Mostra de Venise: une affaire de famille
Hirokazu Kore-eda croque les retrouvailles acrimonieuses entre une mère star de cinéma et sa fille, au coeur de La vérité, un film virevoltant emmené par Catherine Deneuve, impériale.
On attendait avec curiosité mais aussi une pointe d’appréhension La vérité, le premier film français du réalisateur japonais Hirokazu Kore-eda, Palme d’or à Cannes il y a un peu plus d’un an avec Une affaire de famille. Nombreux, en effet, sont les maîtres asiatiques à avoir tenté une expérience hexagonale pour s’y casser les dents – Hou Hsiao-Hsien avec Le voyage du ballon rouge, Tsai Ming-liang avec Visage ou Hong Sang-soo avec La caméra de Claire notamment. À l’inverse, Kore-eda s’est acquitté de cet exercice périlleux avec un incontestable brio, le maître nippon réussissant à préserver son univers dans un environnement typiquement français.
La vérité, c’est le titre des mémoires que s’apprête à publier Fabienne Dangueville (Catherine Deneuve), icône du cinéma ayant beaucoup sacrifié à sa carrière – « Je préfère avoir été une mauvaise mère, une mauvaise amie et une bonne actrice », assène-t-elle à sa fille Lumir (Juliette Binoche), de retour à Paris en provenance de New York en compagnie de Hank, son mari (Ethan Hawke), et Charlotte, leur fillette, pour la circonstance. C’est peu dire qu’entre la mère et la fille, les retrouvailles sont acrimonieuses, entre rancunes inavouées et vérités cachées, circonstances aggravées par le traitement réservé par Fabienne à leur relation dans son autobiographie. Non sans que Souvenirs de ma mère, le film de science-fiction qu’elle est occupée à tourner, ne fasse également écho à leur histoire, réalité et fiction semblant n’en plus finir de se confondre…
À l’origine du film, on trouve une ébauche de pièce de théâtre écrite par Kore-eda en 2003, qu’il a donc choisi de transposer dans un cadre parisien. C’est peu dire que la greffe prend au-delà de toute espérance, sans doute parce que le cinéaste reste ici fidèle à ses thèmes de prédilection, signant le portrait d’une famille dysfonctionnelle, tout en continuant à ausculter le rapport parents-enfants. Une entreprise menée avec intelligence et finesse, mais aussi légèreté, La vérité prenant par endroit des allures de comédie – Catherine Deneuve, en particulier, s’y révélant particulièrement jubilatoire, ajoutant à une langue de vipère qu’elle manie avec délectation une solide dose d’autodérision. C’est bien sûr le mérite de l’auteur-réalisateur d’avoir su tirer le scénario vers l’illustre comédienne, en quelque récit miroir aux allures de mise en abîme vertigineuse où, aux côtés de références diverses, de Peau d’âne aux Parapluies de Cherbourg, plane discrètement l’ombre de Françoise Dorléac. Celui de Catherine Deneuve n’est pas moins grand de s’être prêté à ce jeu de la vérité – ou pas – avec une stupéfiante maestria. Une prestation magistrale, que l’on verrait bien couronnée du prix d’interprétation.
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