Magritte: rencontre avec une Virginie Efira libérée
Présidente de la prochaine cérémonie des Magritte, la comédienne belge a pris une envergure nouvelle à la faveur de Victoria, film de Justine Triet ouvrant sur des lendemains prometteurs…
A ceux qui croyaient Virgine Efira vouée aux comédies romantiques plus ou moins inspirées, 2016 sera venue apporter un démenti cinglant. En deux films, Elle de Paul Verhoeven, où elle évoluait en retrait, et Victoria, de Justine Triet, où elle est de chaque plan, la comédienne belge, Française d’adoption, a pris une envergure qu’on ne lui soupçonnait pas, démontrant l’étendue de son registre, non sans gagner, incidemment, ses galons d’actrice « tendance ». Le genre à aligner deux covers des Inrocks en pas même six mois, excusez du peu, pic d’une belle unanimité médiatique, sans qu’elle s’en gargarise d’ailleurs. « Il faut le prendre comme de l’écume« , observe-t-elle en écho à l’engouement dont elle est l’objet, sans pour autant mégoter sur son bonheur: « Les surprises, c’est quand même quand Victoria arrive à faire 700.000 entrées. Avec la sophistication des dialogues, la narration, je ne m’attendais pas à ce que ça marche. Ni à la résonance du film de Verhoeven.«
À croire toutefois que son talent n’attendait que la rencontre avec la réalisatrice de La Bataille de Solférino pour éclore définitivement, et prendre sa pleine mesure, hors d’un moule « romcom » qu’elle ne renie cependant pas, et qu’elle aura d’ailleurs manié à sa main, de 20 ans d’écart en Un homme à la hauteur. « Bizarrement, je n’ai jamais craint d’en être prisonnière, parce qu’il y a toujours une petite possibilité de bouger un peu. Puisque c’était ce qu’on me proposait, j’ai voulu essayer d’en faire quelque chose de vertueux, pour pouvoir après élargir les choses. Cela s’est produit avec Justine Triet qui, à un moment donné, fait un film ayant presque une structure de comédie romantique, mais où elle n’hésite pas à avoir des dialogues très incisifs, quasi philosophiques, avec un fond angoissé, dépressif et donc des personnages complexes. »
Critiquant Victoria dans ces pages, Matthieu Reynaert évoquait une « Virginie Efira libérée ». Et il y a de cela, en effet, alors qu’on la retrouve dans une brasserie du quartier des Halles, accueil chaleureux, spontanéité non calculée et intelligence agile. En un mot comme en cent, épanouie. La conversation s’engage sur Manchester by the Sea, qu’elle a vu récemment, en cinéphile curieuse sinon compulsive, goûtant à son bonheur parisien d’avoir accès à la fois aux nouveautés et aux « vieux films », ceux-là mêmes qui ont aussi, par cinéastes ou comédiennes interposés, nourri son désir de cinéma. « Il y a un premier stade, quand on a treize ou quatorze ans, où c’est à la fois le cinéma et un archétype féminin, des féminités extrêmes, et donc Marilyn Monroe. Et c’est pas mal en même temps: avec Marilyn, on arrive à Billy Wilder, et cela ouvre sur autre chose. Je me souviens aussi très bien avoir découvert, à la même époque, Vertigo. J’étais fascinée par Kim Novak, parce qu’il y avait chez elle quelque chose de très sexuel et à la fois rentré. Et je n’avais jamais vu un film où il y avait cette première trame, un suspense, et ensuite des impressions.« Révélant, là encore, des mondes invitant à s’y égarer…
Suivront, pêle-mêle, le cinéma américain des années 90, Bertrand Blier, Pedro Almodóvar, Martin Scorsese, Zhang Yimou, Julia Roberts, dont elle dit « j’étais hypnotisée, j’allais tout voir« . Et puis, plus tard, Romy Schneider, Gena Rowlands, jusqu’à Jeanne Moreau. « J’apprécie toujours les gens que j’ai aimés, mais chez les actrices, il y a l’idée de la longueur, d’avoir choisi des rôles qui permettent de raconter quelque chose de l’interprète. Ce dernier est l’outil du metteur en scène, mais il emmène forcément ce qu’il est. Et Jeanne Moreau, quand on voit ses films, il y a une empreinte similaire. Elle ne fait pas le même personnage chaque fois, mais quelque chose est raconté, poétiquement et politiquement. Plus ses chansons, et mon fantasme de sa pensée, que j’aime bien… »
