Retour en grâce du film d’action à l’ancienne?
Un temps balayés par les blockbusters de super-héros, les films d’action classiques comme Mission: Impossible résistent malgré tout. Explications (musclées).
Dans le tout frais Mission: Impossible – Fallout, Tom Cruise, alias Ethan Hunt, se lance en chute libre depuis la stratosphère, roule à moto dans les rues de Paris sans casque (jusqu’à prendre la place de l’Etoile en sens inverse), poursuit un vilain à Londres en sautant de toit en toit… Tout cela à 56 ans et sans que personne s’en étonne. Moins bondissant mais tout aussi combatif et alerte, Denzel Washington, 63 ans, reprend son rôle de justicier implacable dans Equalizer 2, sorti cette semaine. Et on attend l’année prochaine le retour de Keanu Reeves, 53 ans, dans la peau de John Wick, veuf éploré qui, dans les deux premiers épisodes, éradiquait à lui seul la mafia russe parce qu’elle lui avait volé sa voiture et… tué son chien. Autant de héros qui savoureraient une retraite bien méritée s’ils avaient des remplaçants dignes de ce nom. Seulement voilà, le marché de l’action est désormais trusté par des personnages masqués ou en collant, aux pouvoirs décuplés par les effets spéciaux. Le bon vieux temps du film où les neurones du sauveur comptaient autant que ses muscles semble sinon révolu, en tout cas en voie de disparition. Heureusement, les papys font de la résistance. Ils n’ont pas dit leur dernier mot et espèrent bien susciter des vocations -à condition que Hollywood refasse confiance à un genre qui, quand il s’adapte à son époque, se révèle un divertissement riche d’enseignements. En se rappelant régulièrement à notre bon souvenir, Ethan Hunt et les autres pérennisent un genre sacralisé il y a tout juste 30 ans par Piège de cristal.
Ce long métrage, considéré par beaucoup comme une simple série B efficace, marque en réalité un jalon dans l’histoire du cinéma. Il représente le mètre étalon du thriller, aussi explosif que ciselé, réalisé par John McTiernan et incarné par Bruce Willis, éternel John McClane, cow-boy des temps modernes, à la fois impitoyable et pétri d’humour, coincé dans une tour investie par des preneurs d’otages. « Par la sophistication de sa mise en scène, la détermination du méchant, qui tue sans prévenir, l’ironie et le cynisme de McClane, Piège de cristal marque le début d’un cinéma d’action physique à la fois exalté et distancié« , explique le réalisateur Nicolas Boukhrief (Made in France). Christopher McQuarrie, metteur en scène de Mission: Impossible – Fallout (ainsi que de l’épisode précédent, Rogue Nation), confirme: « Piège de cristal est le meilleur film d’action qu’on ait jamais fait. Un chef-d’oeuvre. Une référence. » Certes, mais une référence vers laquelle on ne se tourne plus beaucoup. Et alors, quoi? Le moule est cassé? Non. Juste remisé. Du sang a coulé sous les ponts, deux tours se sont effondrées, et un simple policier ne suffit plus à rassurer les foules. « La vraie bascule, se souvient Olivier Delcroix, auteur du Cinéma d’action américain (Hoëbeke), c’est Matrix (1999). Des fusillades à la poursuite de voitures, en passant par un personnage principal taiseux avec ses lunettes noires, le long métrage coche toutes les cases du thriller d’action classique, mais il prépare l’avènement des films de super-héros avec d’impressionnants effets spéciaux, qui filent un coup de vieux au genre. D’ailleurs, à la fin, Keanu Reeves s’envole de la cabine téléphonique, tel Superman. » La suite, on la connaît. Spiderman, les X-Men, Hulk et leurs amis sauvent le monde tout en dominant le box-office. Les jeunes en redemandent. Les adultes, eux, ne sont pas dupes. Ils veulent du vrai, du réaliste. Un retour du héros « crédible » se fait sentir. C’est ainsi qu’au fil des années 2000 l’espion devient le nouvel action man de l’Amérique. À la télé, c’est Jack Bauer dans la série 24 Heures chrono. Au cinéma, c’est Jason Bourne ou xXx (Vin Diesel). Et puis Ethan Hunt, alors qu’on n’en attendait plus grand-chose, lancé avec fracas par Brian De Palma en 1996, mais affaibli par John Woo et J. J. Abrams dans deux suites oubliables. Dans Ghost Protocol, de Brad Bird (2011), il revient plus déterminé que jamais. « Ce film marque la renaissance de la licence, reconnaît Christopher McQuarrie. C’est de l’action pure et graphique, dans la droite lignée des Indestructibles , du même Brad Bird. La longue séquence dans la tour Burj Khalifa (à Dubaï) est d’ailleurs un hommage direct à Piège de cristal. » Ainsi qu’un pied de nez à Spiderman, quand Tom Cruise, sans autre pouvoir que des gants en peau de gecko, escalade ce fameux gratte-ciel de 828 mètres de hauteur!
