Rencontre avec Monica Bellucci, nouvelle James Bond « Lady »
Quatrième italienne de la grosse septantaine d’actrices à avoir officié en Bond Girls dans la plus célèbre saga d’espionnage de l’histoire du cinéma, Monica Bellucci est surtout, et de loin, la plus âgée du lot. À mort le jeunisme phallocrate des franchises ciné ?
« Mon agent m’a appelée un jour: « Tu connais la meilleure? Sam Mendes veut te rencontrer pour le prochain James Bond. » J’ai pensé: « Est-ce que ce type est seulement au courant que j’ai 50 balais? » » Oui, Sam Mendes était au courant. Non, ça ne l’a pas empêché de rencontrer Monica Bellucci, donc, ni même, en définitive, de l’enrôler pour la 24e aventure cinématographique du matricule 007 sous bannière Eon Productions, créant là un micro-événement en soi: avant Spectre, la plus « vieille » actrice de l’Histoire de la franchise castée en Bond Girl avait 39 ans au moment du tournage -on parle ici d’Honor Blackman, inoubliable Pussy Galore de Goldfinger (1964).
Bellucci, 51 années au compteur depuis le 30 septembre dernier, préfère pour sa part parler d’une « Bond Lady ». Plus classe. Et carrément raccord avec la grâce et la superbe, résolument immarcescibles, affichées par la comédienne italienne. « Il y a dans Spectre l’idée d’une féminité aux deux visages. Madeleine, que joue Léa Seydoux, représente la jeunesse, la modernité. C’est une femme d’action qui se veut l’égale de l’homme. Quant à Lucia, que j’incarne, il s’agit d’une veuve, très secrète, qui appartient à un monde où le pouvoir est toujours l’apanage de la gent masculine -elle n’est pas italienne pour rien (sourire). En un sens, l’une incarne le futur et l’autre le passé, étant entendu que le premier a toujours des leçons à tirer du second. »
Un enseignement qui vaut aussi pour une franchise historiquement, et indéniablement, phallo-centrée, et fort peu encline aux envolées féministes, les dames, atouts de charme, s’y répartissant le plus souvent, malgré quelques sidekicks plus physiques, en deux catégories bien marquées: soit attirantes et fatales, comme cette irrésistible poiscaille à l’épine dorsale empoisonnée de The Spy Who Loved Me (1977), soit belles et innocentes, créatures délicates, fragiles, aux instincts sécuritaires. « A mon grand étonnement, beaucoup de gens en sont encore à me demander comment, après avoir joué dans des oeuvres aussi radicales et sans concession qu’Irréversible de Gaspar Noé, je peux me « compromettre » dans une franchise comme celle-là. Je tiens à dire que je suis très honorée de m’inscrire dans une aussi longue et respectable tradition de films à succès. Et que j’admire et respecte beaucoup de James Bond Girls toujours en activité, de Sophie Marceau à Eva Green en passant par Rosamund Pike ou Halle Berry. Des femmes belles et talentueuses. Il y a aussi toute une mythologie de la Bond Girl qui s’incarne en puissantes visions de cinéma: Ursula Andress sortant de l’eau dans Dr. No c’est un peu comme Anita Ekberg dans la fontaine de Trevi dans La Dolce Vita de Fellini. Des images appelées à être éternelles. »
Dans l’air du temps
Eternelles oui, comme les diamants donc, la saga Bond charriant en effet son lot de séquences phares, de répliques cultes et de personnages iconiques à même de défier les âges. A l’image de ses interprètes. « Mon Bond préféré reste Sean Connery. Gamine, j’étais amoureuse de lui. Il semblait tellement protecteur. C’est la virilité à l’état pur. Mais l’acteur qui m’a le plus marquée et influencée dans ma vie, c’est Marcello Mastroianni, sans hésitation. Il était très masculin, mais il y avait beaucoup de douceur en lui, une part de féminité vraiment troublante. Aujourd’hui, si je ne devais en garder qu’un, ce serait Bill Murray, pour les mêmes raisons, cette dualité, ce mélange de dureté et d’humour. C’est mon grand problème, il me faut deux hommes en un, voire trois ou quatre même (sourire). »
