
Reflet dans un diamant mort, le film pop et psychédélique qui déconstruit le mythe bondien
Cattet & Forzani sont de retour avec un nouveau feu d’artifice sensoriel, qui revisite avec fougue et créativité la figure du héros bondien, questionnant la fin d’un mythe, et d’un monde.
Présenté en compétition lors de la dernière Berlinale, Reflet dans un diamant mort contient en son titre alambiqué presque tous ses secrets. La mort, celle du Héros avec une majuscule, la figure de l’homme providentiel qui sauve le monde à la dernière minute, est au cœur du labyrinthe narratif auquel nous invitent les cinéastes. De reflets, d’échos, d’illusions, de reproductions subtilement amendées le film regorge, paré de mille facettes comme la gemme dont il s’inspire, et vecteur d’une multiplicité de lectures et relectures qui viennent enrichir la vision du film comme son souvenir. L’éblouissement causé par les reflets du diamant évoque la sollicitation sensorielle que suscite le film d’Hélène Cattet et Bruno Forzani, adeptes «d’expériences cinématographiques construites comme des montagnes russes, pour que le public en prenne plein les yeux et les oreilles.» Et à bien y repenser, ce voyage dans la mémoire défaillante d’un vieil espion qui fait le point sur sa gloire passée donne le sentiment d’assister à l’explosion d’un miroir que l’on rembobinerait, les innombrables fragments se réagglomérant à la fin du récit pour redonner un sens aux divagations du héros. Un puzzle dont la clé serait la figure du diamant.
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«C’est comme ça qu’on a pensé le récit, on a construit l’histoire avec plusieurs couches thématiques et narratives, confirme Bruno Forzani. Quand on regarde un diamant, il a plusieurs facettes. On a voulu la même chose pour le film, qu’on puisse le voir de différentes manières.» «On a épousé la mémoire fragmentée du personnage principal, poursuit Hélène Cattet. L’une de nos références esthétiques pour ce film, c’était l’op art, l’art de l’illusion optique, un thème que l’on retrouve dans les décors comme dans les costumes, d’ailleurs.»
Sensations de violence
L’une des (nombreuses) séquences mémorables du film met en scène une espionne parée de la célèbre robe miroir de Paco Rabanne, et qui en use pour combattre ses adversaires. Les héroïnes du film retournent la fétichisation du corps féminin à leur avantage. Si la violence est bien présente, elle amène différents types d’émotions, qui vont du rire au plaisir esthétique en passant par la souffrance. «On part de choses sombres que l’on essaie de sublimer, détaille Bruno Forzani. Chez nous, la violence est souvent surréaliste, pour la dédramatiser, mais aussi pour l’amener ailleurs. On ne veut surtout pas qu’elle soit aseptisée comme dans les blockbusters.» La violence dans le film a un effet, ressenti au plus profond. «Depuis nos débuts, et de façon très intuitive, nous travaillons le côté sensoriel du cinéma, avec pour objectif de toucher le spectateur inconsciemment, dans son corps plus que dans son cerveau, poursuit Hélène Cattet. Etre viscéral, sans être didactique. On ne passe pas par des mots, mais par des sensations. Ça se joue avec les images et le son, le montage, tous les outils du cinéma.»
«C’est génial de se retrouver pour se demander comment on fait semblant tous ensemble,»
Comme les précédents titres des cinéastes, qui faisaient référence au giallo ou au western spaghetti, Reflet dans un diamant mort trouve son inspiration dans un genre bien particulier du cinéma italien des années 1960: l’Eurospy. Il ne s’agit pas ici de pastiche ni d’hommage, plutôt une façon bien particulière de s’emparer d’un langage pour l’assimiler au sien. Ces films composent une sorte de pré-histoire à Reflet qui, comme un palimpseste, vient se superposer à cette filmographie, nourri de cet imaginaire de cinéma collectif tout en l’actualisant. Des films «loin du côté très binaire des blockbusters actuels, rappelle Bruno Forzani, qui ne restent pas cantonnés à des zones hyperbalisées.»
Des films, aussi, faits dans une économie modeste, qui exaltent l’art de la débrouille et du bricolage. «C’est aussi pour ça qu’on aime vraiment ce cinéma, s’enthousiasme Hélène Cattet. On partage son côté artisanal. Cela peut parfois prêter à rire, mais il y a une créativité incroyable pour pallier le manque d’argent, c’était un peu des mercenaires! Ils avaient toujours des idées folles pour contourner les contraintes. On voulait retrouver cette énergie. Sur le plateau, chaque personne met son talent au service du film, avec les moyens qu’elle a, il y a une vraie symbiose, une émulation. C’est génial de se retrouver pour se demander comment on fait semblant tous ensemble, sachant qu’on n’a pas les moyens de payer des effets spéciaux numériques, dont, de toute façon, on ne voudrait pas. Il y a un côté enfantin et ludique dans le propos, mais aussi dans la réalisation.»
Juste une illusion
L’illusion est au cœur du processus de fabrication, du récit aussi. Dans une (autre) séquence mémorable, le héros affronte une redoutable adversaire dont les masques, d’une manière proprement vertigineuse, n’en finissent plus de tomber. Le masque est d’ailleurs un motif récurrent dans le cinéma du duo de réalisateurs. «Fantômas est aussi l’une de nos références, s’amuse Hélène Cattet. Ça remonte à l’enfance, cette fascination pour ce méchant aux visages multiples, ça avait quelque chose de magique. Cette quête d’identité, c’est une figure de style que l’on a souvent déclinée.» «Si j’essaie de prendre un peu de recul sur notre travail, remarque Bruno Forzani, je dirais qu’il y a une obsession de savoir qui est l’autre, c’est peut-être parce qu’on travaille en couple.»
Mais finalement, qu’est-ce qui réside au cœur de leur envie de cinéma? «Ce qu’on aime, conclut Hélène Cattet, c’est quand le spectateur peut prendre sa place dans le film. On ne cherche pas à le guider, ou à lui dire ce qu’il doit comprendre. On veut qu’il soit actif. Ce n’est pas grave si sur le moment c’est compliqué de se frayer un chemin dans le labyrinthe de la narration, on veut qu’il prenne plaisir à s’y perdre. Que le film continue à vivre en lui.» «Pour moi, c’est une déclaration d’amour au cinéma, renchérit Bruno Forzani. Aujourd’hui, on appelle les films des « contenus » on les regarde sur nos ordinateurs, ce n’est plus du tout la même expérience. Ce qui m’a donné envie de faire notre métier, c’est la salle. Pour nous, c’est ça le cœur battant du projet.»
Reflet dans un diamant mort
Pop fiction d’Hélène Cattet et Bruno Forzani. Avec Fabio Testi, Yannick Renier, Thi-Mai Nguyen, Céline Camara. 1h30.
La cote de Focus: 4,5/5
Un vieil homme plisse les yeux, aveuglé par le soleil méditerranéen, l’esprit embrumé par les années. Dans un autre espace-temps, un espion dans la fleur de l’âge incarne tout ce que l’on attend d’un bon agent secret, ruse et virilité. La mémoire en charpie, John D. questionne ses actes et s’interroge sur sa légitimité, d’hier et d’aujourd’hui. Pour donner corps à ce voyage dans la psyché d’un homme chancelant, les cinéastes laissent libre cours à leur goût des bruits tranchants, des corps et des matières, chorégraphiant des séquences ciselées comme des pierres précieuses, petits festivals son et lumière portés par des héroïnes farouches, maîtresses des illusions. Un émerveillement pop et psychédélique qui laisse dans son sillage une réflexion ultracontemporaine sur le mythe du héros.
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