Titre - Les Huit Montagnes
Genre - Drame
Réalisateur-trice - Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch
Casting - Luca Marinelli, Alessandro Borghi, Filippo Timi
Durée - 2h27
Rencontre avec Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch, qui livrent avec Les Huit Montagnes une adaptation fidèle et inspirée du roman à succès de Paolo Cognetti.
Chez beaucoup, les confinements à répétition ont réveillé une soif d’ailleurs, si possible dépaysant, avec horizons à perte de vue et nature à foison. Chez Felix Van Groeningen (réalisateur encensé de The Broken Circle Breakdown, La Merditude des Choses et Beautiful Boy) et Charlotte Vandermeersch (comédienne vue dans Adoration, Belgica et De Premier), couple à la ville comme derrière la caméra, ils ont constitué une bulle inespérée de travail et de créativité, leur permettant de s’atteler à l’écriture de leur premier film à quatre mains, une ambitieuse adaptation du livre de Paolo Cognetti, Le Otto Montagne, Prix Médicis étranger en 2017. Si le projet était déjà en route avant la pandémie, celle-ci leur a offert un temps précieux pour s’approprier la riche matière littéraire du livre afin de la transposer sur grand écran.
Le roman n’est pas très long, mais il offre néanmoins une vaste fresque, aussi bien sur le plan temporel (le temps d’une vie) que géographique (des Alpes au Népal). “Nous avons dû faire des choix, forcément, se souvient Felix Van Groeningen. Assez rapidement, nous avons décidé d’avancer nous aussi dans l’ordre chronologique, pour donner cette sensation de voir passer le temps. Si nous sommes restés assez fidèles au livre, il a fallu faire de grands détours narratifs pour conserver la cohérence du récit cinématographique.” Charlotte Vandermeersch développe: “Pietro est le narrateur du livre, c’est par son intériorité que l’on apprend à le connaître dans le roman. On voulait que le spectateur comprenne Pietro, mais on ne pouvait pas lui donner des lignes de dialogues où il s’explique. Ça n’aurait plus été le même personnage! On lui a donc créé une voix plus littéraire, qui nous renseigne sur sa personnalité et son état d’esprit. Il a fallu également combler les manques de sa biographie, en imaginant certaines scènes, on a dû lui inventer un quotidien.” Van Groeningen continue: “Et puis ça permettait d’entrer dans la tête de Pietro, parce que finalement, c’est un personnage assez passif, ou du moins très contemplatif. Ce n’est pas un héros de cinéma classique, qui fait avancer l’action. Il est dans l’observation. Il bouge, certes, mais à l’intérieur!”
Pietro est notre guide, à travers les sentiers montagneux d’abord, malgré ses hésitations initiales, puis au fil du territoire que dessine son amitié pour Bruno ensuite. “L’amitié est un lieu où l’on plante nos racines”, constate le personnage, et effectivement dans le film, elle est une terre où Pietro revient sans cesse. Cette amitié est la pierre angulaire du récit. Elle a transpercé le duo à la lecture du livre, et appelé son lot de questionnements. “Ce qui m’a beaucoup touché, explique Felix Van Groeningen, c’est l’idée que l’on peut ne pas se voir pendant des années mais rester des miroirs l’un pour l’autre. On continue à s’inspirer mutuellement, à se réjouir pour l’autre quand il trouve sa voie. Même si on peut se sentir étrangers parfois, que ça devient très dur d’entrer dans le monde de l’autre, il faut savoir lâcher prise, accepter de ne pas être d’accord, ou de voir l’autre se tromper.” Charlotte Vandermeersch renchérit: “Comment peut-on soutenir nos amis, les aider à évoluer, leur dire la vérité parfois? Il faut donner du temps, de l’attention, tout ce qui nous manque au quotidien. Ça demande de grands efforts, de conserver une amitié. Et puis ce qui m’a attirée dans le projet aussi, c’est que j’aimais l’idée de mettre en scène une amitié entre hommes qui soit très tendre. Bien qu’il leur soit parfois difficile de s’exprimer, ils se comprennent très bien, même sans mots.”
