Nos cinq coups de cœur du Festival du Cinéma Américain de Deauville

© DR
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

La 50e édition du Festival du Cinéma Américain de Deauville a célébré avec panache la vitalité du jeune cinéma indépendant US. Bilan en cinq coups de cœur à découvrir prochainement sur les écrans.

In the Summers d’Alessandra Lacorazza Samudio.

Grand vainqueur de cette 50e édition (Grand Prix du jury et Prix de la Révélation) après avoir déjà été récompensé au festival de Sundance en début d’année, le premier long métrage de l’Américaine d’origine colombienne Alessandra Lacorazza Samudio rappelle immanquablement, par endroits, le récent Aftersun de Charlotte Wells, entre questionnements autour de la paternité et affirmation d’une identité queer. Deux sœurs, Eva et Violeta, y rendent visite chaque été à leur père Vicente, homme à la fois aimant et maladroit, mais surtout coupable de travers irresponsables. Face à elles, il tente tant bien que mal de donner le change et d’entretenir l’illusion d’une possible harmonie familiale, mais l’addiction qui le ronge érode peu à peu le semblant de magie qui traverse ponctuellement leurs moments d’intimité complice… Structuré en quatre chapitres, le film, délicatement teinté de mélancolie, travaille, sans emphase ni sensiblerie, les creux et les ellipses d’une relation au père mise à l’épreuve du temps qui passe et des inévitables déceptions qu’il charrie.

Sing Sing de Greg Kwedar

© DR

Vous pensiez avoir tout vu en matière de drame carcéral dans lequel les détenus trouvent une forme de rédemption à travers la pratique du théâtre (César doit mourir des frères Taviani, Un triomphe d’Emmanuel Courcol…)? Attendez un peu de découvrir Sing Sing, le nouveau long métrage du producteur et réalisateur Greg Kwedar (Transpecos). Inspiré d’un programme bien réel de réinsertion par l’art en prison, et largement interprété par d’anciens détenus campant leur propre rôle à l’écran, le film se structure autour d’une troupe constituée par des hommes incarcérés occupés à monter une pièce au scénario comique assez fou, qui convoque notamment le voyage dans le temps. Ensemble, ils s’offrent une grande évasion par le jeu et ouvrent un espace de vie précieux où ils peuvent se montrer sincères et vulnérables… À rebours des clichés, sans complaisance ni pathos, Sing Sing use d’une caméra portée, hyper mobile, pour scruter la vérité des gestes et des visages, et trouver, à l’arrivée, une profondeur émotionnelle qui électrise. Sortie belge le 29 janvier 2025.

The Damned de Robert Minervini

© Olga Prudkat

Cinéaste d’origine italienne venu du documentaire (plusieurs longs métrages sur l’Amérique rurale et de la marge), Roberto Minervini s’essaie à la fiction avec The Damned, mais sans rien perdre de la rigueur, de la précision et de la patience de son regard de documentariste. Convaincu qu’un film de guerre ne devrait jamais glorifier les armes ni en faire un grand spectacle pyrotechnique, il s’intéresse, au cœur de l’hiver, à l’attente, à l’inaction, au doute et à l’ennui qui font le quotidien d’une poignée de soldats de l’Union en patrouille dans des régions inexplorées de l’Ouest durant la guerre de Sécession. Ces hommes en quête de sens sur leur engagement, voire même d’un sentiment d’appartenance au Grand Tout qui les enveloppe de son indifférence, tombent doucement les masques tandis qu’ils guettent un ennemi invisible… Monté par la Schaerbeekoise Marie-Hélène Dozo, qui a beaucoup travaillé avec les frères Dardenne, The Damned épate par son sens délicat de l’épure et de l’immersion sensorielle. Le film sortira dans les salles belges en mars 2025.

We Grown Now de Minhal Baig

© Danielle Scruggs/Participant Film, LLC

“Il y a de la poésie en tout.” Primé aux festivals de Toronto et de Chicago avant d’infiltrer la Compétition deauvillaise, le troisième long métrage de la réalisatrice Minhal Baig, qui s’est notamment signalée à l’écriture des formidables séries Ramy et BoJack Horseman, situe principalement son action dans les logements sociaux de Cabrini-Green à Chicago au début des années 90. Exactement comme le très culte et horrifique Candyman de Bernard Rose (1992), donc, mais dans un registre sensiblement plus dramatique et indépendant. Malik et Eric, 9 ans, deux amis inséparables à l’imaginaire fertile, y parcourent la ville afin d’échapper aux difficultés de leur quotidien, entre jeux innocents et art de la fugue. Mais, à un âge où l’on apprend tout juste à affronter l’existence, leur lien indéfectible se retrouve fragilisé lorsqu’une tragédie frappe leur communauté… Porté par de jeunes acteurs bluffants de vérité, ce drame initiatique buissonnier questionne l’identité et les racines en rappelant qu’un endroit est avant tout défini par les gens qui y vivent. Une jolie découverte.

La Cocina d’Alonso Ruizpalacios

© DR

De la série The Bear à des films comme The Menu, Boiling Point ou la production Netflix Hunger, on ne compte plus les fictions récentes qui s’immiscent dans l’intimité bouillonnante des cuisines des restaurants. C’est cette fois le réalisateur mexicain Alonso Ruizpalacios, dont on avait précisément pu apprécier l’hybride et gonflé A Cop Movie (2021) sur Netflix, qui s’y colle. Dans La Cocina, long métrage au casting résolument multiculturel emmené par Rooney Mara, le cinéaste adapte librement une pièce de théâtre des années 50, The Kitchen d’Arnold Wesker, pour plonger le spectateur dans l’intenable effervescence de la cuisine surpeuplée du Grill, sur Times Square, en plein cœur de Manhattan. Véritable antichambre de l’enfer, l’endroit ouvre sur l’envers malade et aliénant du rêve américain, façon chaos exacerbé ponctuellement traversé de singuliers élans poétiques. Capable de faire exister un nombre impressionnant de personnages, le film, objet virtuose au noir et blanc classieux, sera visible au cinéma en Belgique dès le 4 décembre prochain.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content