Pop philo (1/6): Qui veut la peau de Roger Rabbit?
Chaque semaine de l’été, le philosophe Laurent de Sutter planche sur une question existentielle posée par un film. Cette semaine: Qui veut la peau de Roger Rabbit?
Lorsque Robert Zemeckis réalisa Qui veut la peau de Roger Rabbit?, en 1988, il était au sommet de sa gloire: il venait de signer deux des plus gros succès commerciaux du début des années 80: À la poursuite du diamant vert et Retour vers le futur. Obsédé par la logique du dessin animé, comme Blake Edwards, deux décennies auparavant, l’avait été par le slapstick, il n’avait cessé de vouloir transformer les personnages de cinéma en figurines de cartoon, sans pourtant y parvenir.
Avec Qui veut la peau de Roger Rabbit?, son rêve devint soudain réalité: mêlant personnages dessinés et acteurs réels, il put repousser les limites de la plastique des corps -et aussi du scénario, devenu aussi malléable qu’un looney tune. De fait, la sombre histoire de meurtre passionnel que raconte le film n’était que l’occasion de multiplier les bonds et les rebonds, les écarts et les sauts, sans avoir à se soucier de la chute, puisque, de toute manière, un toon est immortel.
Un film de cinéma, semblait suggérer Zemeckis dans Qui veut la peau de Roger Rabbit?, est avant tout un corps aux capacités illimitées -dont la seule inquiétude pourrait être qu’il trouve sa limite un jour. Or c’est précisément ce que le spectateur craint à la fin du film: lorsqu’il apprend que le sinistre juge DeMort (Christopher Lloyd) dispose du moyen d’éradiquer les toons, une sorte de possible de cinéma semble s’effondrer.
Mais c’est alors qu’éclate la révélation: le juge est en réalité un toon déguisé en humain -un toon se faisant passer pour ce qu’il n’est pas afin de mieux en finir avec ce qu’il est, et qu’il méprise. Celui qui veut la peau de Roger Rabbit n’est pas un humain hostile aux toons: c’est un toon lui-même, finissant détruit par sa propre invention, comme si notre pire ennemi n’était jamais que nous-même.
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