Un héros faillible
« C’est à partir de là que Cruise exécute ses cascades lui-même et le fait savoir, dit Olivier Delcroix. On revient aux sources du cinéma d’action américain, quand on tremblait pour Douglas Fairbanks. Excepté des câbles gommés en post-production ou ce genre de choses, il y a peu de trucages numériques dans les Mission: Impossible. On se rappelle alors que le cinéma est un art de la foire, il faut que ça fasse vibrer. Une grande partie du public en a ras le bol des pixels et demande un retour au réel. » C’est pourquoi, quand le même Cruise se pète l’astragale (un os dans la partie postérieure du pied) sur le plateau de Fallout, le service marketing ne se prive pas de diffuser l’info. À quelque chose malheur est bon. Ce n’est pas un hasard si même James Bond, agent britannique, mais né cinématographiquement à Hollywood, est passé par une refonte totale dans Skyfall (2012), considéré comme le meilleur volet de la saga: dépourvu de gadgets, fatigué, vulnérable, au point de passer pour mort dès le prégénérique.
Contre-proposition aux blockbusters dopés par une surenchère fantastique, le vrai bon film d’action passe par un héros faillible. « Alfred Hitchcock l’a compris avant tout le monde, déclare Christopher McQuarrie. En cela, La Mort aux trousses demeure le premier film d’action moderne. » « La séquence de Cary Grant avançant calmement vers la caméra tandis qu’un avion explose est une image qu’on retrouve dans tous les films d’action« , abonde Olivier Delcroix. Pour autant, il ne suffit pas de faire du copier-coller pour réussir son coup. Sans quoi Death Wish, pourtant avec Bruce Willis, remake bourrin du déjà très lourd Un justicier dans la ville, avec Charles Bronson (1974), n’aurait pas fait un four. Le vigilante movie, où un civil à bout de nerfs devient redresseur de torts, a pourtant de nouveau la cote. Pour preuve, le succès d’Equalizer, dont Antoine Fuqua vient de signer la suite. « Ces films s’inscrivent dans un courant social et un paysage politique particuliers, explique le cinéaste. Les gens ont soif de justice et d’égalité. Mais il est essentiel que les scènes d’action racontent quelque chose et qu’une humanité se dégage du héros, sans quoi ce sont des spectacles vides de sens. » Pour peu que les scénarios soient peaufinés, tous ces divertissements recèlent autant de noirceur que de complexité. L’Amérique a la trouille et s’interroge sur ses angoisses internes. Le Mal vient désormais de l’intérieur. Dans Fallout, comme dans Rogue Nation, le méchant est un espion devenu extrémiste, dont le but n’est pas de diriger le monde, mais de le détruire. Une conjoncture propre à donner pas mal de boulot aux héros prêts à en découdre. « Le souci est que Hollywood reste ancré sur des scénarios ultrabinaires, regrette Nicolas Boukhrief. La tradition du bon film d’action subsiste, mais le bling-bling des super-héros Marvel et consorts reste majoritaire. » Qu’importe. Ethan Hunt et les autres ne lâchent rien. Au bout du compte, c’est sûr, le public reconnaîtra les siens.
Loué soit Luc Besson, qui, en 1990, prouve au monde entier que les femmes peuvent aussi être des héroïnes de films d’action! « Nikita est l’un des meilleurs films d’action de tous les temps« , reconnaît Antoine Fuqua. Le même Besson réitérera l’expérience avec Lucy (2014), énorme carton planétaire. Malgré cela, les Américains (et le reste du monde) ont du mal à suivre l’exemple. Pour des centaines de mâles gonflés à la testostérone, combien d’Uma Thurman dans Kill Bill ou de Charlize Theron dans Atomic Blonde? À peine 5%!
John McTiernan (Piège de cristal) en personne l’a reconnu dans une interview donnée à Première en 2016: « Le culte de l’hypermasculinité américaine est l’une des pires choses qui soient arrivées durant les 50 dernières années. » Les 50 prochaines, avec la prise de conscience paritaire qui agite la société depuis plusieurs mois, devraient être différentes. Le tout, c’est d’y croire.
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