REGARD, un festival québecois « court, mais surprenant »
La 27e édition de REGARD, l’un des principaux festivals de courts métrages en Amérique du Nord, s’est déroulée fin mars au Saguenay, au nord du Québec. Court mais surprenant, suivant son imparable slogan, l’événement a décliné son ambiance festive dans les frimas hivernaux. Impressions.
Quand on arrive à Chicoutimi en ce 22 mars en provenance de Montréal, le soleil déclinant de la fin d’après-midi laisse augurer une transition en douceur vers un printemps officiellement entamé deux jours plus tôt. Comme pour conforter ce sentiment, la fraîcheur persistante n’a pas découragé les nombreux candidats au 5 à 7 -traduisez apéro- en plein air organisé devant le théâtre C du Cégep (collège d’enseignement général et professionnel), qui s’apprête à accueillir, dans une paire d’heures l’ouverture de Regard, festival international du court métrage au Saguenay. Lancé sur des bases modestes au mitan des années 90, celui-ci s’est imposé, au fil du temps, comme l’une des principales manifestations du genre en Amérique du Nord, reconnue notamment par les Oscars. Un must pour les réalisateurs du cru, qu’ils soient établis, comme Philippe Falardeau ou Monia Chokri, qui y ont montré leurs premiers essais, ou plus ou moins débutants, comme ceux, nombreux, venus présenter leurs films à “Tourner à tout prix”, “100% Régions” ou dans les programmes compétitifs. Et un rendez-vous fort prisé des cinéastes et autres professionnels du monde entier (Jérémy Clapin ou Rodrigo Sorogoyen comptent parmi les lauréats de précédentes éditions) qui, non contents d’y trouver la porte d’entrée d’un continent, y découvrent un sens de l’accueil doublé d’une ambiance festive à nulle autre pareille. Une formule ayant largement fait ses preuves, l’édition 2023, avec ses quelque 200 films en provenance d’une cinquantaine de pays, répartis entre compétitions et programmes thématiques, son marché, ses activités et animations multiples, ayant drainé rien moins que 30 000 spectateurs en cinq jours, pros mais plus encore grand public.
Inclusion et diversité
“Bon matin!” Pas de doute, on est bien au Québec. Mélissa Bouchard, que l’on rencontre le lendemain, est la directrice de la programmation de Regard qu’elle a d’abord fréquenté comme bénévole -ils étaient encore 167 cette année à aider les 29 employés au bon déroulement du festival-, avant d’y montrer ses films, puis de rejoindre l’équipe. “Ce qui nous a un peu guidés cette année, c’est l’idée d’inclusion et de diversité, explique-t-elle. ça nous a beaucoup nourris, et transparaît dans nos choix. Au Québec, c’est assez particulier: on est un petit cocon francophone dans le Canada, mais le Québec se diversifie, se multiculturalise, ça se sent de plus en plus. C’est super intéressant, et par l’ajout de nouvelles compétitions pour les films queer, ou la carte blanche à “présence autochtone”, on avait envie que le festival soit de plus en plus inclusif pour évoluer avec la société.” Le socle de la programmation reste la production québécoise, une petite moitié des films sélectionnés est l’illustration d’un bouillonnement créatif que le festival a toujours veillé à soutenir, avec des programmes dédiés notamment. “Le court se porte bien au Québec, on reçoit plus de 350 films québécois par année, dont très peu -une vingtaine- sont financés par la Sodec ou par les institutions. Les créateurs indépendants sont vraiment forts et présents.” Et l’entraide, l’amitié et la débrouille ne sont assurément pas de vains mots… La qualité n’est pas en reste, le festival alignant les petites (ou plutôt courtes) pépites -les Simo, d’Aziz Zoromba, Madeleine, de Raquel Sancinetti, ou Invincible, de Vincent René-Lortie, par exemple, qui figureront à des titres divers au palmarès.
