Hafsia Herzi adapte La Petite Dernière, le monologue brûlant de Fatima Daas, dans un film lumineux. Son héroïne mène un combat intérieur âpre dont elle sort grandie. Rencontre avec sa jeune interprète, Nadia Melliti.
La Petite Dernièrede Hafsia Herzi
Comédie dramatique avec Nadia Melliti, Ji-Min Park, Amina Ben Mohamed. 1h46.
La cote de Focus: 4/5
La Petite Dernière commence par une prière à Allah, une prière à soi peut-être aussi. Fatima lutte contre ses désirs qu’on lui dit incompatibles avec sa foi. Son identité morcelée –fille aimante, femme désirante, croyante pratiquante–, elle va chercher le moyen de l’harmoniser, parfois en se heurtant aux autres, plus souvent à elle-même. Le roman de Fatima Daas avait fait éclore une voix. Hafsia Herzi lui donne chair, filmant le trouble de la découverte sensuelle et sexuelle, la joie de faire communauté, mais aussi la profondeur de la foi et ses rituels. L’écrivaine et son héroïne se révélaient par les mots, Nadia Melliti, elle, se révèle à l’image. La comédienne incarne avec une impressionnante maturité cette quête d’émancipation que la réalisatrice laisse advenir avec tendresse et audace dans les petits gestes du quotidien.
A.E.
S’il est une chose qu’aime le Festival de Cannes, c’est bien révéler de nouveaux visages. Le Prix d’interprétation remporté en mai dernier par la jeune Nadia Melliti, qui apparaissait pour la première fois à l’écran dans La Petite Dernière d’Hafsia Herzi, ne déroge pas à la règle. L’actrice est de quasiment tous les plans et, surtout, elle donne corps à une voix singulière qui avait déjà fait vibrer le monde littéraire il y a quelques années. «Je m’appelle Fatima. […] Je suis française. […] Je suis algérienne.» Une pécheresse, une musulmane, une asthmatique, une banlieusarde, quelqu’un qui écrit, qui mène une double vie… «Ce qu’il y a de plus fort chez Fatima, c’est sa combativité, souligne Nadia Melliti. Elle essaie de concilier sa religion et son homosexualité, ce qui n’est pas du tout évident. Elle mène une lutte intérieure. C’est un personnage qui ne s’exprime pas énormément, que ce soit auprès de sa famille ou ses amis, qui garde tout pour elle. Les combats qu’elle mène, elle les mène en secret.»
Pour conduire sa lutte à bien, Fatima porte une armure, mais que le film l’autorise à déposer, de temps en temps, avec sa mère, avec ses amies. «On a l’impression qu’elle est dure, et elle peut l’être, mais elle a aussi beaucoup de sensibilité. Finalement, c’est l’amour qui la sauve. L’amour des autres, l’amour d’elle-même. Parce qu’elle connaît l’amour, elle a envie d’être authentique, d’être sincère. D’ailleurs, elle ne mentira plus à partir du moment où elle rencontre sa petite amie.»
Lutte intérieure
C’est aussi une communauté que croise Fatima quand elle elle quitte les Yvelines et arrive à Paris. Une communauté dans laquelle elle se reconnaît. «Sentir qu’on n’est pas seule, comprendre qu’il y a des personnes comme nous, c’est rassurant. Fatima a besoin d’être entourée de ces personnes-là pour grandir, car elle a peur du rejet de ses parents. Pourtant, on pourrait se demander pourquoi elle ne le leur dit pas alors que tout se passe bien dans sa famille. Elle a des parents aimants, des sœurs complices. Mais elle est terrorisée à l’idée d’être rejetée par les gens qu’elle aime. C’est une question importante à explorer, je trouve. J’ai le sentiment que Hafsia a voulu insister sur le côté intérieur de sa lutte. Elle a changé certaines choses par rapport au livre, notamment en ne montrant pas un père trop autoritaire. J’imagine qu’elle avait le souci de ne pas céder au cliché de la stigmatisation systématique au sein de la communauté musulmane. Fatima se bat surtout contre elle-même: c’est d’abord elle qui n’accepte pas son homosexualité. Et c’est dur de se battre contre soi.»
Hafsia Herzi ne dit d’ailleurs pas autre chose: «La Petite Dernière montre le chemin vers l’acceptation de sa sexualité, mais aussi la tentative de réconcilier celle-ci avec sa foi. Je vois une jeune femme en quête d’elle-même, parfois dans la souffrance, mais qui finira par s’en sortir. Personne n’a à décider à sa place.»
