
Quatorze heures dont 40 minutes de générique: La Flor, le film le plus long?
Voyage cinématographique de près de 14 heures, La Flor, du cinéaste argentin Mariano Llinás, s’apprête à sortir dans une poignée de salles belges. Avant-goût.
C’est assurément l’événement cinéphile de l’été: la sortie, dans quelques salles de Bruxelles et de Wallonie, de La Flor, du cinéaste argentin Mariano Llinás, une oeuvre aussi atypique que monumentale du long de ses près de quatorze heures, réparties en six épisodes embrassant chacun un genre différent autour des quatre mêmes comédiennes. Et une proposition cinématographique particulièrement excitante, saluée de Rotterdam à Locarno.
Projet esthétique
Le temps est une notion relative, constat s’appliquant au cinéma également, et voulant que les 94 minutes de Just a Gigolo, par exemple, paraissent beaucoup plus longues que les 234 de An Elephant Sitting Still. Des films d’une durée hors-normes, il y en a déjà eu de relativement nombreux, à caractère expérimental notamment. On peut citer, parmi d’autres, Cinématon, de Gérard Courant, en cours de réalisation depuis 1978 et totalisant à ce jour 203 heures. Ou les 87 heures de The Cure for Insomnia, de John Timmis, à côté de quoi les 25 heures de ****, d’Andy Warhol, font office de court-métrage -liste que l’on pourrait bien entendu rallonger à l’envi, ces oeuvres n’ayant cependant de vocation commerciale que relative.
Il arrive toutefois que le cinéma de fiction se déploie lui aussi dans la durée, et l’on ne parle pas ici des suites et autres prequels qui composent désormais le tout-venant de la production hollywoodienne. Des cinéastes ont ainsi fait de l’étirement et de la dilatation du temps une composante essentielle de leur projet esthétique -on pense bien sûr à Chantal Akerman dont Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles en était l’expression limpide, au cinéaste hongrois Béla Tarr, révélé au mitan des années 90 par Sátántangó et ses sept heures trente, ou encore au Philippin Lav Diaz absorbant le spectateur dans le noir et blanc souverain de A Lullaby to the Sorrowful Mystery, huit heures cinq d’une immersion sans véritable équivalent, pas même au sein de son oeuvre privilégiant les formats-fleuves. L’histoire du Septième art est par ailleurs jalonnée de divers exemples de films justifiant, par leur ampleur thématique ou narrative, ou leur caractère feuilletonesque, de déborder du format généralement adopté, que l’on songe à Out One, de Jacques Rivette, Berlin Alexanderplatz de Rainer Werner Fassbinder, Fanny & Alexandre d’Ingmar Bergman, Les Mystères de Lisbonne, de Raoul Ruiz… Et, dans le domaine documentaire, à Shoah, de Jacques Lanzmann, ou à À l’ouest des rails, de Wang Bing.
Tout le cinéma en un film
À croire, du reste, que la durée, si elle obère le potentiel commercial des oeuvres, est de moins en moins perçue comme un obstacle rédhibitoire à la créativité. Le Nymphomaniac de Lars von Trier flirtait ainsi avec les cinq heures, tout comme Senses du Japonais Ryûsuke Hamaguchi, tandis que les deux premiers volets de Mektoub, My Love, la trilogie d’Abdellatif Kechiche autour de la jeunesse des années 90, totalisaient plus de six heures trente. Pas sûr, dans ce dernier cas, que l’entreprise arrive à son terme, après l’accueil glacial réservé à l’épisode deux, Intermezzo, lors du festival de Cannes. Si le résultat avait de quoi laisser dubitatif -euphémisme-, il donnait aussi à penser que le réalisateur de La Vie d’Adèle avait tourné simultanément les deux premières parties du triptyque pressenti, embarquant ses comédiens dans une épopée au long cours.
Une démarche n’étant pas sans évoquer, pour le coup, celle ayant présidé à la réalisation de La Flor. Le projet de Mariano Llinás (auteur, en 2008, de Historias Extraordinarias) s’est cristallisé autour de son désir de travailler avec quatre comédiennes de Buenos Aires, réunies au sein de la troupe de théâtre La Piel de Lava: Elisa Carricajo, Valeria Correa, Pilar Gamboa et Laura Paredes. Et d’expliquer avoir compris, après deux années de discussions, vouloir faire non pas « un film mais cent films avec elles! Comme je voulais montrer la palette de talents de ces quatre comédiennes, on allait inventer six histoires. » Dix ans de tournage suivront, pour un film que le synopsis déflore en ces termes: « La Flor cambriole le cinéma en six épisodes. Chaque épisode correspond à un genre cinématographique. Le premier est une série B, comme les Américains avaient l’habitude d’en faire. Le second est un mélodrame musical avec une pointe de mystère. Le troisième est un film d’espionnage. Le quatrième est une mise en abîme du cinéma. Le cinquième revisite un vieux film français. Le sixième parle de femmes captives au XIXe siècle. Mon tout forme La Flor. »
Soit quelque chose comme le désir de rassembler tous les films en un pour composer un hommage ludique et vertigineux au cinéma, doublé de l’envie d’esquisser le portrait mouvant de ses quatre actrices (et de cerner, au passage, l’empreinte du temps, un peu comme Richard Linklater l’avait fait dans Boyhood). À Libération qui l’interrogeait sur le générique de fin, le plus long de l’histoire du cinéma, défilant sur un plan de 40 minutes, Mariano Llinás a répondu: « L’explication du générique de fin, c’est qu’il n’y a pas de fin, que personne ne voulait terminer. Et il y a des spectateurs qui restent. On a l’impression que si on s’en va, ça peut reprendre à tout moment. Que si on reste, le film va recommencer. »
La Flor, de Mariano Llinás. En salles à partir du 10 juillet.
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