula, où Redford et Dustin Hoffman jouent le tandem de journalistes du Washington Post –Bob Woodward/Carl Bernstein–, ceux-là mêmes dont les révélations provoquèrent la chute du président Nixon.
Les années 1970 furent celles d’un passage de pouvoir entre des grands studios en crise et des réalisateurs affichant leur indépendance tout en remplissant les salles. Redford y a aisément trouvé sa place, comme acteur puis en tant que réalisateur. Dans une position militante aussi, quand il a créé le festival de Sundance et l’Institut du même nom, et en a fait l’un des points névralgiques de la création cinématographique indépendante. Ou lors d’actions pour ses causes d’élection: les Native Americans (les descendants des peuples indiens), la prise de conscience écologique et les droits des minorités LGBTQIA+. Le séducteur épanoui dans l’âge mûr de Out of Africa (1985) n’ayant jamais cessé d’affirmer sa sensibilité anticonservatrice.
Alors qu’il a occupé les sommets du box-office et de la reconnaissance critique durant plus d’une décennie, Robert Redford n’a jamais reçu l’Oscar du meilleur acteur (on lui en offrit un «d’honneur», traduisez «de consolation», en 2002). Et il n’a été nommé qu’une seule fois, en 1973, pour L’Arnaque. Comment expliquer cette absence sinon par le style et le jeu éminemment discrets d’un comédien n’ayant jamais tâté de la méthode Actors Studio ni cherché le «rôle à Oscar», l’hyperperformance, qui a permis à quelques-uns de ses contemporains d’emporter la statuette?
Il laisse derrière lui une vaste carrière, riche de choix avisés et de refus étonnants.
En regard des exploits couronnés d’un Dustin Hoffman (Rain Man), d’un Marlon Brando (Le Parrain), d’un Jack Nicholson (Vol au-dessus d’un nid de coucou), d’un Jon Voight (Retour) ou d’un Robert De Niro (Raging Bull), le beau Robert n’a jamais joué de personnage extrême ni tenté une composition borderline. Il aime surtout jouer des êtres ordinaires confrontés à des situations extraordinaires. Des Ordinary People, pour citer le titre de son premier film en tant que réalisateur, véritable triomphe aux… Oscars, remportant quatre statuettes dont celles récompensant le meilleur film et le meilleur réalisateur! Cette chronique de la décomposition d’une famille bourgeoise sous le coup de la mort d’un fils est d’une sobre mais impressionnante modernité. Redford y filme comme il jouait pour la caméra des autres: sans effet ni afféterie, recherchant la justesse dans la simplicité. Il ajoutera huit autres réalisations à ce remarquable début, notamment L’Homme qui murmurait à l’oreille des chevaux, son plus grand succès commercial derrière la caméra. «En tant que réalisateur, je ne m’aimerais pas comme acteur; et en tant qu’acteur, je ne m’aimerais pas comme réalisateur», déclara-t-il un jour avec un soupçon de modeste ironie. Pourtant, l’un et l’autre n’ont cessé de porter les mêmes valeurs.
A partir des années 2000, Redford se fait plus rare sur les écrans: quelques réalisations un brin moins inspirées (Sous surveillance, Lions et agneaux), un rôle ou l’autre dans les thrillers d’espionnage de Tony Scott aux côtés de Russell Crowe (le sympathique Jeu d’espions), et c’est à peu près tout. Il faut atteindre véritablement les années 2010 pour qu’il offre ses deux derniers coups d’éclat. D’abord, avec All Is Lost de J.C. Chandor (2014), l’histoire d’un homme qui navigue seul sur l’océan Indien et va s’apercevoir d’une avarie sur son bateau. Un film radical de par sa sobriété brute, où Redford est l’unique comédien devant la caméra. Ensuite, en 2019, avec The Old Man and the Gun de David Lowery, petit polar où un gentleman-braqueur tire sa révérence criminelle avec flegme et romantisme. Un double adieu touchant et humble, à l’image d’une carrière dont le raffinement n’aura eu d’égal que la modestie.
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