Comme tant d’autres, Regard a été durement impacté par la pandémie, survenue alors que l’édition 2020 venait de débuter pour se voir aussitôt annulée sine die. Quant à la suivante, elle s’est déroulée en formule “ciné-parc”: “On trouvait important de ne pas s’arrêter, et de continuer à essayer de faire des choses, mais c’est plat, pour un cinéaste, de venir présenter son film à des voitures.” En 2023, le festival a toutefois retrouvé sa vitesse de croisière, en profitant, sous l’impulsion notamment de sa nouvelle directrice générale, Justine Valtier, pour tenter divers changements. Ainsi, par exemple, de nouvelles programmations thématiques remplaçant, dans la grille horaire, les traditionnelles “reprises”, désormais accessibles en ligne dans les semaines suivant la manifestation. Deux d’entre elles, “Transmissions” et “Territoires” font précisément l’objet du double programme proposé le jeudi en début d’après-midi au Centre d’expérimentation musicale de Chicoutimi-Nord, de l’autre côté de la rivière Saguenay. Dans l’intervalle, une tempête de neige s’est abattue sur la région, mais si le visiteur ne manque pas d’être impressionné, il en faut plus pour émouvoir les Chicoutimiens: le conducteur de la navette qui nous y dépose en a vu d’autres; certains festivaliers aussi qui, un peu plus tard, rejoindront le 5 à 7 organisé au cœur de la ville, dans la ruelle du Court-Métrage -le lendemain, ce sera un tournoi de pétanque. Quant à la salle de 200 places, elle affiche complet alors que les deux programmes thématiques font rimer leurs films, “Transmissions” entraînant le spectateur du désert israélien (Maale Akravim, de Yaniv Linton) à la jungle péruvienne (Shirampari, de Lucía Flórez) notamment. Tandis que la notion de “Territoires” trouve des expressions diverses: entre la clôture séparant Parc-Extension de Mont-Royal, à Montréal, dans Des voisins dans ma cour, d’Eli Jean Tahchi, et la plongée comme dans la gueule de l’enfer de friches industrielles que propose Ilaria Di Carlo dans Sirens, les six films composant le programme semblent se répondre en un dialogue stimulant.
Speed-greeting
Le lendemain, rendez-vous est pris à la Pulperie de Chicoutimi, le musée régional, pour un petit déjeuner professionnel organisé à l’initiative du Marché du court. Si les projections en constituent la sève, le réseautage est l’un des éléments-clés du festival, qui draine des pros venus de l’ensemble du Canada, mais aussi de l’international. Ainsi, par exemple, d’Anaïs Boudry, chargée de programmation et du volet pro au Festival international du film francophone de Namur, qui en est à son premier Regard. “J’essaie de combiner réseautage et prospection, explique-t-elle. On avait listé entre 60 et 70 films pouvant être intéressants chez nous. Et le réseautage prend beaucoup de place, j’essaie de rencontrer des ayants droit québécois parce qu’il y a beaucoup de distributeurs de courts métrages au Québec, et qu’on reçoit chaque année de nombreux films. Il y a donc ce but-là, rencontrer des gens, mettre des visages sur des adresses e-mail, échanger, parfois resituer un peu comment on programme, le règlement, la place du court dans le festival, un aspect networking, où on a pris des rendez-vous en amont. Et puis les activités que nous propose le Marché, comme ces petits-déjeuners, qui favorisent la rencontre avec tous les professionnels présents. Et enfin, il y a un troisième aspect, hyper-intéressant, c’est de voir comment ça se passe ailleurs, de voir comment l’organisation se déroule, la prise en charge des invités, les projections, la manière dont les salles se remplissent, comment ils organisent les rencontres professionnelles…”
