Mia Wasikowska, une prof aux objectifs troubles dans Club Zero

Dans Club Zero, Mia Wasikowska incarne une prof qui devient la ­maîtresse à penser de ses élèves. © DR

Elle a travaillé avec Tim Burton, David Cronenberg et Guillermo Del Toro. Aujourd’hui, Mia Wasikowska affame des adolescents, en gourou au visage impassible, dans le nouveau film de Jessica Hausner: Club Zero.

Doit-on accepter sans broncher que l’industrie agroalimentaire détruise nos corps et la planète? Ne devrait-on pas aspirer à une vie plus saine? Le courant de conscious eating, ou « alimentation consciente », propose d’arrêter d’engloutir sans réfléchir, mais de penser à chaque bouchée et de mâcher très lentement. Dans Club Zero de Jessica Hausner, Miss Novak, qu’interprète Mia Wasikowska, initie une poignée d’élèves d’une école d’élite aux bienfaits de l’alimentation consciente. Deuxième étape du processus: des repas composés d’un seul fruit ou légume. Les élèves les plus doués et les plus soucieux de l’environnement et de leur santé peuvent éventuellement accéder, avec beaucoup d’efforts, au sommet, le Club Zéro. Un cercle réservé à ceux qui ne mangent plus rien du tout.

Satire provocante et stylisée, Club Zero était en lice pour la Palme d’or au festival de Cannes l’année dernière. La réalisatrice autrichienne Jessica Hausner, adepte de l’inquiétante étrangeté et habituée des festivals, a notamment déjà signé Lourdes, avec Léa Seydoux, et Little Joe, avec Ben Wishaw. Cette fois, elle mise sur une actrice qui fait passer l’absurdité de la situation avec un visage impassible. Miss Novak, sorte de joueur de flûte de Hamelin contemporain, est interprétée par Mia Wasikowska, connue du grand public pour son rôle dans la version de Tim Burton d’Alice au pays des merveilles. « J’ai été bouleversée lorsque j’ai lu pour la première fois le scénario du Club Zero, explique-t-elle. Choquée et triste aussi. Je pense que ce film dérangeant s’empare de certaines des peurs existentielles de notre époque. »

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Qu’est-ce qui est si troublant dans Club Zero?

Mia Wasikowska: Le film est dérangeant parce qu’il part de demi-vérités. Mon personnage, Miss Novak, a de bonnes intentions et veut contribuer positivement à un monde meilleur. Elle fait des remarques et lance des idées dont nous savons scientifiquement qu’elles sont bonnes pour nous. En ce qui me concerne, la pleine conscience est quelque chose de positif. Alors, manger consciemment ou en pleine conscience, bonne idée! Stimuler la conscience environnementale, bonne idée! Qu’elle encourage ses élèves à couper davantage le cordon avec leurs parents, c’est normal et sain pour des adolescents. Les ados ont besoin de prendre leur indépendance, de développer leur propre vision, de découvrir qui ils sont. Miss Novak propose des idées utiles. Mais elle les pousse à l’extrême. Ce n’est pas normal d’arrêter de manger ou de couper complètement les ponts avec ses parents. Cette radicalisation est dangereuse. En plus, elle impose sa doctrine à des jeunes à un moment vulnérable de leur vie, et ­terrifiés par la crise climatique.

Pourquoi la nourriture est-elle un sujet aussi sensible?

Mia Wasikowska: Parce que c’est quelque chose de très personnel. Chacun a sa propre relation avec la nourriture, mais on en parle très peu. Même s’il s’agit d’un fait social et que nous observons constamment les habitudes alimentaires des uns et des autres, nous ne les remettons pas en question et on n’en parle pas. C’est trop intime. Mais ce qui préoccupe plus Jessica, au-delà de la nourriture, c’est la manque de communication, de relation entre les jeunes, leurs parents et l’école. Les parents doivent travailler beaucoup ou pensent qu’ils doivent travailler beaucoup, de sorte qu’ils ne sont pas toujours là pour leurs enfants et qu’ils laissent une partie de la responsabilité et de l’éducation aux écoles ou à d’autres personnes. La nourriture n’est qu’une ­métaphore, et un symbole fort.

Votre personnage ressemble au leader d’une secte.

Mia Wasikowska: Pour préparer le film, nous avons discuté avec d’anciens membres de sectes. Pendant les répétitions, je jouais Miss Novak comme une grande manipulatrice, quelqu’un qui jouit de son pouvoir sur ses adeptes. Mais Jessica voulait que je m’éloigne complètement de ça. Miss Novak croit en ce qu’elle prêche et enseigne. Elle pense qu’elle fait ce qu’il faut faire. Et c’est effectivement bien plus effrayant. C’est un phénomène qu’on voit souvent. On peut prendre l’exemple du mal qui a été fait par les catholiques, qui étaient tellement convaincus de leur foi qu’ils ont voulu imposer leurs croyances à tout le monde.

