One Battle after Another, avec Leonardo DiCaprio: comment Paul Thomas Anderson saisit le trouble de l’Amérique

Leonardo DiCaprio est un ancien révolutionnaire paranoïaque dans le nouveau film de Paul Thomas Anderson, One Battle after Another.

Avec One Battle after Another, Paul Thomas Anderson fait exploser l’année cinématographique. La fabrication de cette bombe atomique a pris près de 20 ans.

One Battle after Anotherde Paul Thomas Anderson

Film d’action avec Leonardo DiCaprio, Sean Penn, Chase Infiniti. 2h40.

La cote de Focus: 4,5/5

Une anomalie. Impossible de décrire autrement le nouveau film de Paul Thomas Anderson. A l’heure où les blockbusters se dissipent en franchises insipides et en produits formatés, il est inconcevable de voir débarquer One Battle after Another, soit un film à (très) gros budget à la fois satirique et politiquement revanchard, qui ne ressemble à rien d’autre qu’à lui-même. Avec ses personnages outranciers, sa caricature imparable et son intrigue menée tambour battant, Paul Thomas Anderson est parvenu à saisir comme rarement le trouble de l’Amérique actuelle: soit ce mélange d’amusement, de stupeur et d’angoisse que l’on ressent chaque jour devant Donald Trump et ses excès. Le tout, sans véhiculer un message nihiliste, mais au contraire, en considérant la jeune génération comme un relais plein d’espoir. Un classique instantané, tout simplement.

J.D.P.

«Oh mon Dieu! Quel film dingue! Il y a plus d’action dans la première heure que dans tous tes autres films réunis. Tout est vraiment incroyable.» Cette réflexion n’est pas celle d’un fan surexcité sur la plateforme cinématographique Letterboxd, mais bien celui de Steven Spielberg, qui a déjà vu One Battle after Another à quatre reprises. Dans ce film explosif, Leonardo DiCaprio incarne Bob, un ancien révolutionnaire désabusé et paranoïaque, accro à l’alcool et au cannabis, contraint d’assurer seul l’éducation de sa fille de 16 ans, Willa (Chase Infiniti). Lorsque son ennemi juré (Sean Penn) réapparaît après seize ans d’absence, Willa disparaît soudainement. Le rebelle à bout de souffle doit alors trouver la force de se reconstruire pour la retrouver.

Que Spielberg qualifie le nouveau film de Paul Thomas Anderson de «dingue» n’a rien d’étonnant. Le réalisateur de Magnolia, The Master et There Will Be Blood est perçu depuis des années par la critique comme le principal prétendant au titre de «plus grand réalisateur américain du XXIe siècle». Et ce film, contrairement à ses précédentes productions, a de quoi séduire un large public. Il faudra bien, vu le budget de plus de 140 millions de dollars investi dans sa réalisation. Toutes les scènes de sexe, de drogue, de violence et de poursuites spectaculaires suffiront peut-être à faire le job. Mais il faut ajouter que le scénario est aussi franchement drôle, et terriblement actuel.

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Inadaptable

C’est surtout dans ce second aspect que le film est remarquable. Car One Battle after Another est loin d’être le fruit d’une lubie passagère. Paul Thomas Anderson –PTA pour les intimes– rêve depuis 20 ans de réaliser un film d’action avec des courses-poursuites automobiles. Tous les deux ans, il relançait ce vieux rêve, sans jamais parvenir à le concrétiser. Parallèlement, il ambitionnait aussi d’adapter Vineland, un roman de 1990 (paru en français au Seuil en 2013) de son héros littéraire, l’écrivain culte, mais très discret médiatiquement, Thomas Pynchon. Enfin, le réalisateur avait un autre projet en suspens: un film sur un révolutionnaire. «Pendant 20 ans, j’ai tiré sur tous ces cordes, cela ne m’a jamais lâché. Mais adapter Vineland de façon réaliste n’était pas envisageable», raconte PTA.

