Olivier Gourmet, l’hyper acteur: “Les spectateurs en Belgique sont un peu frileux”
Olivier Gourmet est à l’affiche de deux films belges –Les Tortues de David Lambert et Retro Therapy d’Élodie Lélu-, son programme de tournage est bouclé jusqu’en 2025. Mais si l’acteur est partout, l’homme est rare. Rencontre.
Avec plus de cent films au compteur, Olivier Gourmet est définitivement un acteur qui compte, en France comme en Belgique. Vite rangé dans la catégorie « cinéma d’auteur », alors que sa filmographie compte quelques grosses productions à haute teneur en testostérone, il porte en lui un pan de l’Histoire du cinéma contemporain. Son corps d’acteur est comme un palimpseste sur lequel se superposent les rôles qui ont marqué sa carrière. S’il se défend modestement de s’envisager comme un morceau de cette grande histoire, il admet: « C’est probablement un peu vrai, je dis toujours qu’on est la somme des expériences qu’on a vécues, des réussites comme des désillusions, ce doit donc être vrai pour le comédien qu’on est aussi. Il n’est pas impossible que tous le rôles que j’ai endossés aient une résonance en moi que je ne soupçonne pas. » Et l’on imagine bien que ce corps d’acteur, né au cinéma chez les frères Dardenne, symbole d’un cinéma social et réaliste, a pu constituer un attrait particulier pour David Lambert, qui dans Les Tortues lui a confié le rôle d’un sexagénaire semi-dépressif tout juste à la retraite qui peine à retrouver la flamme dans le couple qu’il forme avec un autre héros du cinéma social européen, Dave Johns, le Daniel Blake de Ken Loach. « C’est vrai que l’idée de tourner une comédie romantique sociale entre deux hommes m’a interpellé, c’est assez rare au cinéma. Avant la retraite, Henri était policier. On imagine qu’en tant que flic, ça n’a pas dû être facile de faire admettre son homosexualité. Vu son âge, il a connu l’apparition dramatique du sida, il a combattu pour les droits des homosexuels. Ce film, même s’il fait deux entrées, à partir du moment où il existe, c’est déjà un acte politique.«
En quatre longs métrages, David Lambert s’évertue à écrire de nouvelles masculinités au cinéma. Si le ton des Tortues ne convainc pas forcément, que la comédie y est un peu fragile, la surprise est bien là. Surprise de voir la figure du flic, du ministre, du père de famille, du syndicaliste intégrer une comédie romantique queer. Pourtant, la comédie est à l’origine de sa vocation d’acteur. « On me renvoie souvent au drame, alors qu’au Conservatoire, je voulais faire rire. Mais on m’a vite dit: « Olivier, peut-être qu’à l’école tu faisais rire tes camarades, mais ici, tu ne fais rire personne. » Bon, je suis tombé de haut, il me semblait que j’étais drôle (rires). Durant mes premières années au théâtre, j’ai néanmoins fait pas mal de comédies, mais au cinéma on m’en propose peu. Je pense qu’on est plus vite étiqueté au cinéma qu’au théâtre. Il est clair que mon premier rôle dans La Promesse m’a collé à la peau à l’époque, et ça continue d’ailleurs. » Le film de 1996 inscrit son identité de comédien dans un cinéma social. « Il est vrai aussi qu’à travers mes choix, je suis allé vers ce cinéma. Parce que c’est le cinéma qui, en tant qu’acteur, me sensibilisait et m’émouvait le plus. Parler de gens qui traversent la vie telle que la plupart des gens la vivent, ça me touche plus que de jouer des personnages plus caricaturaux, dans des films plus grand public. On a dit que j’étais un acteur engagé, mais je ne suis pas sûr que ça préexiste à mes choix de rôles, c’est peut-être à travers ces rôles que je le suis devenu.«
Olivier Gourmet, membre du cercle des fauchés du cinéma
Une fois qu’il a été séduit par un rôle et l’a accepté, Olivier Gourmet se met au service du projet. « J’aime travailler en profondeur la psychologie des personnages. J’ai fait mes humanités, j’ai appris à analyser des textes, à m’interroger sur l’objectif du personnage, les obstacles qu’il traverse. Je remarque que beaucoup d’acteurs ne font pas ou plus ce travail, ils ramènent le personnage à eux. Moi, j’essaie de m’inscrire dans l’univers du cinéaste. Le film lui appartient, et on le fait ensemble. Si je veux ramener à moi, je n’ai qu’à faire mes films moi-même.«
Se mettre au service, c’est peut-être plus simple quand on a le sentiment de faire cause commune. Quand on demande à Olivier Gourmet s’il a le sentiment d’appartenir à une famille de cinéma, il s’en amuse: « À une époque, j’aurais dit celle des Dardenne, j’ai longtemps dit que j’étais le troisième frère. Mais bon, les choses ont un peu changé. Longtemps aussi j’ai dit que je faisais partie du cercle des films fauchés, des premiers films où ma petite notoriété peut rendre en partie le film possible. Bon, on parle vraiment de films d’auteurs fauchés, je n’ai aucune incidence sur les grosses productions. C’est même peut-être l’inverse, on va dire: « Ah non, pas lui, il n’est pas assez bankable! » (rires). Ça permet de soutenir des jeunes,
des films moins évidents mais qui ont le droit d’exister, et parfois la nécessité d’exister contre vents et marées. D’autant que je trouve que les spectateurs en Belgique sont un peu frileux, ont tendance à se concentrer sur les grosses productions. Il y a sûrement un travail à mener auprès des plus jeunes, pour les encourager à s’ouvrir à des œuvres différentes. Même politiquement, ce qu’on fait par rapport à la culture, ce n’est pas assez. Dans ce pays créé de toutes pièces, il a fallu se créer une culture. Ce n’est pas pour rien que l’on dit que c’est un « brol« . Ça peut avoir son charme, mais c’est une culture jeune, à défendre. Peut-être que dans 200 ans elle se sera imposée, qu’on en sera fier. Mais on est au début du parcours, il y a encore du travail, espérons que ça ira mieux avec le temps. Donc oui, peut-être que je fais partie de ce cercle-là, celui des fauchés du cinéma, et j’en suis fier (rires)!«
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