Celle de ce matin repose sur une formule simple, réunissant des invités d’horizons divers -producteurs, distributeurs, programmateurs, cinéastes…- sous forme de “speed-greeting” autour de tables rondes successives de 20 minutes chacune. L’on y croisera par exemple Madeleine Aubin, coordinatrice de Kinomada, laboratoire nomade de création de courts métrages en une semaine. Ou Jake Laystrom, débarqué du Chicago International Children’s Film Festival pour faire partie du jury de la Compétition jeunesse (le volet scolaire est l’un des plus importants de la manifestation, plus de 17 000 jeunes de la région Saguenay-Lac-Saint-Jean étant initiés au court chaque année). Et des réalisateurs, bien sûr: le Québécois Rafaël Beauchamp, venu présenter son nouveau film, Les Battues, et à peine remis d’avoir revu la veille ses premiers balbutiements dans le cadre des “Dernières mondiales”, programme articulé autour des pires œuvres des auteurs de la 27e édition. Le Réunionnais Vincent Fontano aussi, dont on découvrira le premier opus, Sèt Lam, perle en noir et blanc travaillant le motif de la transmission et des fantômes, un cinéaste venu par pur plaisir en espérant “découvrir la neige”, en quoi il aura été servi, et qui repartira avec la mention spéciale du jury. Ou Nelson Polfliet, réalisateur bruxellois de Portrait of a Disappearing Woman, un projet éminemment personnel racontant la curieuse odyssée d’une poissonnière échappant aussi bien à elle-même qu’à la routine du quotidien à la faveur d’une visite au Musée des Beaux-Arts -et, accessoirement, l’un des deux films belges présentés en compétition, aux côtés de Se dire d’un cerf qui quitte son bois, de Salomé Crickx. “Faire un film demande beaucoup de temps et de travail: pendant un an, tu vis presque en cage avec lui, relève le cinéaste, qui a fait ses classes au RITCS. Le moment où le film est montré est celui où il commence à vivre, où il existe à travers le regard d’un public. La sélection à Regard est importante, d’autant plus que, comme tous les arts, le court métrage est un art très compétitif, c’est chouette qu’il y ait ce circuit de festivals internationaux.”
Présence autochtone
Particularité du Saguenay, la ville, née en 2002, de la fusion des arrondissements de Chicoutimi, Jonquière et La Baie, consiste en plusieurs entités. Une vingtaine de kilomètres séparent ainsi le centre névralgique du festival de Jonquière, que l’on rejoint en voiture pour découvrir le programme “Présence autochtone”. Pour sa 27e édition, Regard a veillé à accorder une place plus grande aux populations autochtones en effet, résultant en cette carte blanche octroyée au festival montréalais homonyme, amorce d’une coopération appelée à devenir structurelle. Le 5 à 7 bat son plein au Cegep de Jonquière, prélude à une séance entourée d’une ferveur toute particulière, qu’introduit par une cérémonie Telesh Bégin, une représentante de la communauté innue, bientôt relayée par l’intervention habitée d’André Dudemaine, qui a sélectionné une série de coups de cœur. Le programme, avec ce qu’il suppose de réaffirmation et de réappropriation culturelle, sera passionnant. Comme le seront, à des titres divers, ceux consacrés aux films de genre et au cinéma du Kosovo. Ou, bien sûr, au cinéma d’animation, savouré par un parterre de 800 spectateurs enthousiastes. Quelques propositions parmi beaucoup d’autres, pour un festival qui aura aussi enregistré avec un plaisir non dissimulé le retour des deux soirées du Cabaret SiriusXM. Les mines chiffonnées mais ravies affichées le dimanche matin lors d’une remise des prix à l’image du festival, détendue, en disaient long sur la réussite de la fête. Le palmarès couronnera pour sa part de son Grand Prix le très beau Natureza Humana, de la Portugaise Mónica Lima, un autre réalisateur lusitanien, Ary Zara, repartant avec prix du public pour le troublant An Avocado Pit, tandis que le prix du jury allait au suffocant Invincible, du Québécois Vincent René-Lortie. Le point d’orgue provisoire -les inscriptions pour la prochaine édition seront ouvertes en juin- d’un festival que son slogan annonçait, à juste titre, “Court mais surprenant”, et qui, à l’instar de la météo québécoise, se sera révélé en tous points revigorant.
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