Ce sentiment d’être en conflit avec ce que les autres attendent de vous, Nadia Melliti le connaît. Petite, elle joue au foot, beaucoup, ce qui ne cadre pas avec l’image qu’on se fait d’une fille dans son quartier. «J’ai l’impression que Fatima est un personnage malade de son identité, mais qui a envie de guérir, qui cherche des solutions, même si ce ne sont pas toujours les bonnes. D’une certaine façon, je me suis reconnue, en tant que jeune Maghrébine qui faisait du foot, un sport dit « masculin ». J’ai dû lutter pour en faire, pas au sein de ma famille, mais plutôt de la société. J’étais bizarre. Ça a fait ma force. J’avais envie de prouver à ces personnes-là qu’une femme pouvait y jouer. Je me suis reconnue à travers ce personnage, on partage une lutte intérieure. Ça a forgé mon caractère.»
«Fatima est un personnage malade de son identité, mais qui a envie de guérir, qui cherche des solutions, même si ce ne sont pas toujours les bonnes.»
C’est la directrice de casting engagée par Hafsia Herzi qui a repéré Nadia dans la rue. Elle l’a encouragée à se présenter pour le rôle, même si elle n’avait jamais joué. «J’ai eu un coup de cœur en découvrant la photo de Nadia, confie la réalisatrice. Elle n’avait pourtant aucune ambition de devenir actrice: elle faisait du foot et étudiait dans une école de sport. Pendant les essais, j’ai été frappée par son naturel et son intelligence de jeu. En tant qu’athlète, elle possédait la résilience mentale nécessaire pour tenir pendant le tournage. Comme elle jouait très bien au foot, et que je trouve ce sport visuellement magnifique, j’ai ajouté cet aspect au personnage.»
Etre à la hauteur
«J’ai adoré m’inventer une vie, partage Nadia Melliti. J’avais l’impression d’être quelqu’un d’autre, mais en même temps moi-même. Beaucoup de personnes aimeraient faire ce métier, mais moi, je vois tout ça comme un jeu, un jeu qu’il faut gagner bien sûr. En passant le casting, je me suis dit: ce n’est pas possible, elles ont toutes fait le cours Florent, le conservatoire, je ne me sentais pas à ma place. En même temps, il y avait ce truc de sportive. Je me suis dit que je n’avais rien à perdre. Quand j’ai su que j’avais le rôle, je suis allée boire un café avec Fatima Daas, en me disant: je l’observe, et je vois ce que je peux lui piquer. Comment elle s’habille, comment elle bouge, comment elle s’assied. A-t-elle a plutôt le dos droit? Est-elle plutôt courbée? Pose-t-elle les coudes sur la table? Je me suis inspirée de ça. Et puis, j’ai rencontré Hafsia. Elle est d’une humilité folle, tellement à l’écoute. J’ai tout de suite eu confiance. Je me suis dit que c’était la bonne personne et la bonne réalisatrice pour cette histoire. Je savais qu’il y avait des scènes d’intimité, et je me suis sentie très soutenue. Dès lors, j’ai eu besoin de lui rendre la pareille, puisqu’elle m’avait fait confiance, et que j’avais peut-être pris la place de quelqu’un dont c’était un rêve, quelqu’un qui aurait voulu peut-être mille fois plus que moi interpréter ce personnage. Pour moi, ça aurait été un manque de respect total si je n’avais pas été à la hauteur de ses exigences et de la confiance qu’elle m’a accordée. En fin de compte, je suis très fière d’avoir dépassé ma peur initiale, et de faire partie de ce film. Le simple fait que ce personnage existe aujourd’hui, c’est capital, car cela permet de s’identifier, pour une communauté qui, me semble-t-il, est en souffrance et qui a besoin de représentation. Je suis fière d’avoir participer à la mettre en lumière, et à lui donner une voix.»
Les autres sorties ciné de la semaine
Springsteen: Deliver Me from Nowhere
Biopic de Scott Cooper. Avec Jeremy Allen White, Jeremy Strong, Stephen Graham. 1h52.
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N.R.
Exit 8
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Les «espaces liminaires»? Des plaines de jeux délaissées, de vastes paysagers vétustes, des damiers de carrelage policés qui s’étendent à perte de vue… Nés de l’imaginaire d’Internet, ces lieux suscitent le malaise car ils ont perdu leur fonction première: être investi par la présence humaine. En plaçant son intrigue dans un dédale de corridors de métro qui se répètent à l’infini, Exit 8, tiré d’un jeu vidéo à succès, exploite à merveille cet effroi très contemporain. Si le film accuse quelques longueurs et répétitions, sans doute dues à son concept assez restreint, la mise en scène de Kawamura, bâtie autour de longues prises immersives, parvient à induire l’étrangeté dans un environnement a priori très ordinaire. De quoi patienter avant de voir l’adaptation prochaine des fameuses Backrooms produite par A24, qui promettent une exploration autrement plus vertigineuse de ces espaces liminaires.
J.D.P.