Put Your Soul on Your Hand and Walk: le documentaire qui redonne une voix aux victimes palestiniennes à Gaza

La réalisatrice iranienne Sepideh Farsi a filmé ses échanges avec Fatima Hassouna, photojournaliste palestinienne née et tuée à Gaza.

La situation dans la bande de Gaza a atteint des sommets d’inhumanité. Alors que les médias échouent à capter la réalité de la tragédie, le documentaire Put Your Soul on Your Hand and Walk donne la parole aux victimes.

Put Your Soul on Your Hand and Walkde Sepideh Farsi

Documentaire de Sepideh Farsi. 1h50.

La cote de Focus: 4/5

«Mets ton âme dans ta poche et marche.» Cette phrase, c’est Fatima Hassouna qui la prononce, évoquant son angoisse lorsqu’elle marche dans les rues de Gaza, sous le bourdonnement constant des aéronefs et des bombardements. Là réside toute l’essentialité de la démarche artistique de Sepideh Farsi: redonner une voix aux victimes palestiniennes que le conflit a trop souvent rendues muettes. D’un grand dépouillement formel, le documentaire a été conçu dans l’urgence, mû par une nécessité politique absolue. Et si le récit est forcément obscurci par le destin funeste qu’a connu Fatima, il aura au moins permis d’immortaliser sur grand écran son sourire et sa personnalité si lumineuse. Ou comment retrouver le facteur humain au beau milieu d’une guerre sans visage. 

D’abord, il y a la volonté de se confronter à la guerre, d’aller sur place pour capturer des images de ce quotidien-là, où les bombes s’abattent avec la régularité d’un métronome, où les immeubles les plus robustes s’effondrent avec fracas et poussière. Sepideh Farsi, réalisatrice iranienne réputée pour ses fictions politisées (le film d’animation La Sirène), explique l’origine de sa démarche: «Je pense que la couverture médiatique de ce qui se passe en Palestine est un fiasco. J’ai le sentiment que même si les journaux télévisés ne cessent de parler du conflit, le point de vue des Palestiniens, des gens qui vivent cette guerre, n’est jamais réellement évoqué. Moi, ce que je souhaitais, c’était écouter leur point de vue, connaître leur réalité. Echanger avec ces gens pour comprendre la situation de l’intérieur. Alors, j’ai tenté de traverser la frontière pour aller à Gaza via Le Caire, mais toutes les routes étaient bloquées.»

Alors, que Sepideh reste en Egypte pour s’entretenir avec des réfugiés palestiniens, on lui révèle le nom de Fatima Hassouna, une jeune photographe palestinienne qui documente la situation depuis le cœur de Gaza-City. Commence alors une correspondance vidéo entre les deux femmes, dont va peu à peu émerger le film Put Your Soul (…). «Au début, je ne savais pas ce que j’allais en faire. Je sentais que je devais filmer nos échanges, qu’il y avait quelque chose d’essentiel qui se jouait dans nos discussions. Je ne pensais pas que notre correspondance durerait presque un an.» A l’écran, l’alchimie entre les deux femmes semble évidente. Sepideh Farsi a elle aussi connu la guerre dans son enfance. Elle a d’ailleurs été emprisonnée par le régime iranien pendant huit mois pour avoir caché un dissident de gauche, avant de s’exiler en France. «Je pense que l’expérience que j’ai eue dans ma jeunesse m’a aidée à aller chercher son témoignage plus facilement, à être une bonne écoute.»

Pour livrer cette parole si précieuse, Sepideh Farsi adopte un parti pris esthétique d’une rare radicalité: la réalisatrice demeure toujours hors champ et filme simplement son téléphone où l’on distingue l’image grésillante de Fatima. Les conversations entre les deux femmes constituent la matière première du documentaire. Des conversations parfois triviales, parfois douloureuses. «J’ai tenu à garder dans le montage final tous les moments où la connexion s’interrompt car je souhaitais montrer à quel point le lien qui nous unissait était fragile. Il y avait même de longs moments où elle était injoignable, ce qui ajoutait au caractère précieux de nos échanges. De toute façon, en temps de guerre, il est toujours plus difficile d’échanger. La parole des civils est l’une des premières choses qui est bloquée.» 

«En temps de guerre, il est toujours plus difficile d’échanger. La parole des civils est l’une des premières choses qui est bloquée.»

Dans Put Your Soul on Your Hand and Walk, on ne voit jamais réellement la guerre. Mais on l’entend. «En général, les seules images qui nous parviennent de Gaza, ce sont des images insoutenables, très graphiques. Je ne voulais pas intégrer cela dans le film. Selon moi, on voit tellement d’images comme celles-là qu’elles contribuent à la déshumanisation des victimes et à notre propre désensibilisation face à toute cette violence. Moi, je m’intéresse à capter l’intime.» Le seul instant où Put Your Soul (…) contemple cette violence, c’est lorsque le documentaire dévoile quelques photos prises par Fatima Hassouna. «Elle avait un vrai regard de photographe, se remémore Sepideh. J’ai longtemps réfléchi à la manière dont je souhaitais intégrer ses photos au sein du montage. J’ai eu l’idée d’en faire des sortes d’interludes, entre deux scènes de discussion, avec une bande-son différente, assez immersive, pour que ses photos existent de façon autonome. En général, elle ne photographiait pas les éléments les plus violents, elle se concentrait plutôt sur les habitants, la manière dont ils vivaient dans les décombres. Mais lorsqu’elle a finalement pris ces photos, je me suis dit qu’il fallait que je les intègre. Cela devait signifier quelque chose pour elle.»

Si Sepideh parle au passé de Fatima, c’est parce qu’elle et sa famille ont été tuées lors d’une frappe envoyée délibérément par l’armée israélienne le 16 avril 2025, un jour après la sélection du documentaire au Festival de Cannes. La veille, elle disait à Sepideh, lors de leur ultime appel, qu’elle viendrait en France pour la diffusion du film mais qu’ensuite elle retournerait à Gaza. Cette tragédie jette un voile sinistre sur l’intégralité du long métrage, devenu soudainement témoignage-fantôme. Dans les paroles de Fatima, toujours solaire et souriante malgré l’horreur qui gronde, on cherche soudainement une prescience, un indice du drame à venir. Sepideh Farsi conclut: «C’est toujours dans un coin de notre esprit lorsqu’on regarde le film. D’un côté, elle paraît si vivante, si énergique à l’écran. De l’autre, on sait qu’elle n’est plus là…»


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