Le mouvement body positive est répandu chez les jeunes. Est-ce que ça ne les protège pas des potentielles dérives?

Mia Wasikowska: Oui, heureusement. Mais c’est contrebalancé par Instagram et les autres réseaux sociaux, qui vous confrontent constamment à des images idéales inatteignables. Je pense qu’il y a à la fois des progrès et des reculs, mais que globalement l’angoisse et la confusion ont augmenté. Ce n’est pas facile de s’y retrouver dans le flot d’informations pas toujours correctes. ça ne doit pas être facile d’être un ado aujourd’hui. Je suis heureuse d’avoir été adolescente avant l’arrivée d’Instagram et cie. Je ne veux même pas penser à l’influence que ça aurait exercé sur moi.

Vous semblez avoir tourné le dos à Hollywood. Êtes-vous plutôt en recherche de réalisateurs ou de ­projets singuliers?

Mia Wasikowska: Ces dernières années, j’ai sans doute été plus attirée par des films d’art et d’essai, mais je n’ai pas vraiment de plan de carrière. Art et essai, Hollywood, Amérique, Europe, Australie: je lis les scénarios qu’on me propose et je les aime ou pas. Club Zero m’a secouée, alors j’ai accepté.

Même Marvel pourrait vous solliciter pour un film de super-héros?

Mia Wasikowska: Avec un bon rôle, un scénario intéressant et un très bon cachet? Bien sûr (rires)! Il y a différentes raisons d’accepter de faire un film.

Mais vous êtes retournée vivre en Australie.

Mia Wasikowska: En fait, je ne me suis jamais installée à Hollywood. Les gens le croient parce que j’y suis restée souvent et pendant un certain temps. Mais je n’ai jamais ressenti le besoin d’y habiter. Et je n’en avais pas envie. C’est bien d’avoir de la distance au niveau privé, de ne pas vivre dans la ville qui est celle de votre industrie. Je suis actrice depuis que j’ai 15 ans et à partir de 17 ans j’ai vraiment travaillé dur. Pendant dix ans, je suis passée d’un plateau de tournage à l’autre, d’un pays à l’autre. J’ai vécu dans des hôtels et des caravanes et je n’appartenais plus à une communauté. Je me suis rendu compte que ce n’était pas bon pour moi. J’aime mon travail, mais je n’aime pas le style de vie des acteurs qui enchaînent les rôles. Ça va à l’encontre de ce que je trouve important dans la vie. Et je n’ai pas non plus l’énergie nécessaire pour ce rythme de travail. Pour rester au sommet dans le monde du cinéma, il faut travailler très dur et faire beaucoup de sacrifices. Je suis heureuse de ma vie plus équilibrée. En Australie, on ne me reconnaît pas. Si je veux être ­reconnue, je dois aller en Europe (rires).

Des lycéens sous influence © DR

Vous jouez le rôle d’un enseignant. Quels professeurs ont joué un rôle important dans votre vie?

Mia Wasikowska: Mes deux sœurs sont enseignantes et plusieurs de mes amis aussi. J’ai beaucoup d’estime pour les profs. Mais il n’y en a pas un en particulier qui m’a aidée dans cette voie. J’étais trop timide pour faire du théâtre à l’école. Je garde de bons souvenirs de quelques professeurs d’anglais qui m’ont fait prendre conscience de la valeur d’un bon livre et de classiques comme Sa majesté des mouches. Je leur en suis reconnaissante.

Le métier d’acteur vous apporte-t-il toujours autant de satisfaction?

Mia Wasikowska: Jouer, c’est fun. Mais ça n’occupe qu’une petite partie d’une journée de tournage. La plupart du temps, on attend ou on se prépare pour le maquillage, les costumes, etc. Entre « action » et « coupez », il ne se passe souvent qu’une poignée de secondes. Quand c’est chouette, quand la collaboration se passe bien, c’est un métier créatif et passionnant. Je ne me plains pas. Mais j’ai généralement l’impression d’aider le réalisateur à exprimer sa vision. Je suis donc très jalouse de lui ou d’elle. J’aimerais beaucoup pouvoir exprimer ma propre vision.

Qu’est-ce qui vous empêche de devenir réalisatrice?

Mia Wasikowska: J’aimerais beaucoup. Mais ça demande beaucoup de temps et de force de conviction. Je reste volontairement vague parce que je ne veux pas être confrontée dans dix ans à toutes les choses que j’aurais imaginées et que je n’aurais pas réalisées. On verra bien. J’aimerais réaliser un film, mais en Australie, c’est assez difficile d’obtenir un financement. À moins de s’appeler Cate Blanchett (rires). Nous sommes jaloux de ce qui est possible en Europe, en particulier en France. Là-bas, on considère un film comme de l’art et on ne réfléchit pas exclusivement en termes de rentabilité économique. Mais je ne veux pas dire du mal de l’Australie. Notre petite communauté cinématographique créative ne mérite ­absolument pas ça.

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