Dans le biopic fictif Mother, Noomi Rapace endosse l’habit de Mère Teresa. L’actrice suédoise évoque le «portrait punk rock» de la sainte qui fit de la pauvreté une vertu… et une vocation.
Mother
Drame de Teona Strungar Mitevska. Avec Noomi Rapace, Sylvia Hoeks, Nikola Ristanovski. 1h43.
La cote de Focus: 4/5
Avec Mother, Teona Strungar Mitevska balaie du revers de la main toute tentation d’offrir au monde un énième biopic compassé, et fait de Mère Teresa non pas une sainte, mais une icône punk furieusement intemporelle. Calcutta, 1948, Teresa attend fébrilement l’autorisation de quitter les Sœurs de Lorette pour fonder sa propre congrégation. Alors qu’elle a déjà choisi sœur Agnès pour la remplacer, celle-ci contrecarre ses plans en lui avouant être enceinte. Teresa est mise face à ses contradictions, sa volonté farouche d’aider son prochain, dans le dénuement et le sacrifice, et son ambition dévorante. Mother plonge alors le spectateur dans les tourments intérieurs de Teresa, figure complexe mue par une volonté coriace et une mission peut-être plus terrestre que divine, incarnée avec une ferveur quasi mystique par Noomi Rapace.
A.E.
Dans Corpus Christi, un jeune délinquant se faisait passer, avec une dévotion diabolique, pour un prêtre; dans Benedetta, une nonne lesbienne découvrait à la fois les stigmates et l’orgasme; et dans Conclave, même le Saint-Esprit semblait avoir des penchants politiques, les cardinaux ressemblant davantage à des conseillers en communication qu’à des bergers des âmes égarées. Non, ces dernières années, l’Eglise catholique n’a pas été épargnée sur le grand écran: elle a reçu plus de coups qu’un sac de boxe. La dernière étape de ce chemin de croix cinéphile s’intitule Mother.
Cette fois, pas de mysticisme érotisé ni d’intrigue papale, mais le portrait fictionnalisé de la plus célèbre des religieuses. La réalisatrice Teona Strugar Mitevska, originaire elle aussi de Skopje, en Macédoine du Nord, comme Mère Teresa, filme sa compatriote canonisée avec le sérieux d’un confesseur… et une touche de rock punk. Pas de crêtes ni de Sex Pistols sur la bande-son, mais un doigt d’honneur levé vers les conventions de la biographie filmée classique.
Femme d’action
Noomi Rapace, révélée par son rôle de la hackeuse Lisbeth Salander dans les adaptations de la trilogie suédoise Millennium, de Stieg Larsson, incarne ici avec ferveur la nonne iconique, à une période bien précise, en août 1942. A Calcutta, en Inde, Teresa est en proie à une lutte intérieure alors qu’elle passe du statut de religieuse cloîtrée à celui de figure publique. «En lisant ses lettres, j’ai découvert une femme traversée par une immense douleur et par le doute», déclare l’actrice suédoise, qui a travaillé avec Ridley Scott (Prometheus), Guy Ritchie (Sherlock Holmes: a Game of Shadows), Michaël Roskam (The Drop) et Brian De Palma (Passion), sans jamais vraiment accéder au titre de star hollywoodienne. «Elle était croyante, mais elle ressentait aussi le vide, le silence de Dieu. Cela semble pieux, mais c’est une foi qui soulève plus de questions qu’elle n’en résout.»
Le film montre la dualité du personnage, qui tout en sauvant des pauvres, sape les droits des femmes. Pourtant, selon Noomi Rapace, Mother est un film féministe, «parce qu’il dresse un portrait complexe d’une femme historique». Mais cette complexité frôle rapidement la contradiction. La compassion de Teresa avait ses limites: l’avortement restait un péché, la pauvreté une bénédiction. Sa mission se voulait certes charitable, mais elle était aussi dogmatique –une forme de charité qui perpétuait la souffrance.