Les livres de Pynchon ont la réputation d’être inadaptables au cinéma. En 2013, PTA s’y attaque pourtant, mais choisit un ouvrage plus récent –Inherent Vice (2009)– «parce qu’on y trouve au moins une intrigue policière». Quiconque parviendrait à raconter ce film psychédélique –avec un Joaquin Phoenix oscillant entre Philip Marlowe et le Dude– ne l’a probablement pas vu. Lors d’une interview accordée à nos confrères de Knack Focus, le réalisateur revenait sur son processus créatif: «Je suis fan depuis des années, je voulais absolument adapter ce livre. […] Je devais seulement trouver le moyen de relier les fils du récit. Sauf que chez Pynchon, ces fils ne vont pas de A à B. Ils vont de A à G, puis à Z, et seulement ensuite à B. J’avais déjà envisagé d’adapter Vineland ou Mason & Dixon (1997), mais j’avais assez rapidement abandonné.»

«Il nous aura fallu 25 ans, Leo et moi, pour travailler ensemble.»

En réalité, Anderson n’a jamais abandonné Vineland. One Battle after Another s’inspire officiellement de ce livre. «J’y ai volé les passages qui me touchaient vraiment, avec la bénédiction de Pynchon.» Le cinéaste a ensuite inséré entre ces fragments ses propres fantasmes de luttes révolutionnaires et de courses-poursuites dans les paysages vallonnés et désertiques de Californie. En guise de bonus, la sortie du film coïncide presque avec celle d’un nouveau livre de Pynchon, Shadow Ticket, qui s’annonce d’ores et déjà comme l’un des événements littéraires de l’année outre-Atlantique.

Aussi étrange qu’actuel

Il aura fallu tout ce temps pour concrétiser le casting, même si  la collaboration avec Leonardo DiCaprio était dans l’air depuis longtemps. PTA avait déjà voulu l’engager en 1997 pour Boogie Nights, un film sur l’essor du cinéma pornographique dans les années 1970, mais un concours de circonstances a conduit le réalisateur à confier finalement son rôle principal à Mark Wahlberg. Les deux hommes sont néanmoins restés en contact, et PTA a même confié à George DiCaprio, le père un peu hippie de l’acteur, un petit rôle dans Licorice Pizza, en 2021.

Depuis tout ce temps, Leonardo DiCaprio était déjà désigné pour jouer dans One Battle after Another. Mais PTA a repoussé le tournage. «Parce que nous ne trouvions personne pour jouer le rôle de Willa. Nous avons simplement patienté, j’ai réalisé Licorice Pizza, puis j’ai enfin trouvé ma Willa. Comme si le film avait attendu Chase Infiniti pour devenir réalité. Il nous aura fallu 25 ans, Leo et moi, pour tourner ensemble. Finalement, je pense que c’est comme ça que cela devait se passer.»

La plus grande –et peut-être la plus troublante– coïncidence malgré ces 20 années de gestation n’est même pas relevée par Anderson quand il parle de son film. Pourtant, ce qui, il y a cinq ans encore, aurait semblé relever de la paranoïa ou de l’exagération dramatique se retrouve aujourd’hui quotidiennement en une des journaux. Dans les Etats-Unis du second mandat de Donald Trump, la radicalisation, la violence armée sur fond d’idéologie, les rafles contre les migrants, le recours à la force contre la population et l’extrême droite toute-puissante ne sont plus le fruit de l’imagination d’un écrivain ou d’un cinéaste excentrique, mais sont devenues l’amère réalité du quotidien.

Cette convergence  ne serait pourtant pas volontaire. La réalisateur s’en défend: «Je trouve presque impossible de suivre la situation mondiale actuelle, je préfère me concentrer sur les choses qui traversent les époques.» Il est pourtant indéniable que One Battle after Another pose un regard magistral sur la valeur de la résistance et incarne singulièrement l’état de polarisation de l’Amérique aujourd’hui. Si c’est une coïncidence, alors c’est le genre de coïncidence dont seuls les plus grands conteurs ont le secret.

 

Les autres sorties ciné de la semaine

Put Your Soul on Your Hand and Walk

Documentaire de Sepideh Farsi. 1h50.