Ils sont pas moins de six à avoir déjà enfilé le costume du plus célèbre agent au service secret de sa Majesté. Lequel n’a peut-être jamais affiché un profil aussi dense et complexe qu’aujourd’hui. « Sam Mendes est un cinéaste obsédé par l’idée de s’immiscer en profondeur sous la surface des choses -c’était d’ailleurs le sujet même d’American Beauty. Avec Skyfall, et aujourd’hui Spectre, il a réussi le tour de force de concilier cette grammaire très personnelle avec celle, très codée, des James Bond. 007 a gagné en épaisseur grâce à lui, il est moins prévisible qu’auparavant. Pendant longtemps, Bond pouvait aimer et tuer sans connaître de véritables tourments. Il gardait toujours le contrôle. Désormais, il se cherche davantage. C’est un homme de son temps. »
Barbara Broccoli, fille d’Albert et productrice historique de la franchise à sa suite, ne dit d’ailleurs pas autre chose: « Un James Bond est toujours, quelque part, le miroir de l’époque qui l’a vu naître. Miss Moneypenny est black, désormais, et joue un rôle particulièrement actif et décisif dans les deux derniers films de la saga. Il en va de même pour les Bond Girls, qui s’affranchissent toujours un peu plus des carcans instrumentalisants dans lesquels on a parfois pu les restreindre. »
Les ailes du désir
Revenant sur son personnage d’épouse aux charmes vénéneux d’un meurtrier rital tué par Bond dans Spectre et sur les implications d’être une femme dans un univers d’hommes, Monica Bellucci remonte quant à elle le fil de sa propre histoire, débutée en Ombrie au mitan des années 60. « J’ai très tôt été indépendante. Mon père était quelqu’un de calme, mais aussi d’imprévisible. Il m’aimait beaucoup, et m’a appris énormément de choses. Mais j’ai toujours eu le sentiment que je devais me protéger des hommes. C’est sans doute pour ça que j’ai commencé à travailler si jeune. Je bossais déjà sur le côté quand j’étais encore à l’école. Mon père disait toujours: « Même quand tu sors avec un homme, prends ton argent avec toi. » (sourire) » Et d’ajouter: « Beaucoup de femmes aujourd’hui doivent encore comprendre ce qu’est vraiment l’indépendance. Il s’agit là d’un combat important, qui relève sans doute désormais davantage d’une question d’impulsion intérieure, de volonté propre. Enfermez un oiseau dans une cage pendant très longtemps, puis ouvrez-la: il ne s’envolera pas forcément pour autant. La liberté s’apprend. »
Pas du genre à chômer, la comédienne, qui prétend toujours que le secret de la forme c’est de bien manger, bien boire et bien faire l’amour, enquille les projets. Elle sera notamment du prochain film d’Emir Kusturica, On the Milky Road, tourné dans le sud de la Bosnie, résolue à faire mentir l’adage voulant que la carrière d’une actrice ne fait que décliner après ses 50 ans. « Le constat était encore bien pire avant: à 40 ans c’était plié, même si vous aviez du talent. A cet égard, j’espère que Spectre, à sa manière, fera passer le message: oui, une quinquagénaire peut encore susciter du désir. Vous savez, je n’ai jamais vraiment fait partie du système hollywoodien, je n’ai jamais habité aux Etats-Unis et tous les films américains auxquels j’ai participé c’est par filière européenne, mais regardez en France, où je vis actuellement: Isabelle Huppert, Catherine Deneuve, Nathalie Baye ou même Charlotte Rampling, qui est d’origine britannique, elles interprètent encore toutes des rôles majeurs, intéressants, sexy. La vie est plus longue aujourd’hui, le regard sur les femmes mûres en général, et sur les actrices en particulier, évolue. Moi je souhaiterais qu’à 50 ans, on n’en soit qu’à la moitié. Je veux vivre centenaire et toujours jouer. »
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