Si elle ne se risquerait pas à la comparaison avec l’actrice d’Ascenseur pour l’échafaud, Jules et Jim et autre Eva -« Je n’ai pas tourné avec Truffaut et Losey, hein!« -, l’inspiration n’en est pas moins bien présente, et Virginie Efira pose ses choix de comédienne, comédies populaires ou pas, avec une lucidité avisée, où une ambition légitime le dispute à une conscience aiguisée. « Quand j’ai commencé à faire du cinéma, je ne me suis pas dit que je ne tournerais que des bons films. Il y en aurait peut-être des mauvais et, j’espérais, des bons. Mais très rapidement, j’ai estimé avoir une forme de responsabilité dans ce qui était dit. Pas une responsabilité morale, je ne suis pas le genre à vouloir que mes personnages se comportent bien, quel ennui, surtout dans des comédies d’ailleurs. J’ai reçu énormément de scénarios qui n’interrogent pas du tout la société, qui rentrent dans tous les carcans. Etant à cet endroit-là, dans des films grand public, je ne pouvais pas être dans une redite de quelque chose qui n’imprime pas une certaine beauté dans l’idée, dans une pensée un peu libre qui ne suive pas le mouvement (…) Après, quand j’ai rencontré David Moreau, avec qui j’ai tourné 20 ans d’écart, je lui ai demandé si on pourrait réécrire ensemble. Le film, on peut l’aimer ou ne pas l’aimer, mais il me semblait raconter des choses que je trouvais belles, et dans lesquelles je pouvais avoir de la croyance. La forme de responsabilité, c’est avoir de la croyance. Maintenant que j’ai un peu plus le choix, voilà ce vers quoi je veux aller: pas forcément des personnages qui te ressemblent, mais des films où il y ait quelque chose en résonance avec une vision du monde.« Et d’ajouter, dans le même ordre d’idées: « Ce qui est génial, c’est de rencontrer un metteur en scène, d’avoir confiance en lui, de s’abandonner, de partager une vision. C’est ce à quoi j’aspirais, et que j’avais déjà un peu touché du doigt. Je savais donc combien c’était puissant, et que cela remplit, bien plus que le succès… »
Affinités électives
Si elle s’était déjà frottée au cinéma d’auteur aux côtés d’Emmanuel Mouret, le temps d’un Caprice pas totalement abouti -« il n’est pas snob, et je m’étais dit qu’il y avait peut-être une possibilité pour moi« –, c’est donc aux côtés de Justine Triet que cette attente aura été comblée. Sur la jeune réalisatrice, elle ne tarit pas d’éloges, confiant son admiration pour « son mélange de cérébralité et de folie, d’élan et de pulsionnel« . Quant au personnage de Victoria, on le jurerait a posteriori taillé sur mesure, dont Virginie Efira souligne combien il a eu sur elle l’effet d’un révélateur. « Elle a à la fois quelque chose de très fort et dans la vie, mais aussi de déconnecté. De la détresse, à un moment, mais une mélancolie, tout le temps. Et on comprend, tout le monde a cela en lui. C’est pour ça, je crois, que j’ai envie d’être une actrice: je ne suis pas une intellectuelle, je suis une cérébrale, j’essaye d’analyser, de comprendre. Et ce n’est pas toujours la meilleure manière de voir le monde, j’envie beaucoup les gens qui ne le sont pas. Victoria recèle beaucoup de pensées que l’on a au fond de nous… On pleure sur des choses que l’on n’arrivera jamais à faire. »
Non contente d’apprécier ces « mouvements contraires« , Virginie Efira les personnifie, qui projette une image solaire nourrie d’énergie joyeuse, tout en laissant libre cours à une disposition personnelle mélancolique -celle que traduisent encore ses goûts musicaux, Nick Drake et Burt Bacharach en tête. « Nick Drake, on est dans la très, très grande mélancolie, on dirait qu’il sait qu’il va mourir jeune quand il regarde les choses. C’est comme l’éloge de la nature par quelqu’un qui sait qu’il ne va pas la voir longtemps. Quant à Burt Bacharach, il y a les envolées, et puis, derrière, la note en mineur, il combat tout le temps. C’est pour ça qu’on aime le cinéma, et que la vie a quand même quelques attraits. Voilà pourquoi Victoria m’intéresse: on y trouve des choses un peu impressionnistes, avec des éclats de beauté, mais éphémères, avec aussi l’idée du temps qui passe. Ce n’est qu’une question de balance. Mais bon, passez River Man de Nick Drake ici, tout le monde vous dira que c’est beau. Ce n’est pas comme si j’aimais un objet étrange. Cette chanson touche au coeur, directement, c’est d’une grâce infinie, sur la beauté et la délicatesse de la beauté. Après, j’écoute autre chose aussi, Stevie Wonder par exemple… Mais comme avec les films, on sent parfois une intimité. Je pense qu’on est seuls, complètement, mais que par moments, il peut y avoir un frôlement de quelque chose auquel on se sent appartenir…« Des affinités électives, en quelque sorte…
Une Belge à Paris
Son actualité immédiate, ce sont donc les Magritte, puisque en plus de ses deux nominations (elle est citée comme meilleure actrice pour Victoria et comme meilleur second rôle pour Elle), elle assurera la présidence de la cérémonie. L’occasion d’évoquer un cinéma belge que cette enfant de la télé -elle a débuté dans Mégamix et anima, entre autres, Nouvelle Star- n’a pratiqué qu’avec parcimonie, même si on la vit dans Les Barons, Kill Me Please ou Dead Man Talking. Et dont elle apprécie, à l’évidence, la singularité, elle qui estime que »même s’il s’est diversifié, au départ, il y a un cinéma social, avec la nécessité de raconter ça. Tout cinéma qui démarre par l’idée d’un combat est un cinéma vigoureux. Du fait même qu’il s’agit d’un petit pays, divisé en deux langues, il y a non soumission aux codes. C’est toujours une proposition, comme s’il ne pouvait en être autrement. »
Expatriée à Paris depuis une douzaine d’années -« je ne m’étais jamais sentie belge en Belgique, mais j’ai commencé à le faire ici. Ce n’est pas un sentiment qu’on essaie de cultiver, on ne se pose pas la question, mais quand on arrive dans un autre pays, on vous le renvoie tout le temps comme faisant partie de votre identité– Virgine Efira s’apprête, du reste, à renouer avec ce cinéma « belge » (sans qu’il faille voir là l’argument décisif cependant). Après Un amour impossible, de Catherine Corsini d’après Christine Angot, on la retrouvera en effet dans le prochain film de Joachim Lafosse, adaptation du roman Continuer, de Laurent Mauvignier. « Un livre absolument splendide. Ce qui est amusant, c’est que tous les deux, nous l’avions lu, il nous plaisait beaucoup, et l’auteur nous a réunis. Nous voulions chacun en faire quelque chose, et il a proposé « Joachim, avec Virginie ». Nous travaillons ensemble sur le scénario. »
Si l’aventure, qui se déroule dans un cadre kirghize et lui imposera notamment de devenir une cavalière experte en plus d’apprendre le russe, ne s’annonce pas de tout repos -« un voyage vraiment sauvage« -, on la devine brûlant d’y être: « Le personnage est sublime, mais elle est un peu pétée, cabossée. Si on le réussit, on y retrouvera les mouvements contraires, comme chez Nick Drake, etc. Cela tourne autour de l’infiniment petit et de l’infiniment grand, avec une phrase qui dit: « On n’est peut-être pas que ce qu’on est », la capacité à réinventer les choses. Comment dans la violence générale ou intime, qui restera et qu’on ne pourra jamais soigner, il peut y avoir néanmoins un geste où l’on peut ne pas se sentir tout seul. Le livre m’avait bouleversée, à la fois sa trame première de western-suspense et une trame métaphysique.« Recelant comme un appel, vertigineux et irrésistible…: « J’ai la chance folle, après Victoria, d’avoir des propositions de gens qui m’intéressent. Je me pose moins de questions et j’ose un peu plus. En même temps, heureusement, à 40 piges…«
7e cérémonie des Magritte, le 04/04, à partir de 19h50, sur BE1, qui consacre par ailleurs une programmation spéciale au cinéma belge pendant trois jours.
Happening Magritte à l’UGC De Brouckère à partir de 19h, avec retransmission de la cérémonie, walking dinner et avant-première de Paris pieds nus, le nouveau film d’Abel et Gordon.
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