L’Étoile filante, d’Abel et Gordon: « On aimait bien l’idée de prendre comme héros un “méchant de gauche” »
L’Étoile filante, cinquième long métrage du duo Abel et Gordon, se veut film noir tout en couleurs. Autant fantaisie dansante que poème burlesque.
On les avait quittés au pied de la tour Eiffel en 2017 avec Paris pieds nus, où ils faisaient swinguer les pieds de Pierre Richard et Emmanuelle Riva. On les retrouve en cette fin d’année 2023 dans les ruelles pavées de Bruxelles, sous sa bruine légendaire. Le cinéma de Dominique Abel et Fiona Gordon est un cinéma artisanal, au sens noble du terme. Un cinéma mitonné sur le temps long, en duo d’abord, rêvé devant l’écran du bout des doigts, puis en troupe, confectionné avec soin sur le plateau, nourri du chant des corps et de la beauté des imprévus. Un cinéma burlesque, aux effluves mélancoliques, qui se laisse contaminer dans L’Étoile filante, leur nouvel opus, par le bruit du monde extérieur et les attributs du polar. “Ce qui est chouette avec ce genre, c’est que les gens connaissent les codes. On a pris beaucoup de plaisir à les détourner ou se les approprier, se réjouit Fiona Gordon. On voulait aussi explorer quelque chose de plus amer, sans perdre notre côté poétique et notre humour.”
Pour cela, le duo a patienté quelques années, jusqu’à trouver peut-être la maturité artistique qui lui permette d’aborder cet exercice de style. “C’est le premier film que nous avons écrit en fait! Nous faisions du théâtre à l’époque, et avions écrit ce polar que nous rêvions de transposer au cinéma, se souvient Dominique Abel. Mais c’était un peu naïf peut-être et très ambitieux sûrement pour un premier long. De temps à autre, nous repensions à ce projet, jusqu’à ce qu’il finisse par s’imposer à nouveau.”
“Il faut dire que la période actuelle est assez tumultueuse et fait écho à ce que nous avons connu dans notre jeunesse, poursuit Fiona Gordon. Les Brigades rouges ou les Cellules Communistes Combattantes étaient très actives, la protestation grondait, il y avait un certain idéalisme, mais aujourd’hui on se rend compte pourtant que rien n’a vraiment changé. On aurait pu imaginer un mafieux, un vilain de droite même. Mais on aimait bien l’idée de prendre comme héros un “méchant de gauche”, un gars rattrapé par son passé, qui avait des idéaux et qui les a peu à peu perdus, mais qui a fait une connerie.”
Une vision du monde un peu désabusée en somme, et empreinte de lucidité. Un tournant vers une autre gamme chromatique aussi dans leur cinéma très coloré. “Oui, pour nous, c’est un film en noir et blanc avec des couleurs. Le noir et blanc dans les polars est souvent très tranché, avec des ombres très noires, des lumières très fortes. On a voulu faire la même chose, mais en couleurs.”
C’est donc une rupture sur le fond plus que sur la forme pour le duo. “Nous avons bien conscience du fait que nous sommes avant tout des clowns, s’amuse Fiona Gordon. Notre humour n’est d’ailleurs ni dans le sarcasme, ni dans la parodie. Or il est important pour nous de laisser vivre notre forme d’innocence.” Cette simplicité assumée se traduit aussi par une esthétique qui relève savamment de l’artisanat, voire du bricolage. Quand on leur demande d’où elle vient, Dominique Abel répond avec malice: “De la pauvreté je crois. Plus sérieusement, on vient du théâtre, un média où l’on n’a pas accès au réel, donc on doit utiliser l’imaginaire des auteurs, des acteurs et des spectateurs pour boucher les trous. On fait semblant, dans la connivence. On tient une petite brindille en main, mais les gens savent qu’on est dans un bois. C’est un état d’esprit qui animait les débuts du cinéma d’ailleurs, quelque chose de presque enfantin, mais qui est très sensible. On voulait préserver cette sorte de naïveté.”
“On est profondément des bricoleurs, renchérit Fiona Gordon. Nos films sont bricolés! On n’a pas d’idées fixes au départ. Ce sont des embryons d’idées, et on accueille ce qui se passe en répétition. On n’hésite pas un seul instant à mettre de côté ce qu’on a écrit pour faire de la place aux grains de folie. Finalement, l’endroit où l’on est le plus intransigeants, c’est sur la sincérité du jeu. On ne sacrifierait jamais ça pour un rire. C’est de cette sincérité que viennent le rire et l’émotion.”
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