Pour incarner les deux amis, et donner chair à leur complicité et à l’amour inconditionnel qui les unit, il fallait trouver deux comédiens qui puissent développer cette relation, faire croire à l’indicible mais indéfectible lien qui les rend à jamais solidaires. “Quand on a vu Luca Marinelli (Martin Eden dans le film de Pietro Marcello, NDLR), ce fut un coup de foudre. Bizarrement, lui ne s’attendait pas forcément à jouer Pietro, dans la vraie vie son caractère est beaucoup plus proche de celui de Bruno. Mais une fois qu’on avait Luca, il fallait trouver quelqu’un qui soit à la hauteur pour égaler son charisme, et c’est là que les choses se sont compliquées, plaisante Charlotte Vandermeersch. Au bout de six mois, Alessandro (Borghi), qui est ami avec Luca, a entendu que l’on cherchait encore quelqu’un, et s’est présenté. Ça a fait tilt, d’autant que le fait de les avoir castés pour des personnages qui ne correspondaient pas forcément à leur tempérament a rendu leur performance encore plus intense.”
La montagne comme un personnage
Il y a Bruno et Pietro, et puis il y a leur montagne, personnage à part entière du récit, saisie au fil des saisons de la nature et de la vie. Il fallait donner vie au mont Grenon, et lui trouver une identité cinématographique, au-delà des évidences supposées. Felix Van Groeningen raconte: “Au début, bien sûr, on pensait au format Cinemascope, le format épique par excellence, qui occupe tout l’écran. Mais on ne s’en sortait pas, on imaginait des découpages, mais on ne trouvait pas le bon bout. Nous avons été de nombreuses fois sur place avec notre chef opérateur Ruben Impens, pour réfléchir à la façon dont la montagne allait prendre sa place à l’écran. Et puis un jour, je me suis souvenu de magnifiques photos de sa montagne que m’avait offertes Paolo Cognetti, l’auteur du livre. Des photos en format 4/3, incroyablement évocatrices. On s’est dit que finalement, c’était un format sûrement moins attendu, mais beaucoup plus intéressant pour donner à voir et ressentir la montagne, notamment dans sa verticalité. Sa hauteur. Avec Ruben et Charlotte, nous avions aussi en tête le travail très inspirant de Pawel Pawlikowski sur Ida et Cold War, où il prend énormément de liberté avec ce format. Et puis il y a des petits accidents. Alors que nous recherchions la maison que Pietro hérite de son père, on est tombés sur ce bâtiment, qui correspondait à ce que nous avions imaginé, et surtout, derrière lequel se dressait une montagne qui avait la même forme. C’était très beau, et c’est devenu une sorte de thème visuel, que l’on répète. Tout avoir dans la tête, avant même de commencer à tourner, ça ne fonctionne pas comme ça pour moi. Tourner un film, c’est un voyage, ça s’invente aussi sur le plateau.”
S’il n’est pas question d’improviser, il faut par contre savoir faire preuve de souplesse pour composer avec les éléments. “Nous tenions absolument à pouvoir filmer la fonte des neiges, l’arrivée du printemps et du renouveau, c’était très important au niveau dramatique pour le récit, mais le tournage avec toute l’équipe débutait trop tard pour ça, poursuit Charlotte Vandermeersch. Alors nous sommes partis seuls avec Ruben et sa petite caméra, et finalement, ce sont ces images que l’on voit à l’écran à la fin du récit.”
Quand on leur demande quel a été le plus grand challenge sur ce film (“À part apprendre l’italien pour communiquer avec les acteurs?”, s’amuse Charlotte Vandermeersch), Felix Van Groeningen n’hésite pas une seconde, et répond du tac-au-tac: “La logistique! C’était un film très complexe, qui nous a demandé beaucoup d’énergie et de résilience. Mais ça m’a beaucoup appris. Je suis souvent très stressé sur les plateaux, et là, j’ai compris que faire du cinéma, c’est aussi savoir laisser aller. On ne peut pas tout contrôler. Sur mes films précédents, je me posais beaucoup de questions existentielles dès que quelque chose n’allait pas dans le sens prévu. Là j’ai appris à lâcher prise, et accueillir les surprises.”