«Je respecte les gens qui agissent concrètement. Pas ceux qui prêchent.»
Noomi Rapace, qui en a pleinement conscience, interprète le personnage dans toute son ambiguïté. «Je respecte les gens qui agissent, nuance l’actrice. Pas ceux qui prêchent.» Une phrase qui sonne presque comme une excuse pour l’altruisme rigide de Teresa. Que penser, en effet, de cette femme qui laissait des mourants agoniser sans antidouleurs, au nom d’une souffrance censée les rapprocher du Christ? Noomi Rapace ne justifie rien, mais cherche à comprendre. «Elle était fanatique, admet-elle. Mais elle était aussi capable de dire « je suis désolée, j’ai eu tort« . Je trouve cette vulnérabilité puissante.»
De cette tension entre l’actrice et l’icône naît un face-à-face fascinant: l’une cherche le sens, l’autre la certitude. «Je ne suis pas croyante, confie Rapace, élevée dans un milieu libre et artistique, fille d’un chanteur de flamenco espagnol et d’une actrice suédoise. Ma mère priait Jésus sur la croix, Bouddha, Krishna… les uns à côté des autres. Je ne crois pas qu’il faille souffrir pour mériter quelque chose de meilleur. Moi, je veux répandre la joie.» Dans Mother, cela semble impossible: chaque sourire apparaît comme un péché formulé contre l’ascèse.
Manager mystique
Pourtant, il y a quelque chose de rebelle dans la Teresa interprétée par Noomi Rapace: une femme qui téléphone au pape Pie XII comme à son comptable. «Elle était une femme dans un monde d’hommes. Dans les années 1940, ce n’était pas évident. Elle criait: « Avez-vous lu mes lettres? Quand puis-je partir? Je veux être parmi les gens! »»
Le film aborde aussi des thèmes politiques: l’avortement, la guerre, la foi comme instrument de pouvoir. Teresa se rendit à Beyrouth, assiégée, pour sauver 37 enfants handicapés d’un hôpital. «Elle a parlé aux deux camps du conflit, a obtenu un cessez-le-feu et a elle-même sorti les enfants du bâtiment. Au péril de sa vie. Je me suis demandé: que ferait-elle aujourd’hui? Eh bien, elle serait à Gaza, auprès des enfants. J’en suis certaine.»

Rapace ne verse pas pour autant dans le cynisme. Depuis Lisbeth Salander, elle aborde chaque rôle comme une quête spirituelle. «Je cherche toujours quelque chose que je ne connais pas encore, dit-elle. Pas une nouvelle Salander. Pas une nouvelle Lamb (NDLR: conte horrifique islandais dans lequel elle incarne une femme en deuil qui élève un agneau comme un enfant). Je veux me fondre dans mes rôles. Je ne veux pas qu’on me voie moi, mais le personnage que j’incarne. Quand je jouais Lisbeth, je ne dormais pas, je mangeais à peine, je passais mon temps à la salle de sport. Jusqu’à ce que mon compagnon de l’époque me demande: où est Noomi? Quand rentreras-tu à la maison?»
Pour trouver Teresa, heureusement, Noomi Rapace n’a pas dû entrer au couvent. «J’ai lu ses lettres et ses livres, écouté sa voix, regardé des images d’elle.» De cette matière, l’actrice suédoise en a tiré le portrait d’une femme entre mysticisme et management, entre foi et communication. «Tout le monde doute, sourit Noomi, comme si elle parlait aussi d’elle-même. Même les pires personnes ont des moments où elles se questionnent. C’est pourquoi je qualifie le film de « punk rock ». Nous ne présentons pas Teresa comme une sainte, mais comme une femme, avec ses contradictions, ses failles, sans l’idéaliser.»
«Et quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites», dit Matthieu 6:5. Noomi Rapace rit: «Je ne prie pas. Je continue simplement à avancer. Même quand je n’entends plus ma propre voix. Ni celle de Dieu.»