La cote de Focus: 4/5

«Mets ton âme dans ta poche et marche.» Cette phrase, c’est Fatima Hassouna qui la prononce, évoquant son angoisse lorsqu’elle marche dans les rues de Gaza, sous le bourdonnement constant des aéronefs et des bombardements. Là réside toute l’essentialité de la démarche artistique de Sepideh Farsi: redonner une voix aux victimes palestiniennes que le conflit a trop souvent rendues muettes. D’un grand dépouillement formel, le documentaire a été conçu dans l’urgence, mû par une nécessité politique absolue. Et si le récit est forcément obscurci par le destin funeste qu’a connu Fatima, il aura au moins permis d’immortaliser sur grand écran son sourire et sa personnalité si lumineuse. Ou comment retrouver le facteur humain au beau milieu d’une guerre sans visage. 

J.D.P.

Les Tourmentés

Drame de Lucas Belvaux. Avec Niels Schneider, Ramzy Bedia, Linh-Dan Pham. 1h53.

La cote de Focus: 2/5

Après avoir déjà adapté Didier Decoin ou Laurent Mauvignier, Lucas Belvaux s’attaque, avec Les Tourmentés, à son propre roman éponyme, sorti en 2022. Il y questionne le pacte qui unit trois âmes cabossées par la vie, à tel point qu’elles en viennent à questionner le coût de celle-ci. Skender, ancien légionnaire, est hanté par ses exactions passées. Il vit dans la rue, après avoir coupé les ponts avec sa femme et ses fils. Un jour, il recroise Max, son ancien sergent. Celui-ci travaille désormais au service de Madame, une femme riche et solitaire, entre homme à tout faire et homme de main. Il propose à Skender un drôle de marché: devenir le gibier de choix de l’ultime chasse de Madame, en échange d’une somme d’argent colossale qui lui permettra de mettre sa famille à l’abri. Max sera chargé de faire appliquer le règlement de la chasse décidé d’un commun accord. Au fil des semaines, avant que le compte à rebours n’arrive à échéance, les trois protagonistes sont amenés à réfléchir non seulement aux conséquences, mais aussi aux raisons profondes de leurs actions. Finalement, le vrai courage consiste-t-il à braver la mort ou à oser la vie? 

Comme dans Des hommes, Lucas Belvaux sonde ce que la guerre fait aux soldats, les traces qu’elle laisse dans leur corps mais surtout dans leur psyché, convoquant sans les nommer les notions de stress post-traumatique et de masculinité toxique. L’enjeu n’est vite plus tant de connaître l’issue de la chasse que de se demander ce qui pourrait les dissuader d’y prendre part. Face à ces interrogations existentielles, les personnages semblent désincarnés, quand ils n’acceptent pas des situations intolérables sans la moindre remise en question. Et souvent, ce petit théâtre des horreurs sonne faux, faisant alors ressortir les intentions au détriment de l’adhésion à ces sombres tourments.

A.E.

Classe moyenne

Comédie d’Antony Cordier. Avec Laurent Lafitte, Laure Calamy, Elodie Bouchez. 1h35.

La cote de Focus: 2,5/5

Mehdi passe les vacances dans la luxueuse demeure de ses beaux-parents. Alors qu’il espère mieux comprendre les us et coutumes de cette élite bourgeoise à laquelle il rêve d’appartenir, il est désigné médiateur pour régler un conflit qui oppose le couple à leurs employés –les gardiens de la maison et leur fille. Accrochez-vous, le mode Parasite est activé. Antony Cordier (re)met en scène dans ce huis clos écrasé de soleil le petit théâtre de la lutte des classes. Armé d’une sorte de doctorat es prolétariat acquis sur le tas (ou hérité de naissance), Mehdi constate vite que la voie de la négociation est sans issue. Mais comme ces impossibles tractations, le récit finit lui aussi par tourner en rond, et la comédie d’abord acide vire cruelle, voire vaine, malgré l’indéniable savoir-faire comique du casting.

A.E.

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