Les Huit Montagnes
L’été de ses 11 ans, alors qu’il passe ses vacances dans un petit village du Val d’Aoste, Pietro rencontre Bruno, un garçon de son âge. Contre toute attente, cette parenthèse estivale se transforme en l’histoire d’une vie, celle d’une amitié qui s’écrit en pointillé, au rythme des retours à Grana de Pietro, le citadin aimanté par la montagne. Avec cette adaptation du roman à succès de Paolo Cognetti, Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch ont su traduire en images le souffle épique du récit de l’auteur italien, offrant un cadre spectaculaire à cette histoire d’amour inconditionnelle entre deux hommes, pour lesquels l’amitié est un territoire où plongent leurs racines, offrant au passage aux citadins en manque d’horizon une réflexion inspirante sur le retour à la terre.
De Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch. Avec Luca Marinelli, Alessandro Borghi, Filippo Timi. 2 h 27. Sortie: 14/12. 7Un lien indéfectible
Pour camper Pietro et Bruno, les deux protagonistes principaux de Le Otto Montagne, le choix de Charlotte Vandermeersch et Felix Van Groeningen s’est porté sur Luca Marinelli et Alessandro Borghi, deux stars incontestables en Italie. À l’instar de leurs personnages, une longue amitié lie les deux comédiens, qui n’avaient toutefois pas retravaillé ensemble depuis que Claudio Caligari les avait réunis dans Non essere cattivo, en 2015. “Il y a de nous dans les personnages. Deux autres acteurs auraient fait quelque chose de totalement différent, observe Luca Marinelli, alors qu’on les retrouve de concert au lendemain de la projection du film à Cannes. Nous sommes les filtres de ces personnages dans l’histoire. C’était fascinant, après avoir lu le roman de Paolo Cognetti puis le scénario, de commencer à travailler avec Felix et Charlotte, et de voir Bruno et Pietro sortir petit à petit.”
Des sensations plutôt que des motsMarinelli est un acteur singulier, tournant peu, et s’investissant sans compter dans chaque rôle. Pour incarner le personnage de Pietro, l’acteur romain n’a pas hésité à venir s’installer quelques mois dans un petit bourg du Val d’Aoste pour s’imprégner des lieux et passer du temps avec l’auteur du roman. Lequel n’avait pas caché, lorsqu’on l’avait rencontré en août 2021 en marge du tournage, avoir été impressionné par son engagement: “Qu’un acteur reste trois ou quatre mois en montagne pour entrer dans son personnage, c’est rare”, nous confiait-il alors, admiratif. Son intimité avec le personnage et son environnement est du reste palpable à l’écran: “Pietro n’est pas Paolo Cognetti tout en étant un peu lui également. J’ai passé tellement de temps avec lui que nous sommes devenus amis, et quand on devient ami avec quelqu’un, on commence aussi à avoir quelque chose de cette personne”, relève l’acteur. Alessandro Borghi, qui incarne Bruno, raconte pour sa part avoir été bluffé par le scénario. “Le script était vraiment très bon. Il n’est pas si fréquent de démarrer avec un matériau aussi détaillé, que ce soit en termes d’émotions ou d’interaction avec les autres personnages. Et puis, j’ai eu la chance de pouvoir travailler avec les personnes de l’entourage de Paolo Cognetti dont il avait nourri Bruno et qui m’ont servi de références.”
S’il est inscrit dans la réalité de la vallée d’Aoste, le sujet des Huit montagnes est toutefois universel. Comme, du reste, le langage du cinéma. Si bien que voir un couple de réalisateurs belges s’en emparer n’avait, au fond, rien de tellement étonnant aux yeux des comédiens. “Charlotte a appris l’italien en trois mois, c’est incroyable, apprécie Marinelli. Et la communication sur la manière de développer les personnages ne passait pas tant par les mots que par les sensations: il fallait montrer plutôt que discuter, faire plutôt que penser.” La suite, elle, relèvera de cette alchimie mystérieuse voulant que d’un tournage puissent jaillir l’inattendu et la magie. “Ce qui est formidable avec Felix et Charlotte, c’est de savoir qu’à chaque prise, on va pouvoir tenter quelque chose de nouveau, poursuit Borghi. Il ne s’agit pas de toujours reproduire la même chose pour l’améliorer, mais bien de se sentir libre d’essayer d’autres choses.” Histoire de donner toute son intensité à cette amitié indéfectible…
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